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Après la disparition du grand alem, Haj Abderrahmane Mansouri : la scène culturelle marocaine orpheline d'un éminent érudit

Rarement des qualités d'érudition, de dévotion et de fidélité aux valeurs marocaines authentiques auront été réunies en une personne comme le Alem Abderrahmane Mansouri, décédé le 1er juin à l'âge de 92 ans.
Le Maroc a en effet perdu en lui un homme f

Après la disparition du grand alem, Haj Abderrahmane Mansouri : la scène culturelle marocaine orpheline d'un éminent érudit
Haj Abderrahmane Mansouri,incarnation de la rigueur intellectuelle et patriotisme
Le disparu était soucieux de faire valoir le référentiel islamique authentique du Maroc, tout au long de son parcours dans l'enseignement originel et sa carrière au sein de la magistrature, depuis qu'il a été nommé par feu S.M. le Roi Mohammed V, que Dieu ait son âme, en tant que Cadi pour la région de Bejâad en 1957.

Il s'est depuis investi avec cœur dans le traitement des questions préoccupant les citoyens, en prenant en compte les réalités marocaines sous tous leurs aspects et contingences, particulièrement celles d'une société rurale au milieu du siècle dernier.

Haj Aderrahmane Mansouri est né en 1912 dans la localité de Bzou, sur les contreforts de l'Atlas où il a entamé son cheminement dans le cycle de l'enseignement et ce, dans les conditions difficiles qui marquaient alors cette époque de l'histoire de la campagne marocaine. Il a été ainsi le disciple de plusieurs cheikhs et fqihs de sa localité avant de poursuivre son parcours initiatique dans la région avoisinante, intégrant en 1928 l'Université Ben Youssef à Marrakech qu'il a fréquentée jusqu'en 1935.

Ce fut alors une étape décisive dans sa vie à la faveur des multiples rencontres avec des érudits et des savants illustres qui ont enrichi sa personnalité et lui ont ouvert des perspectives dans l'acquisition du savoir et de la sagesse.

Après avoir mémorisé le Coran à l'âge de 12 ans et maîtrisé les sept lectures du Livre Saint, il a étudié le corpus «Al Ourjoumia» et la compilation « Al Alfia» de Ibn Malek, outre «Touhfat Al Houkkam» d'Ibn Assem. Il s'est ensuite abreuvé dans les ouvrages de référence de l'école malékite, le tout ayant constitué le socle de son érudition dont il a plus tard approfondi les acquis en côtoyant de grands ouléma de l'époque, se faisant agréer par l'érudit Mokhtar Soussi, Mohammed Ben Omar Serghini et Moulay Ahmed Alami entre autres, et s'imprégnant par la même de l'esprit du mouvement de réforme qui a gagné le Maroc depuis la seconde moitié du siècle dernier.

Grâce à ces acquis, la vie de feu Haj Abderrahmane Mansouri a constitué le modèle de l'érudit marocain, à la vision perspicace et à l'esprit éveillé et empreint de modération . Il n'est donc guère étonnant que l'anthropologue américain Dale. K. Eickelman ait centré son étude sur cet érudit dans sa recherche célèbre sur le Maroc intitulée « Le savoir et le pouvoir au Maroc».

Par son parcours exemplaire, feu Abderrahmane Mansouri offre l'exemple d'un cheminement authentique dans la fidélité à l'esprit des traditions marocaines, progressant à travers les différentes étapes de l'enseignement traditionnel, à commencer par la mémorisation du Coran à un âge précoce avant d'emprunter l'itinéraire fastidieux de la maîtrise des disciplines religieuses, particulièrement dans l'enceinte de l'Université Ben Youssef, sur la voie suivie par ses prédécesseurs, qui ont enrichi le corpus de la jurisprudence, notamment au sein de la magistrature. Sur ce registre, il s'est employé à appréhender les contingences de la vie quotidienne des Marocains en milieu rural, saisissant les tréfonds de l'âme marocaine dans le traitement des affaires les concernant, selon une démarche soucieuse des intérêts de la collectivité et de la rectitude des comportements sociaux.

Le parcours de cet homme prend plus de relief à la lumière de ce qu'en racontent les gens qui l'on approché et de ce qu'il en relate lui-même dans ses annales, depuis qu'il a intégré l'université Ben Youssef, à savoir qu' il a constamment cherché à cerner la vraie dimension du rôle social et religieux de l'intellectuel, grâce à son aptitude à percevoir les différents changements qui ont affecté le domaine de l'enseignement originel et les différentes disciplines du savoir qui lui sont liés. L'accès à ce niveau de perception, dans les années quarante et cinquante du siècle dernier, n'était à la portée que de ceux qui s'armaient de qualités rares, en premier lieu l'ouverture d'esprit, la pertinence de l'analyse et la pleine disponibilité à s'abreuver au savoir sans la moindre lassitude ou relâchement.

Son acquis en sciences religieuses, doublé de qualités morales distinguées ont fait de lui une destination très sollicitée pour les fils de la région à la recherche de ses avis éclairés et de conseils à propos de différentes questions, particulièrement sur des sujets se rapportant à son champ d'investigation comme magistrat, sans que cela ne se ressente sur ses autres domaines d'intérêt, à savoir la compilation et l'annotation de documents, les études généalogiques et l'approfondissement des certains aspects afférents aux sciences de la charia et à la langue arabe.

