Le Matin : Le Rassemblement de Gauche Démocratique est né il y a quelques semaines. On est tenté de dire “ un rassemblement de plus ”. Quel est pour vous le sens de ce rassemblement ? Et qu'est-ce qui le distingue des autres ?
Ahmed Benjelloun : Cette composante de ce Rassemblement a manifesté une ferme volonté d'aller vers la constitution d'un grand rassemblement. Il y en a qui sont très vite vers la constitution d'un grand parti socialiste de gauche dans notre pays. Chacun de nous a pris alors conscience qu'à lui seul il ne peut pas changer les rapports de force, comme on dit dans notre jargon, en faveur des masses populaires déshéritées.
Résultat, et en appliquant la bonne vieille devise selon laquelle “ l'union fait la force ” et alors que la vie politique a évolué vers l'adhésion à tout ce que fait le pouvoir tant sur les plans économique que politique, il fallait qu'émerge une force de gauche qui représente un autre son de cloche. La démocratie a besoin d'une vraie opposition, d'idées contradictoires à celles de la ligne officielle. Finalement, nous nous distinguons par le fait que nous nous voulons un parti qui exprime les aspirations et les revendications de la classe ouvrière et du peuple travailleur.
Or, maintenant, ce peuple travailleur est pratiquement désarmé devant la montée de la mondialisation, devant ce libéralisme absolument sauvage, devant cette économie de rente, devant les privilèges, devant la dilapidation des deniers publics, devant la démocratie formelle.
Parce qu'une vraie démocratie donnerait un gouvernement responsable et des institutions législatives capables de légiférer et d'exercer un vrai contrôle sur l'Exécutif lequel devrait être en mesure d'établir un vrai programme capable de sortir le pays de la crise économique et le lancer dans un vrai développement intégré avec une économie libérée de toute domination impérialiste et de celle des institutions financières internationales.
A la lumière de ce que vous venez d'expliquer, que répondriez-vous au fait qu'on vous présente déjà comme l'union des refuznik ?
Nous ne sommes pas des refuznik parce qu'il y a parmi nous des composantes qui ont participé aux élections… Cela n'empêche qu'ils ont pris conscience –peut-être un peu trop tard !- que les élections n'étaient pas transparentes et que le cadre constitutionnel ne représentait pas une vraie garantie des libertés publiques et de la protection des droits humains.
Et nous qui avons boycotté les élections depuis 1983, nous ne sommes pas non plus des refuznik. Nous sommes prêts à participer à l'édification du pays, mais d'une autre manière.
Dans le même temps, le congrès national ittihadi et la GSU qui composent ce nouveau rassemblement de gauche ont participé aux dernières élections. En les rejoignant, votre parti, le PADS, deviendrait-il participationniste convaincu qu'on peut changer les choses de l'intérieur?
Pas nécessairement. Cela peut être aussi le contraire. Dans mon discours prononcé à l'occasion de la constitution de notre nouveau rassemblement j'ai bien précisé que la question des élections pouvait représenter un point de divergence possible. Rien n'est tranché jusqu'à maintenant. Sur la base de la plate-forme que nous avons adoptée et qui constitue la base de ce rassemblement, nous prendrons la décision adéquate au moment voulu aussi bien pour les élections que pour tout autre problème.
Il y a un peu plus d'un an, aussi bien le PADS que Ennahj Addimokrati avaient décliné l'invitation à rejoindre la Gauche socialiste unifiée (GSU). Aujourd'hui, c'est chose faite et vous les rejoignez. Qui a évolué et qu'est-ce qui s'est passé ?
D'abord nous n'avons reçu aucun appel de la GSU ni de quiconque. Nous avions d'ailleurs dit à l'époque que le PADS était évité comme l'anthrax. On a bien précisé que pour être de gauche, il faut être socialiste d'abord.
Sur cela, on est en principe d'accord. Nous avons affirmé que nous allions agir sur la base d'idéaux, de principes et d'idéologie socialiste avec tout ce qu'elle comporte comme valeur humaine et universalisme et sur la base bien sûr démocratique. C'est à dire un socialisme édifié sur une base démocratique et la volonté populaire et non pas sur une quelconque bureaucratie. En résumé, il s'agit de mener le combat pour l'édification d'une vraie démocratie et, en parallèle, de lutter aux côtés de la classe ouvrière et des travailleurs en général pour l'amélioration de leurs conditions de vie.
