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7e biennale des cinémas arabes à Paris : quel renouveau pour le cinéma irakien ?

Evénement à la 7ème biennale des cinémas arabes à Paris : une vingtaine de professionnels irakiens du cinéma se sont rencontrés, mercredi matin à l'Institut du Monde Arabe, pour poser ensemble les bases du renouveau. Certains ne s'étaient pas vus depuis d

7e biennale des cinémas arabes à Paris : quel renouveau pour le cinéma irakien ?
Pratiquement tous «Irakiens de l'étranger», les artistes faisaient face à un public d'une cinquantaine de personnes parmi lesquelles le représentant pour l'Irak auprès de l'Unesco et d'autres réalisateurs du monde arabe, Palestiniens entre autres.

Pas d'effusions pour autant. Si émotion il y avait, elle était rentrée. Hormis quelques signes de connivence, l'heure était à l'écoute, sérieuse et attentive, plus qu'au débat. Car le temps était compté, comme l'a rappelé le président de séance Kaïs Al-Zubaïdi : à peine trois heures pour parler du cinéma irakien aujourd'hui. Pas question donc de s'étendre sur les tourments récents, même s'ils restaient bien présents dans les esprits et transpiraient de quelques témoignages.

Il fallait s'en tenir à la question du jour : comment refonder le cinéma irakien ?
Kaïs Al-Zubaïdi a exposé la difficulté d'établir des données chiffrées et des statistiques fiables concernant le cinéma irakien, et rappelé la disparité entre le secteur public et le secteur privé. Après cette introduction historique, chacun disposait d'environ cinq minutes pour énoncer ce qui, selon lui, constituerait les meilleures bases du renouveau.

Premier constat : il n'y a pas de cinéma irakien proprement dit, au sens d'industrie et de marché, mais des films irakiens qui, depuis 1945 jusqu'en 1991, date du dernier film réalisé en Irak, n'en constituent pas moins un patrimoine d'une centaine de titres. Malheureusement, nombreux ont été disséminés ou détruits, et la dictature qui a sévi ces dix dernières années a complètement bloqué l'évolution du septième art dans ce pays. D'où, première demande, la nécessité de retrouver les films irakiens répartis dans le monde et de créer une cinémathèque en Irak.
Pas d'avenir sans mémoire… mais pas d'avenir non plus sans professionnels : si aucun chiffre n'a été annoncé, l'Irak semble compter un certain nombre de réalisateurs, scénaristes ou caméramen.

La plupart, par ailleurs, ayant été «mis à l'index» pendant la dernière décennie, a regretté l'un d'eux. Mais ce qui manque au cinéma irakien, a affirmé un réalisateur, ce sont des cadres intermédiaires : costumiers, décorateurs, maquilleurs etc… Riche de son expérience à Ramallah où il dirigeait des formations avec la réalisatrice Maysoon Pachachi, Kassem Abd a réclamé la création d'une Université des Arts et de la Télévision et l'organisation de formation. «Les Irakiens ne demandent qu'à bouger, a t-il défendu. Maintenant que les choses ont changé, il faut décider de ce que nous voulons faire. On dit que les Irakiens ont perdu le goût de la vie à cause des dix ans d'embargo et de guerre. J'ai découvert le contraire : pour une formation qui commence à 10 heures, les étudiants sont dans la salle dès 9 heures. ”

Ils étaient nombreux à souhaiter l'existence d'une école. Qu'ils soient “ Irakiens de l'intérieur ” ou “ de l'étranger ”, plusieurs se sont également dits fatigués de ne voir de leur pays que des images de télévision, le plus souvent sur des chaînes étrangères. “ Nous devons aller prendre aujourd'hui en Irak les images qui n'ont pu être tournées ” a insisté l'actrice May Khalil. “ Une des missions du cinéma irakien est aussi de filmer les ravages actuels ” a renchéri une dame dans le public. Saddam Hussein tombé, les images vont pouvoir renaître. “ Mais il nous manque l'essentiel en Irak, a déploré un réalisateur, des caméras, de la pellicule, des laboratoires, des studios... ” Et certains d'échafauder des stratagèmes pour récupérer du matériel à prix réduits à l'étranger.

Les autres impératifs fleurissaient : créer des comités de défense de la culture, instaurer un code du cinéma, permettre l'importation de films de qualité (dont les Irakiens sont restés privés pendant des années), restaurer les salles de projection, établir des ponts avec le cinéma occidental, susciter des coproductions comme celle, saluée, de Zaman, l'homme des roseaux, film franco irakien de Almer Alwan…

Vers un statut pour le cinéma et les artistes irakiens

La priorité serait d'établir un véritable statut pour le cinéma. Mais sa mise en oeuvre constitue le principal point d'achoppement : certains attendent un geste fort de l'Etat, ce qui fait peur à d'autres : «Le problème que nous avons connu venait du fait que le gouvernement intervenait directement dans la réalisation d'un film. Nous devons en tirer des leçons : le cinéma doit dépendre d'une institution privée, indépendante du régime afin que l'artiste soit libre». a résumé le comédien Saâdi Younès Bahri. Sur la totalité des films irakiens qui ont été produits, quelle est la part de films jugés «institutionnels» ? La question reste en suspens.

