Il n'est pas question, ici, de reprendre les termes et le calendrier du débat sur le voile qui a enflammé les esprits, en France et au-delà, pendant plusieurs mois. Mais plutôt de considérer, puisqu'elle est publiée sous forme de livre et se trouve donc à la disposition d'un certain nombre, la réflexion de Régis Debray sur le sujet.
Le président de l'Institut européen en sciences des religions, également l'auteur de Dieu, un itinéraire (Odile Jacob), était membre de la Commission Stasi que Jacques Chirac avait chargée, le 3 juillet dernier, de réfléchir à la mise en œuvre du principe de laïcité inscrit dans la Constitution française.
Ceci, en pleine polémique sur le voile islamique, dans le but de discuter, entre autres choses, de l'opportunité d'une loi interdisant le port de signes religieux à l'école. Régis Debray n'ayant pu assister aux dernières délibérations de la Commission, qui a remis son rapport le 11 décembre, il s'est livré à une contribution écrite. Celle-ci a ensuite été publiée ensuite sous le titre Ce que nous voile le voile.
De fait, le voile est la première question que l'essayiste aborde, conformément à l'ordre choisi par le Président de la République dans une lettre de mission qui va “ du moins au plus préoccupant ”. Mais, il s'agit d'une “ question secondaire ”, pour Régis Debray, d'un “ léger symptôme ” qui dissimule des périls bien plus graves. Selon lui, le “ changement d'ère technologique ” a engendré un “ basculement de civilisation ” qui altère les règles du jeu laïque et oblige la République, l'école, et les citoyens à se repositionner.
A ce propos, Régis Debray souligne les faiblesses d'une République qui n'a pas su, à travers son école, ses institutions, ses symboliques nationales, susciter un sentiment d'attachement autour de ses valeurs. Ce que cache le voile, c'est, à son avis, tout ce qui affecte l'“ être-ensemble républicain ”. La polémique sur le foulard ne serait donc qu'un révélateur de la crise du “logiciel” national, de “ l'effritement du ciment collectif ”, de “ l'évanescence du point de fuite à l'horizon ” qui fait converger tous les membres de plusieurs communautés vers une communauté supérieure fédératrice.
Bien moins qu'une analyse sur le problème du foulard, cet ouvrage est un appel visant à refonder l'idéal laïque. Il faudrait d'abord admettre l'existence d'un “ sacré républicain ” : la République n'est pas “ un lieu vide porteur d'aucune finalité ni credo ”, défend Régis Debray, mais “ une religion sans religion, avec ses emblèmes, ses hérésies, ses grands prêtres, ses martyres et ses victimes ”.
Pour combattre la “ tribalisation en cours ”, il défend plusieurs idées susceptibles de restaurer le pacte de citoyenneté, comme l'instauration d'un service civil, offrant un entraînement à “ l'ouverture laïque sur les autres ”, et la réhabilitation des communautés, considérées comme “ moyens de défense et de survie ”. Reconnaissance réciproque de l'égale dignité des cultures ”, serait le nouveau sens à donner à laïcité.
L'école comme pivot de la construction républicaine
Comme pivot de la construction républicaine pour Régis Debray : l'école, cet “ asile inviolable ”, ce lieu de transmission où devraient être proscrits les outils de communication tel, le téléphone portable. Pour bien faire, l'école devrait être “ soustraite aux effets de groupe ”, car “ une classe n'est pas une tribu ” mais un espace où tous les individus, égaux, ne devraient pas pouvoir être identifiés au premier regard, explique Régis Debray.
D'où, selon lui, la nécessité d'une loi interdisant “ les signes visibles de propagande politique, religieuse et commerciale ” à l'école. Tout emblème, que ce soit un foulard, une croix ou un T-shirt Nike est visé en ce qu'il risque de provoquer “ l'irritation, l'indignation, la concurrence ou la surenchère ” dans un établissement.
En effet, “ toute identité communautaire se pose en s'opposant et il n'est pas d'ostentation d'une différence qui n'en suscite une autre en contre-pied. ” Et la menace commerciale est posée par Régis Debray comme plus forte que celle des intégrismes religieux. “ Les parents font des enfants, seule l'école fait des élèves ”.