Ce rassemblement de gauche est finalement une nécessité sociale, politique dans notre société. Il ne faut pas se leurrer : l'unanimisme tue toute société. Nous pouvons, nous, participer aux élections et dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais est-ce réellement rendre service à la démocratie ?
Parce qu'en face, vous récoltez la montée intégriste. D'autant que devant le désespoir, le chômage, la pauvreté, l'analphabétisme, il faut une gauche unie, forte et responsable qui puisse encadrer les masses populaires.
Vous parlez d'une gauche unie. On constate la difficile émergence d'un pôle de gauche où l'on retrouverait l'USFP et l'alliance socialiste par exemple . En créant le rassemblement de gauche démocratique, n'avez-vous pas le sentiment de participer à l'atomisation de la gauche au Maroc ?
Au contraire. Ce n'est pas une atomisation mais d'abord un rassemblement. Nous étions déjà atomisés puisque nous étions 5. Nous en sommes aujourd'hui à la simple coordination en espérant arriver à une vraie fusion.
Dans ce rassemblement de la gauche démocratique, il y a trois composantes issues de l'USFP. Le 8 mai 1983, qui est responsable de cette scission de laquelle est né le PADS ? Nous ou le bureau politique USFP de l'époque ? IL faut poser la question au congrès national Ittihadi de Bouzoubaa de savoir qui là encore responsable de la division. Ceci est valable pour “ Fidélité à la démocratie ”. Il fallait poser la question, il y a 35 ans, à Ali Yata pour savoir qui est responsable de la scission de tout un groupe et à leur tête Serfaty lequel a donné Ila Al Amam puis Ennahj Addimokratri.
Nous ne participons pas à l'atomisation de la vie partisane. Nous essayons au contraire de recoller ses morceaux. Je persiste et signe : pour être gauche, il faut être socialiste. Maintenant, on ne sait pas qui est qui. Vous dites que l'USFP est un parti de gauche. Moi, je dis qu'il ne faut pas une loupe mais un microscope pour trouver un vrai socialiste au sein de l'USFP actuellement.
L'union du peuple de gauche relève-t-elle alors du mythe et de l'utopie ?
Absolument pas. Le socialisme a échoué dans le bloc soviétique parce que ce n'était pas un vrai socialisme avec toute sa puissance démocratique et humaniste. C'était un capitalisme d'Etat, une bureaucratie d'apparatchiks qui ont défiguré le socialisme. Le Mur de Berlin est tombé, comme il me plaît de répéter à chaque fois, mais la grande muraille de Chine reste debout, plus solide que l'ennui.
Parce que justement le parti communiste chinois a eu l'intelligence de libéraliser la vie économique, etc. Le Viet-Nam qui a le taux de croissance le plus fort au monde a réussi à marier l'économie socialiste à celle libérale.
Ce n'est pas une utopie. Le libéralisme, le capitalisme, ce n'est pas la fin de l'Histoire. Le plus grand théoricien du capitalisme met en garde contre le capitalisme mondial et contre cette fausse idée. Il disait en substance :“ Attention, le socialisme reviendra plus intelligemment et plus fort que jamais et à ce moment-là vous regretterez vos utopies et vos rêves de domination ”.
Lénine disait que l'impérialisme était la phase suprême du capitalisme. Je crois que maintenant c'est le colonialisme impérialiste qui est devenu la phase suprême du capitalisme. Ils ne se contentent plus de dominer l'économie mondiale à travers les institutions financières et les multinationales, ils sont passé directement à la politique de la canonnière et à l'occupation colonialiste comme on l'a vu en Afghanistan ou en Irak
Vous parlez de capitalisme, d'impérialisme, de communisme. Vous invoquez Lénine. N'avez-vous pas peur que votre discours éloigne plus encore les jeunes générations de la politique ?
Les jeunes générations doivent être formées et prendre conscience du capitalisme et du libéralisme sauvage. La réalité sociale, la réalité de l'humanité dictent de nous demander pourquoi ces guerres , pourquoi cette misère. Je ne pense pas que ce soit le socialisme qui est responsable des bidonvilles, de l pauvreté, du chômage. Plutôt l'impérialisme et le capitalisme. Le socialisme est un idéal dont la faisabilité peut être concrétisé. Ce n'est pas une utopie.
Les rêves de grand soir ont-ils encore du sens aujourd'hui en 2004 ? Et quelle peut être une vraie utopie de gauche qui serait mobilisatrice ?