La solution serait à chercher du côté de la Syrie ou, mieux encore, de la Tunisie où «l'Etat subventionne complètement mais n'intervient pas». Selon Sadek El Sayegh, conseiller cinéma au ministère de la Culture à Bagdad, le ministère serait prêt à se tenir aux côtés des artistes sans rien leurs imposer. Mais si «l'Irak n'est pas un pays pauvre» comme l'a rappelé quelqu'un, « l'Etat n'a pas les moyens de soutenir réellement le cinéma, comme dans la plupart des pays arabes» a rétorqué un autre.

«Il existe des créneaux à l'étranger, est intervenu le représentant pour l'Irak auprès de l'Unesco. La communauté européenne vient de boucler son budget d'aide au Monde Arabe avec un excédent non distribué : les artistes arabes ne savent pas profiter des possibilités de financement qui leur sont offert», a t-il souligné en annonçant, par ailleurs, la tenue en septembre d'une grande réunion culturelle à Bagdad sous l'égide de l'Unesco.

Il a également fait remarquer : «l'Institut du monde arabe accueille des artistes et intellectuels du monde arabe depuis un quart de siècle. Mais les rares Irakiens présents donnaient souvent une image unique de leur pays. C'est la première fois que nous avons une rencontre offrant un tel pluralisme».

L'occasion donc de déboucher sur quelque chose de concret : «un communiqué» ? a proposé un journaliste. «Et pourquoi pas une Union des cinéastes irakiens indépendants ? a avancé une dame dans le public, c'est un cadre souple qui vous donnerait une représentativité face aux bailleurs de fonds».

L'idée a eu l'air de plaire : «Mais il faudrait pour cela poser les jalons d'un système législatif qui n'existe pas encore, a regretté Kaïs Al-Zubaïdi. Nous allons voir de quelle façon nous pouvons assurer le suivi de cette première rencontre», a-t-il conclu. Le public attendait manifestement davantage. Quelques uns ont dû repartir avec l'impression que le cinéma irakien devait redémarrer de zéro, et d'autres en se disant que tout restait à faire…

Alors qu'avec la rétrospective proposée par la biennale (une vingtaine de films irakiens à l'affiche) et cette première rencontre élargie, une marche de taille a été franchie. Pourquoi alors ce relatif manque d'enthousiasme ? Si elle marque la fin d'un régime autoritaire, la situation actuelle en Irak reste «tangente» ou «précaire» pour nombreux de ces artistes qui la considèrent, qui plus est, de l'étranger.

Tout porte à croire qu'ils ont besoin d'un peu de temps et de davantage d'échanges pour méditer les bases du renouveau. Au moins ont-ils pu réaffirmer l'indispensable prise en compte du cinéma - outil de culture, de conscience politique et de conscience sociale - dans la construction du nouvel Irak.

Le cinéma irakien en quelques dates


1909 : premières projections à Bagdad.
1945 : naissance du cinéma irakien. Deux films sont coproduits avec l'Egypte et réalisés par des cinéastes égyptiens : Le Caire-Bagdad d'Ahmed Badrakahn et Le Fils de l'Orient de Niazi Mustapha.
1948 : création du Studio de Bagdad par des producteurs irakiens qui, accusés d'intelligence avec le jeun état hébreu devront fermer le studio.
1952 : Les Turcs exploitent le studio en tournant avec l'Irak, Taher et Zahra et Irza et Kanbar.
1954 : fondation de Dounia al-Fann, société cinématographique irakienne par les acteurs Yass Ali Nasser et Salah Eddine al-Badri. Production de Fetna et Hassan.
1955 : réalisation de Regrets par Abdel Khalek al-Samerraï.
1955-1960 : réalisation de deux succès : Qui est le responsable ? d'Abdel Jabar Wali et Saïd Effendi de Kameran Hosni.
Jusqu'en 58 : le film documentaire est aux mains des Britanniques de la Société du pétrole.
1959 : création par l'Etat du premier organisme officiel du cinéma : l'Organisme général du cinéma et du théâtre (OGCT).
1959-1977 : production d'une trentaine de films, tous genres confondus, westerns, comédies, films noirs dont Le Train de 7 heures de Hekmat Labib et Le Veilleur de nuit de Khalil Chawki.
1968 : le coup d'Etat du parti Baath engendre un plan de nationalisation de la culture. La seule voie ouverte aux cinéastes revient à réaliser des films pour le parti : Les Assoiffés de Mohamed Choukri Jamil, La Tête de Fayçal al-Yassiri, l'Essai de Fouad al-Tomamy ou Un autre jour de Saheb Haddad.
1970 : trois films abordant directement les objectifs de Saddam Hussein : Al-Kadisiyya du réalisateur égyptien Salah Abou Seif, Les Jours longs et Le Roi Ghazi de Mohamed Choukri Jamil.
1970-80 : les cinéastes s'exilent, d'abord à Beyrouth puis en Europe et en Amérique. Ils inventent le cinéma de la diaspora.
1991 : dernier film tourné en Irak.
2004 : Zaman, l'homme des roseaux coproduction franco-irakienne de Almer Alwan.
(Source : un étude du réalisateur Kassem Hawal cité dans le catalogue 2004 de la Biennale).
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