C'est un certain idéal de l'école que Régis Debray entend protéger. “ Les lois n'ont pas qu'une fonction répressive. Elles sont aussi une vertu expressive. (…) Seule une loi peut établir une hiérarchie entre la liberté individuelle d'expression et l'égalité entre les hommes et les femmes ”. Et seule une loi peut faire la balance entre le droit de transmettre sa foi et la neutralité de l'Etat que l'école se doit d'afficher, le devoir d'exclusion de gêneurs à l'école et le droit de tous à l'éducation.
Régis Debray insiste sur son attachement aux convictions religieuses qu'il n'est pas question de rejeter avec une loi mais bien plutôt de préserver. “ Respecter la liberté religieuse, c'est donc dans les faits lui ménager des aires et des temps de présence et de représentation ”. Reste que l'école ne doit pas être cet espace : “ L'Education nationale sert en France d'avant poste au maintien d'un ressourcement égalitaire bénéfique aux plus démunis, et aux tenants lucides d'un Islam de France. (…) Le bouclier laïque sauvegarde un refuge ouvert à tous, non pas pluri-communautaire mais trans-communautaire ”, précisait-il en début de contribution.
De quoi prévenir les réactions de rejet face à un sujet épidermique qu'il a le mérite d'aborder avec le plus de calme et de clarté possible. Certes, s'adressant d'abord aux membres de la Commission Stasi, Régis Debray ne passe pas par toutes les explications qu'auraient suscité un ouvrage didactique destiné au grand public.
Par ailleurs, il traite un peu rapidement et plus confusément certaines questions comme l'expression des convictions religieuses sur les lieux de travail, les lieux publics, ou les espaces de loisir. Il y soulevait pourtant un litige important concernant la délimitation entre l'espace public et la sphère privée.
Mais, en dépit d'à-peu-près, dont il s'excuse, Régis Debray est néanmoins parvenu à aborder la question du voile à l'école avec calme et clarté, préservant les susceptibilités pour mieux recentrer le débat sur le thème plus fédérateur du devenir républicain. Rendu en décembre, le rapport de la Commission Stasi allait dans son sens.
Mais la loi votée en février à l'Assemblée et en mars au Sénat n'a retenu que l'interdiction du port de signes religieux à l'école, s'en tenant ainsi au “ symptôme ” dont parlait Debray, reléguant les questions de fond aux calendes grecques. L'école se voyant, pour finir, conduite à se battre avec les modalités d'application d'une loi que beaucoup jugent absurde en l'état.
Ce que nous voile le voile. La République et le sacré de Régis Debray, Ed. Gallimard, 54 p.
Le président de l'Institut européen en sciences des religions, également l'auteur de Dieu, un itinéraire (Odile Jacob), était membre de la Commission Stasi que Jacques Chirac avait chargée, le 3 juillet dernier, de réfléchir à la mise en œuvre du principe de laïcité inscrit dans la Constitution française.
Ceci, en pleine polémique sur le voile islamique, dans le but de discuter, entre autres choses, de l'opportunité d'une loi interdisant le port de signes religieux à l'école. Régis Debray n'ayant pu assister aux dernières délibérations de la Commission, qui a remis son rapport le 11 décembre, il s'est livré à une contribution écrite. Celle-ci a ensuite été publiée ensuite sous le titre Ce que nous voile le voile.
De fait, le voile est la première question que l'essayiste aborde, conformément à l'ordre choisi par le Président de la République dans une lettre de mission qui va “ du moins au plus préoccupant ”. Mais, il s'agit d'une “ question secondaire ”, pour Régis Debray, d'un “ léger symptôme ” qui dissimule des périls bien plus graves. Selon lui, le “ changement d'ère technologique ” a engendré un “ basculement de civilisation ” qui altère les règles du jeu laïque et oblige la République, l'école, et les citoyens à se repositionner.
A ce propos, Régis Debray souligne les faiblesses d'une République qui n'a pas su, à travers son école, ses institutions, ses symboliques nationales, susciter un sentiment d'attachement autour de ses valeurs. Ce que cache le voile, c'est, à son avis, tout ce qui affecte l'“ être-ensemble républicain ”. La polémique sur le foulard ne serait donc qu'un révélateur de la crise du “logiciel” national, de “ l'effritement du ciment collectif ”, de “ l'évanescence du point de fuite à l'horizon ” qui fait converger tous les membres de plusieurs communautés vers une communauté supérieure fédératrice.