L'anthropologue américain Eickelman écrit à ce propos : «Plus d'une fois, je me suis étonné de l'érudition et des éclairs de perspicacité de Haj Abderrahmane dans ses efforts de dégager la signification et la quintessence d'un document déterminé (…) il faisait la distinction avec prudence entre ses postulats propres concernant les faits et péripéties et la date réelle qu'il considère comme un donnée objective pour l'établissement de laquelle il ne recourt qu'à ce qui est avéré comme relation ou faits réels».

L'anthropologue affirme que «l'effort d'analyse et l'approche pertinente en matière d'interprétation de Haj Abderrahmane Mansouri lui ont permis de se former une conception judicieuse sur l'économie rurale durant la période antérieure et sur les voies des caravanes et leur mode d'organisation». Il ajoute : «Les mémoires de Haj Abderrahmane Mansouri montrent qu'il s'était investi dans un travail ethnographique remarquable (…) et il était plus versé que moi-même dans la connaissance de l'histoire locale, avec une capacité de relater cette histoire et de la rendre intelligible».

«Spécialiste des études sur le Moyen Orient et auteur de nombreuses recherches sur le Maroc, le chercheur américain qui a exercé en tant que professeur à l'université de Dartmont aux Etats Unis indique que Haj Abderrahmane Mansouri lui a ouvert de larges perspectives dans le domaine de la recherche relative aux spécificités culturelles et anthropologiques du Maroc, relevant que Haj Mansouri a fait oeuvre d'excellent annotateur des événements consignés , ce qui l'a plus tard grandement aidé dans sa récapitulation des faits et leur présentation». De même, l'assiduité de Haj Mansouri dans l'écriture de ses mémoires et le catalogage de ses documents personnels, depuis le début des années trente, ont facilité au plus haut point la tâche de Eickelman dans la réalisation de sa célèbre étude sur le savoir et le pouvoir au Maroc.

«Une lecture de cette étude montre que la collaboration de Haj Abderrahmane Masouri avec le chercheur dans ce travail a permis de battre en brèche tous les postulats que se faisait Eickelman sur la nature statique de l'enseignement islamique, tel qu'il le reconnaît lui- même, lorsque insiste à maintes reprises sur le fait que la propension de Haj Abderrahmane à questionner les gens, à approcher avec pertinence les documents et à décortiquer les expressions de l'histoire sociale pour la rendre intelligible, lui ont fait forte impression».

L'on ne trouverait pas meilleur témoignage à l'endroit du disparu autre que celui d'un érudit de la trempe de Haj Habib Naciri, Président du conseil des ouléma de la Chaouia – Ouerdigha et maître de la zaouia Charkaouia de Bejaâd , qui a côtoyé longtemps feu haj Abderrahmane et accompagné son parcours fait d'attachement à la vertu, de rapprochement de Dieu , de dévotion et d'éloignement de tout ce qui conduit à l'égarement .

Haj Habib Naciri dit a ce propos : «Parmi les qualités de l'érudit illustre et grande référence pour tout ce qui concerne les questions de la religion, de l'histoire et de la poésie, Haj Abderrahmane Mansouri, c'est qu'il ne consignait le divorce que s'il en a l'intime conviction, par souci de préserver la cohésion des familles, de prendre soin des enfants et des femmes et d'éviter autant que possible de tomber dans l'acte licite le plus honnis par Dieu».

«Générosité, modestie, probité étaient les qualités premières du défunt, que Dieu ait son âme, outre sa propension à aider les faibles et les démunis, son courage dans la défense du droit et son assiduité à observer les cinq prières dans la mosquée. Il tenait à passer une partie de la nuit en prières, se faisant construire une mosquée attenante à sa maison pour le recueillement, les prières, la méditation et l'invocation de Dieu» .

Le défunt, a-t-il poursuivi, «est issu d'une famille illustre, connue pour ses attaches avec les citoyens, soucieuse de la préservation des constantes de la religion et de la patrie et dévouée au Roi», rappelant que feu Abderrahmane Mansouri a eu le privilège , en compagnie de son frère aîné Hmad d'être reçu par Feu S.M. le Roi Mohammed V, que Dieu ait son âme , quelques jours avant que la résidence générale ne commette la forfaiture de l'exiler hors de la patrie.

Haj Abderrahmane Mansouri qui a occupé le poste d'adoul à Bzou avant qu'il ne soit congédié par les autorités du protectorat pour son attachement à son patriotisme, s'est installé dans la ville de Bejaâd en 1957, suite à sa nomination en tant que Cadi par feu S.M. Mohammed V après son retour triomphal d'exil.
Après sa retraite, Haj Abderahmane Mansouri est demeuré à Bejaâd , siège de la zaouia Charkaouia, préférant rester dans l'imprégnation spirituelle auprès de ce sanctuaire de saints reconnus, pour s'adonner à la prédication, dispenser des causeries religieuses et faire office d'Imam lors des prières du vendredi et deux grandes fêtes religieuses.

Le alem Habib Naciri, chef de la Zaouia Charkaouia de Bejaâd, fait remonter les liens entre les ancêtres de Haj Mansouri avec cette Zaouia à fort longtemps, lorsque l'un des descendants du fondateur de cette zaouia, créée en l'an 920 de l'Hégire, s'était installé à Bzou pour s'occuper de fermage, ce qui a contribué a resserrer les liens avec la famille Mansouri.

Le défunt était aussi féru de littérature arabe classique notamment andalouse, se distinguant par une style hautement raffiné et exhalant une noblesse de sentiments et une sensibilité élevée, comme en témoignent certains vers composés au temps de sa jeunesse, en hommage à la ville de Marrakech qu'il qualifie de «Baghdad du Maroc».
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