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Dans un beau film intimiste : Chahine en veut à l'Amérique sans la haïr

Si l'on considère le conflit comme étant le centre de toute dramaturgie, puisqu'il est l'un des principaux thèmes de la vie, il dépasse dans le cinéma de Youssef Chahine et de très loin, cette entité. Il est à la fois sujet et élément moteur. Et pour caus

Dans un beau film intimiste : Chahine en veut à l'Amérique sans la haïr
Ils deviennent un outil pour ces conflits, et même sa façon à lui de régler ses différends avec les diverses parties qui lui sont opposées.
Chahine va souvent au-delà de la mission classique qui incombe à tout réalisateur, et qui consiste en un récit d'évènements au travers d'un style attrayant.

Dans ses premiers films- marquant le début de son parcours cinématographique- on constatait bien que les contradictions personnelles de Chahine s'inscrivaient dans un cadre global, celui des thèmes abordés.

C'était en quelque sorte un engagement à la fois personnel et général. Aujourd'hui, et à l'exception de quelques comédies musicales et des films récents, tous les films de Chahine ont un caractère engagé. Ils suscitent un véritable engouement chez les intellectuels, car ils reflètent, en fait, leurs propres, positions, notamment les films coécrit en collaboration avec certains écrivains de gauche (“ La terre ”, “ Le choix ” “ Le moineau ” et “ Le retour de l'enfant prodigue ”).

Dans ses films chahino-chahiniens, donc les plus récents, l'engagement public est devenu partie intégrante de son engagement personnel, et non le contraire. Il y a aussi une hausse du degré d'antagonisme, lequel reflète en quelque sorte la personnalité de Chahine, à la base combative et conflictuelle.
Cet antagonisme renferme aussi une sorte de règlement de compte, comme nous l'avons remarqué dans ses deux films “ Le destin ” et “ Alexandrie… encore et encore ”.

Partant de là nous avons attendu le nouveau film de Youssef Chahine, qui devait s'intituler “ La colère ”, notamment suite à la succession d'événements qu'a vécus le monde arabe, après les attentats de new York et Washington, et aussi après le déclenchement de la guerre en Irak. Une guerre voulue par les Etats-Unis au mépris de l'opinion arabe et internationale.

Seulement Youssef Chahine a renoncé au titre colère au profit de celui d'“d'Alexandrie-New York”. Et il a bien fait, le film, n'est pas un règlement de compte nerveux avec les Etats-Unis, mais une remise en cause globale des relations avec l'Amérique, au travers d'une relation personnelle de Chahine avec ce pays. Il y a étudié, il l'a aimé et y a vécu de bons moments, notamment une histoire d'amour qui a constitué le thème et le contexte de ce film- remise en cause.

Dans ce film, il y a un retour profond vers son autobiographie, en toute spontanéité et franchise, propre à Chahine. Il s'agit d'une importante étape de sa vie, jamais encore évoquée dans ses films.

Le héros de ce film : un grand cinéaste égyptien, qui retourne à New York, pour un hommage qui lui sera rendu. Avec ce retour, il renoue avec ses anciennes relations. Il y regarde de plus près et découvre alors qu'il a un enfant, fruit d'une histoire d'amour qu'il avait vécue à New York. Il n'avait jamais soupçonné l'existence de cet enfant, né après son retour imprévu en Egypte. La mère avait donc choisi d'élever son enfant loin du regard et de la connaissance de ce père, dont les nouvelles étaient interrompues subitement.

Chahine se retrouve donc entre deux femmes. Son amour de jeunesse à New York, devenue la mère de son enfant unique, et son épouse qui l'accompagne et qui ne lui a pas donné d'enfants. Une première femme qui pousse son fils à établir une bonne relation avec son père, et une deuxième qui accepte, plus encore, elle s'enthousiasme à l'idée qu'il ait un enfant, malgré le fait qu'elle se retrouvera, d'une manière ou d'une autre, marginalisée.

Le fils se rebelle et refuse d'établir une relation avec ce père. Ce refus reflète d'un côté une indignation exprimée envers ce père absent, perdu, qui l'avait abandonné avec sa mère des années durant, mais exprime un refus de changement de son rythme de vie à cause d'un père inconnu, et venu d'un autre monde. Un monde loin d'être civilisé, selon lui.

Le réalisateur, le père (Youssef Chahine) se trouve donc devant un conflit assez complexe, auquel il ne s'attendait pas du tout. Il se trouve face à un nouveau défi, celui du refus exprimé par son fils lui-même, acteur de théâtre. Dans ce combat, le père (réalisateur), rassemble toute la rigueur et tous les sentiments de père qui ont éclos chez lui, afin d'entourer cette perturbation d'un cadre qui encouragera le fils de sortir petit à petit d'un état de refus sans appel, pour atterrir dans une phase précédant sa compréhension, en regardant intensivement les films de son père.

