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Accords de libre-échange : Quels enjeux pour le Maroc ?

Quel est l'impact des accords de libre-échange sur l'économie marocaine ? Quelles sont les conditions requises pour que le Maroc en tire le meilleur profit ? C'est le sujet de réflexion de Jawad Kerdoudi.

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Le Maroc à l'aube de son indépendance a choisi le libéralisme.
Depuis, et tout au long des dernières décennies, il a consolidé son économie de marché à l'intérieur, et l'a ouverte sur l'extérieur. D'ailleurs, à partir du début des années 1990, et suite à la disparition du Bloc soviétique, un vaste mouvement de libéralisation a touché toutes les parties du monde, y compris la Chine communiste. Actuellement, la mondialisation poursuit sa marche triomphante, et tout pays qui s'écarte de ce mouvement, se condamne à la marginalisation.

C'est dans ce cadre, que notre pays a signé des Accords de libre-échange avec ses principaux partenaires. D'abord avec l'Union européenne dans le cadre de l'Accord d'association du 26 février 1996. L'année 2004 fut très prolifique puisque le Maroc a signé trois Accords de libre-échange :
• Accord d'Agadir (février 2004) regroupant le Maroc, la Tunisie, l'Egypte et la Jordanie.
• Accord avec la Turquie (Avril 2004)
• Accord avec les USA (juin 2004)
Ces différents Accords présentent les caractéristiques suivantes :
Ce sont tout d'abord des Accords purement économiques.

Notre pays garde toute son indépendance sur le plan politique. Certes, l'Accord d'association avec l'Union européenne prévoit un dialogue politique. Mais il s'agit bien d'un dialogue, et chaque partie peut avoir son avis spécifique et le défendre.
Ce sont des Accords asymétriques avec les pays plus développés (USA, Union européenne, Turquie), dans la mesure où les avantages accordés de part et d'autre ne sont pas identiques, et sont en faveur du Maroc.
Ce sont des Accords différenciés et progressifs. Différenciés, car ils font une distinction nette entre les produits industriels, les produits agricoles, les services, et les dispositions réglementaires et législatives.

Progressifs, car ils prévoient (sauf pour l'Accord d'Agadir) une période transitoire, avant démantèlement douanier total.
Enfin ce sont des Accords qui ne prévoient pas d'aide financière, sauf l'Accord Maroc/Union européenne, qui prévoit une aide financière dans le cadre du programme MEDA.

Sans entrer dans les détails de chaque Accord, le contenu de ces Accords prévoit les dispositions suivantes :
Le Maroc obtient pour ses exportations industrielles l'exonération quasi totale dès la mise en vigueur des Accords. Il bénéficie pour ses importations d'une période transitoire de 10 à 12ans. A noter cependant que l'Accord d'Agadir ne prévoit pas de période transitoire pour toutes les parties. L'exonération totale des droits de douane interviendra dès la mise en vigueur de l'Accord.

Les produits agricoles étant sensibles pour toutes les parties, il est prévu, dans les différents Accords, une libéralisation partielle, avec notamment le respect de contingents tarifaires, et de longues périodes transitoires. Le Maroc a notamment bien défendu ses intérêts agricoles tant vis-à-vis de l'Europe que des USA et de la Turquie ( à titre d'exemple pour les céréales : les contingents accordés par le Maroc sont indexés sur la production nationale)
Tous les Accords prévoient une libéralisation partielle des services, des conditions spécifiques à chaque branche du secteur, et une période transitoire.
Ces Accords sont accompagnés de dispositions générales d'ordre juridique et réglementaire. Ce sont en général des dispositions exigées par les partenaires du Maroc, et qui ont trait à la protection des investissements, des droits de propriété intellectuelle, du droit du travail, et du respect de l'environnement.

La signature de ces Accords présente pour le Maroc à la fois des opportunités, mais aussi des dangers. Toute la problématique consistera pour le Maroc à tirer le meilleur avantage des opportunités, et à limiter les dangers.

Les opportunités se présentent tout d'abord au niveau de la promotion des investissements étrangers au Maroc. Notre pays a besoin de ces investissements qui apportent les capitaux, le savoir-faire et les marchés d'exportation. Ce sont les investissements nationaux et étrangers qui permettent la création d'emplois et de richesses. Les investissements étrangers (européens et américains notamment) seront stimulés par les garanties que prévoient ces Accords: rapatriement des bénéfices, des capitaux, des plus-value, traitement national, traitement de la nation la plus favorisée, convention pour éviter la double imposition, etc.

Un autre avantage pour les investisseurs étrangers consistera dans le fait que les entreprises installées au Maroc peuvent exporter leurs produits industriels en exonération des droits de douane sur tous les pays liés au Maroc par des Accords de libre-échange (Union européenne, USA, Tunisie, Egypte, Jordanie, Turquie).
C'est ainsi que des investisseurs américains pourront vendre non seulement sur le marché marocain, mais également sur l'Union européenne et les pays couverts par l'Accord d'Agadir. De même des investisseurs européens et asiatiques pourront exporter sur les USA et les pays couverts par l'Accord d'Agadir. Le Maroc pourrait devenir une véritable plate-forme d'exportation.

