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Vivre libre de Loubna Meliane : une insoumise

Loubna Meliane était aux côtés de Fadela Amara lors de la Marche des femmes au printemps dernier. Dans Vivre Libre, cette militante de vingt-cinq ans raconte son parcours à elle, "petite rebeuh de province" devenue porte parole de SOS Racisme.

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"Itinéraire d'une marcheuse" pourrait être le sous-titre de Vivre Libre de Loubna Meliane. Car Loubna faisait partie du groupe des huit à l'origine de la Marche des femmes au printemps dernier avec Fadela, Safia, Ingrid, Christelle, Nadia, Farid et Olivier. "Nous sommes arrivées enfin à Paris, épuisées, mais pleines du souvenir de ces visages, des ces regards de femmes.

Des larmes, des sourires, des applaudissements, des flots de paroles de femmes qui nous avaient suivies et transportées jusqu'au bout de la marche. C'était la ligne d'arrivée, et aussi le commencement d'autre chose." Un point de vue à mettre en parallèle de celui de Fadela Amara. Parce qu'elles marchaient ensemble et qu'elles abordent les mêmes sujets dans leurs ouvrages : la ghettoïsation des quartiers, les souffrances des filles, la violence, la soumission, l'amour et la sexualité dans les cités...

Parce que toutes deux nées en France et issues de l'immigration ont trouvé dans les mouvements militants (SOS racisme, Ni Putes ni Soumises) une identité et une vocation. Mais aussi et surtout, parce que Fadela et Loubna ne sont pas de la même génération. Fadela Amara a aujourd'hui près de quarante ans et Loubna vingt-cinq. De la grande soeur à la petite, de la Marche des Beurs en 1983 à la Marche des femmes en 2003, destins parallèles et croisés de deux jeunes femmes militantes.

La petite soeur

Loubna a l'âge de ceux pour qui la situation s'est détériorée. N'ayant pas le recul de son aînée pour une analyse, elle commente son parcours. "Je suis là en tant que jeune fille issue de l'immigration, je témoigne, j'alerte et je réclame qu'on cesse de nous prendre pour des sauvages." Sa chance, dit-elle, c'est d'avoir été élevée par des parents "ouverts d'esprit". Marocains tous les deux, père ouvrier, mère issue de la bourgeoisie casablancaise, ils ont réussi à se marier et à partir en France : emploi dans une usine de moutarde et de cornichons près de Dijon, niveau de vie modeste. Loubna a perdu sa mère très tôt, à l'âge de six ans, dans des conditions étranges. Pendant longtemps on lui a parlé d'un suicide en Egypte. Elle a appris récemment que sa mère, après avoir quitté son père, aurait en fait été embarquée dans une sombre histoire par un riche saoudien, lequel aurait disparu précisément au moment de sa mort. Un mystère non encore élucidé.
Loubna a donc été élevée par son père, "un éducateur, un confident, un pote, un repère" qu'elle admire et à qui elle dit tout devoir. Avec une réserve cependant : "On a débattu sur des tas de sujets, la république, la démocratie, le droit de vote des immigrés... mais la liberté des filles reste sur le papier". Tout en bénéficiant d'une certaine liberté de penser, Loubna a quand même souffert de la "réputation" dans le quartier, de l'impossibilité d'avoir un "flirt", du manque de mobilité et de la pression de la communauté.

Des mouvements lycéens à SOS Racisme

Elle n'a pourtant pas grandi dans une grande cité urbaine mais dans un quartier HLM "plutôt agréable dans son genre". Loubna se définit comme une "petite rebeuh de Dijon" (beure en verlan), une "petite provinciale de quartier". L'intégration ? Elle ne veut pas en entendre parler : "Je n'aime pas ce mot d'intégration. S'intégrer à quoi ? Je suis française !" martèle cette battante qui défend la liberté et l'égalité au sein de sa famille, de son quartier, de son lycée et de la République. Loubna est une insoumise, pas vindicative mais contestataire, volontiers "grande gueule" avoue t-elle. Force ou faiblesse ? Sa façon à elle de résister en tout cas, et le moyen trouvé pour conquérir sa liberté, étape par étape.

Au lycée professionnel où elle s'ennuyait en filière comptabilité, Loubna a commencé à militer pour les droits et les conditions de travail des lycéens passant rapidement de déléguée de classe, puis de son établissement, à représentante dans la région puis membre de la Fédération Indépendante Démocratique Lycéenne. Premiers contacts avec SOS Racisme lors d'un colloque sur la violence à Paris. Mais tout a vraiment commencé avec le grand mouvement lycéen en 1998. "Repérée" par les politiques et les associatifs, invitée par les médias, Loubna est devenue une figure représentative d'une nouvelle génération de jeunes filles issues de l'immigration ou des quartiers. Malek Boutih, alors président de SOS Racisme, lui a proposé de devenir porte-parole de l'association. Fonction qu'elle occupe encore. Une famille ni répressive ni dépassée, un environnement ni favorisé ni incendiaire, Loubna n'était ni une "bonne élève", ni un "cas social". Mais elle sait, pour l'avoir vu, combien il est facile de "déraper". A ses "soeurs de quartier" elle lance : "Bougez-vous". Et aux Français : "Nous sommes les citoyennes de demain, nous serons là pour construire ce pays, la France ne peut pas se faire sans nous."

Preuve en est la Marche des femmes. La mobilisation qu'elle a engendré dépasse aujourd'hui les quartiers et les enfants de l'immigration. Lors de la manifestation altermondialiste à Paris il y a quinze jours, les pancartes "Ni Putes ni Soumises" fleurissaient dans tout le cortège, portées par des femmes de tous les âges et de toutes les origines.

Vivre libre de Loubna Meliane, Oh! Editions, 209 p.
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