Chose qui ouvrira les portes d'une acceptation du père. Dans son retour aux souvenirs et aux flash backs, Chahine dépasse les limites de cette “ non-relation ” soudaine avec un fils, pour englober sa relation vieille avec l'Amérique.

Il aurait pu s'y installer et travailler à Hollywood, si ce n'était la décision d'obéir aux vœux des parents et à leur insistance pour qu'il retourne en Egypte, et donne l'image qu'il avait d'une Amérique plus harmonieuse, que celle d'aujourd'hui : une Amérique provocatrice à travers une politique d'agression vis-à-vis des Arabes.

Et bien que Chahine exprime une certaine colère à l'égard des USA, et sa profonde déception, il tient à montrer qu'il ne déteste pas, plus encore, il l'aime et il insiste beaucoup sur cet amour comme s'il aspirait à des bases nouvelles pour une nouvelle qu'il entretiendrait avec elle. Des bases d'admiration et de respect réciproques.

Sans doute que cette position ainsi exprimée est plus éloquente, plus profonde et plus convaincante, qu'une expression de colère qui peut nourrir ou risque de nourrir les courants extrémistes au sein des Etats-Unis et ceux des opposants aux Etats-Unis.

Bien que Youssef Chahine ne dilue en rien son ton de colère et ne revient pas sur ses positions initiales opposées à la politique américaine et notamment sa politique arabe, le film sonne comme un discours de réconciliation ou en faveur d'une réconciliation, et peut aussi être interprété comme une tentative de dialogue ou une tentative pour lancer le dialogue.

Alors que dans les récents films de Chahine, la colère semble avoir pris le pas sur la charge sentimentale, ils ne sont en réalité pas dénués de sentiments, mais un produit de mélancolie forte et radicale, comme c'était le cas dans le film “Alexandrie encore et encore”. Dans ce film, il ne déroge pas à la règle, il a produit ce film avec une intimité forte et étonnante. Elle a permis la construction de la fiction à la façon romantique. Probablement, parce qu'il a évoqué ce fils qu'il n'a pas eu ou du moins qu'il n'a pas connu.

“Alexandrie-New York” est un film mature et de souvenirs, mais comme tous les films de Chahine, il renferme une charge qui donne aux personnages, aux événements et aux rythmes de la fiction plus d'éclat.

Ce n'est pas un film sur les jeunes, c'est un film jeune, où les souvenirs cèdent la place aux rêves, un rêve que vit le fils à travers une passionnante histoire d'amour filmée merveilleusement et esthétiquement par Chahine, même s'il a recouru à la fin à la suppression de plusieurs séquences surtout les belles scènes de danse classique interprétées par la fille, et qui influe négativement sur la vivacité du rythme et de la fiction.

Avec un classicisme moderne, Chahine élabore son film où il donne la part propre à chacun des personnages, y compris les personnages féminins, bien que l'on ait accusé d'ignorer dans ses derniers films. Il a su diriger ses actrices avec une grande précision, on retrouve “Loublouba” dans le rôle de la femme du réalisateur, “Majda et Khatib” et “Hala Sidki” dans un de leur meilleur rôle, il y a aussi “Yussra”, plus belle et plus élégante que jamais, il demeure qu'elle est très différente.

Quant à “Ahmed Yahia”, il révèle un grand talent d'acteur dans le rôle du fils du réalisateur, ainsi que la jeune et jolie fille qui a partagé son histoire d'amour. Idem pour le jeu de la maîtresse de maison qui louait des chambres aux étudiants et partageait avec eux son lit. Mais le jeu qui nous a le plus surprit était celui de “Mahmoud Himida” dans le rôle du réalisateur adulte. Il a sorti ses limites de sa beauté et de son assiduité habituelle pour se révéler comme un acteur doué, lequel a pu évoluer et donner beaucoup de présence.

Dans tous les films de Chahine, les prises photos sont caractérisées par une grande esthétique et une efficacité dramatique, mais dans celui-ci, “Ramssis Marzouk”, a su donner un apport nouveau qui a confirmé son talent comme l'un des plus grands et des plus modernistes directeurs artistiques en Egypte.

“Alexandrie-New York” est sans doute l'un des plus beaux films de Youssef Chahine, et le plus intimiste. C'est un film qui confirme la maturité continuelle du cinéaste et confirme aussi qu'à l'âge de 78 ans, il reste très sentimental et dispose d'une force capable de nous surprendre à chaque fois.
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