Le Maroc pourra aussi promouvoir ses exportations de produits agricoles et industriels, grâce aux avantages qui lui sont accordés dans le cadre de ces Accords. Des possibilités réelles existent par les fruits et légumes, les textiles, les produits de pêche frais et transformés, l'agro-industrie.
De même le secteur des services sera dynamisé au Maroc du fait que les sociétés marocaines de services seront obligées de se moderniser, et que le consommateur marocain disposera de nouveaux produits à des prix plus compétitifs.

Enfin du fait de la signature de tous ces Accords, les importateurs marocains pourront mettre en concurrence, sur un même pied d'égalité, les fournisseurs de tous les pays couverts par ces Accords.

La signature de ces Accords présente également des dangers pour le Maroc. Le plus immédiat, et qui est déjà ressenti, est la perte de ressources financières par l'Etat marocain du fait du démantèlement douanier. Avant démantèlement, 70% des droits de douane, soit 18% des recettes du trésor, provenaient des droits de douane payés par les importations de produits européens.

Mais plus graves encore seront les répercussions sur le secteur productif marocain (agriculture, industrie, services) si des réformes structurelles et de mise à niveau ne sont pas prises dans les meilleurs délais. En effet, notre agriculture et notamment le secteur vivrier (céréales, viande, poulet, sucre, produits laitiers) n'est pas compétitif. L'ouverture des frontières ruinera ce secteur, et entraînera des conséquences économiques et sociales catastrophiques, si la modernisation de ce secteur n'est pas opérée dans la décennie à venir. De même, le secteur industriel et les PME en particulier, auront à souffrir de la concurrence des pays dont le niveau industriel est largement supérieur à celui du Maroc.

Les craintes les plus vives des industriels marocains concernent la Turquie et l'Egypte. La Turquie est très performante en produit textiles et cuir, matières plastiques, bois et ouvrages en bois, voitures de tourisme, machines et appareils électriques.

L'Egypte est très compétitive dans le ciment et l'acier, du fait du faible coût de l'énergie et de la main-d'œuvre. Les professionnels se plaignent qu'ils n'ont été consultés pour ces Accords avec la Turquie, et surtout l'Accord d'Agadir, qui ne prévoit pas de liste négative, ni de période transitoire.
Enfin le secteur des services, constitué majoritairement de PME, subira également de plein fouet la concurrence étrangère, dès que les mesures de libéralisation seront effectuées.

Face à cette situation d'urgence, notre pays doit améliorer sa compétitivité globale, secteurs public et privé confondus. Les autorités publiques doivent tout d'abord créer un environnement favorable à l'investissement national ou étranger.
Il s'agit de régler le problème foncier, qui constitue souvent un obstacle à l'investissement, de réformer le système fiscal, avec des avantages particuliers pour l'investissement, d'améliorer l'efficacité et la compétence de l'Administration. L'Etat doit également consolider les infrastructures, réformer structurellement l'agriculture, et lutter contre le secteur informel de la contrebande.

Un point tout particulier doit être apporté à la mise à niveau des PME/PMI. Les autorités concernées ont reconnu récemment que les résultats de la mise à niveau, valeur actuelle, sont nettement insuffisants.
Il faut donc revoir la politique suivie jusqu'à maintenant dans cette voie et la modifier si nécessaire, car l'exonération totale des produits industriels sera effective dans huit ans.

Le secteur privé doit à son tour se mettre à niveau pour profiter des opportunités d'exportation ouvertes par les Accords de libre-échange signés, et surtout faire face sur le marché intérieur, à la concurrence étrangère, qui se manifeste déjà maintenant, et qui deviendra implacable à moyen terme.

Pour cela, les entreprises marocaines doivent d'abord faire un diagnostic de leur situation, et établir un plan stratégique adapté à la demande du marché national et international. Elles doivent avec l'aide de l'Etat augmenter les capitaux propres, améliorer leur encadrement et leur équipement, perfectionner la qualification de leur personnel et leur gestion.

En conclusion, on peut dire que le Maroc a fait le bon choix de libérer et d'ouvrir son économie à l'extérieur. Cependant, du fait de cette ouverture, et des Accords de libre-échange déjà signés, les défis sont énormes et le temps limité. Il faudrait une pause dans la signature de nouveaux Accords de libre-échange pour digérer ceux qui sont déjà signés et étudier l'impact réel de ces Accords sur l'économie marocaine. Il faut que très rapidement l'économie marocaine soit mise à niveau, pour supporter le choc du démantèlement douanier, tant du fait des Accords de libre-échange signés, que du fait de la mondialisation, dont la Chine est à l'avant-garde.

*Consultant économiste président de l'IMRI
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