Bien moins qu'une analyse sur le problème du foulard, cet ouvrage est un appel visant à refonder l'idéal laïque. Il faudrait d'abord admettre l'existence d'un “ sacré républicain ” : la République n'est pas “ un lieu vide porteur d'aucune finalité ni credo ”, défend Régis Debray, mais “ une religion sans religion, avec ses emblèmes, ses hérésies, ses grands prêtres, ses martyres et ses victimes ”.
Pour combattre la “ tribalisation en cours ”, il défend plusieurs idées susceptibles de restaurer le pacte de citoyenneté, comme l'instauration d'un service civil, offrant un entraînement à “ l'ouverture laïque sur les autres ”, et la réhabilitation des communautés, considérées comme “ moyens de défense et de survie ”. Reconnaissance réciproque de l'égale dignité des cultures ”, serait le nouveau sens à donner à laïcité.
L'école comme pivot de la construction républicaine
Comme pivot de la construction républicaine pour Régis Debray : l'école, cet “ asile inviolable ”, ce lieu de transmission où devraient être proscrits les outils de communication tel, le téléphone portable. Pour bien faire, l'école devrait être “ soustraite aux effets de groupe ”, car “ une classe n'est pas une tribu ” mais un espace où tous les individus, égaux, ne devraient pas pouvoir être identifiés au premier regard, explique Régis Debray.
D'où, selon lui, la nécessité d'une loi interdisant “ les signes visibles de propagande politique, religieuse et commerciale ” à l'école. Tout emblème, que ce soit un foulard, une croix ou un T-shirt Nike est visé en ce qu'il risque de provoquer “ l'irritation, l'indignation, la concurrence ou la surenchère ” dans un établissement.
En effet, “ toute identité communautaire se pose en s'opposant et il n'est pas d'ostentation d'une différence qui n'en suscite une autre en contre-pied. ” Et la menace commerciale est posée par Régis Debray comme plus forte que celle des intégrismes religieux. “ Les parents font des enfants, seule l'école fait des élèves ”.
C'est un certain idéal de l'école que Régis Debray entend protéger. “ Les lois n'ont pas qu'une fonction répressive. Elles sont aussi une vertu expressive. (…) Seule une loi peut établir une hiérarchie entre la liberté individuelle d'expression et l'égalité entre les hommes et les femmes ”. Et seule une loi peut faire la balance entre le droit de transmettre sa foi et la neutralité de l'Etat que l'école se doit d'afficher, le devoir d'exclusion de gêneurs à l'école et le droit de tous à l'éducation.
Régis Debray insiste sur son attachement aux convictions religieuses qu'il n'est pas question de rejeter avec une loi mais bien plutôt de préserver. “ Respecter la liberté religieuse, c'est donc dans les faits lui ménager des aires et des temps de présence et de représentation ”. Reste que l'école ne doit pas être cet espace : “ L'Education nationale sert en France d'avant poste au maintien d'un ressourcement égalitaire bénéfique aux plus démunis, et aux tenants lucides d'un Islam de France. (…) Le bouclier laïque sauvegarde un refuge ouvert à tous, non pas pluri-communautaire mais trans-communautaire ”, précisait-il en début de contribution.
De quoi prévenir les réactions de rejet face à un sujet épidermique qu'il a le mérite d'aborder avec le plus de calme et de clarté possible. Certes, s'adressant d'abord aux membres de la Commission Stasi, Régis Debray ne passe pas par toutes les explications qu'auraient suscité un ouvrage didactique destiné au grand public.
Par ailleurs, il traite un peu rapidement et plus confusément certaines questions comme l'expression des convictions religieuses sur les lieux de travail, les lieux publics, ou les espaces de loisir. Il y soulevait pourtant un litige important concernant la délimitation entre l'espace public et la sphère privée.
Mais, en dépit d'à-peu-près, dont il s'excuse, Régis Debray est néanmoins parvenu à aborder la question du voile à l'école avec calme et clarté, préservant les susceptibilités pour mieux recentrer le débat sur le thème plus fédérateur du devenir républicain. Rendu en décembre, le rapport de la Commission Stasi allait dans son sens.
Mais la loi votée en février à l'Assemblée et en mars au Sénat n'a retenu que l'interdiction du port de signes religieux à l'école, s'en tenant ainsi au “ symptôme ” dont parlait Debray, reléguant les questions de fond aux calendes grecques. L'école se voyant, pour finir, conduite à se battre avec les modalités d'application d'une loi que beaucoup jugent absurde en l'état.
Ce que nous voile le voile. La République et le sacré de Régis Debray, Ed. Gallimard, 54 p.