L'utopie mobilisatrice pour notre pays , c'est la démocratie. Je ne dis pas que demain on va édifier une société socialiste. Ceci est un projet à très, très long terme et à la limite une utopie, un mirage que nous suivrons toujours. Mais c'est une utopie mobilisatrice, une boussole, un garde-fou contre toutes les déviations, les injustices, les ignominies.
Ahmed Benjelloun : Cette composante de ce Rassemblement a manifesté une ferme volonté d'aller vers la constitution d'un grand rassemblement. Il y en a qui sont très vite vers la constitution d'un grand parti socialiste de gauche dans notre pays. Chacun de nous a pris alors conscience qu'à lui seul il ne peut pas changer les rapports de force, comme on dit dans notre jargon, en faveur des masses populaires déshéritées.
Résultat, et en appliquant la bonne vieille devise selon laquelle “ l'union fait la force ” et alors que la vie politique a évolué vers l'adhésion à tout ce que fait le pouvoir tant sur les plans économique que politique, il fallait qu'émerge une force de gauche qui représente un autre son de cloche. La démocratie a besoin d'une vraie opposition, d'idées contradictoires à celles de la ligne officielle. Finalement, nous nous distinguons par le fait que nous nous voulons un parti qui exprime les aspirations et les revendications de la classe ouvrière et du peuple travailleur.
Or, maintenant, ce peuple travailleur est pratiquement désarmé devant la montée de la mondialisation, devant ce libéralisme absolument sauvage, devant cette économie de rente, devant les privilèges, devant la dilapidation des deniers publics, devant la démocratie formelle.
Parce qu'une vraie démocratie donnerait un gouvernement responsable et des institutions législatives capables de légiférer et d'exercer un vrai contrôle sur l'Exécutif lequel devrait être en mesure d'établir un vrai programme capable de sortir le pays de la crise économique et le lancer dans un vrai développement intégré avec une économie libérée de toute domination impérialiste et de celle des institutions financières internationales.
A la lumière de ce que vous venez d'expliquer, que répondriez-vous au fait qu'on vous présente déjà comme l'union des refuznik ?
Nous ne sommes pas des refuznik parce qu'il y a parmi nous des composantes qui ont participé aux élections… Cela n'empêche qu'ils ont pris conscience –peut-être un peu trop tard !- que les élections n'étaient pas transparentes et que le cadre constitutionnel ne représentait pas une vraie garantie des libertés publiques et de la protection des droits humains.
Et nous qui avons boycotté les élections depuis 1983, nous ne sommes pas non plus des refuznik. Nous sommes prêts à participer à l'édification du pays, mais d'une autre manière.
Dans le même temps, le congrès national ittihadi et la GSU qui composent ce nouveau rassemblement de gauche ont participé aux dernières élections. En les rejoignant, votre parti, le PADS, deviendrait-il participationniste convaincu qu'on peut changer les choses de l'intérieur?
Pas nécessairement. Cela peut être aussi le contraire. Dans mon discours prononcé à l'occasion de la constitution de notre nouveau rassemblement j'ai bien précisé que la question des élections pouvait représenter un point de divergence possible. Rien n'est tranché jusqu'à maintenant. Sur la base de la plate-forme que nous avons adoptée et qui constitue la base de ce rassemblement, nous prendrons la décision adéquate au moment voulu aussi bien pour les élections que pour tout autre problème.
Il y a un peu plus d'un an, aussi bien le PADS que Ennahj Addimokrati avaient décliné l'invitation à rejoindre la Gauche socialiste unifiée (GSU). Aujourd'hui, c'est chose faite et vous les rejoignez. Qui a évolué et qu'est-ce qui s'est passé ?
D'abord nous n'avons reçu aucun appel de la GSU ni de quiconque. Nous avions d'ailleurs dit à l'époque que le PADS était évité comme l'anthrax. On a bien précisé que pour être de gauche, il faut être socialiste d'abord.
Sur cela, on est en principe d'accord. Nous avons affirmé que nous allions agir sur la base d'idéaux, de principes et d'idéologie socialiste avec tout ce qu'elle comporte comme valeur humaine et universalisme et sur la base bien sûr démocratique. C'est à dire un socialisme édifié sur une base démocratique et la volonté populaire et non pas sur une quelconque bureaucratie. En résumé, il s'agit de mener le combat pour l'édification d'une vraie démocratie et, en parallèle, de lutter aux côtés de la classe ouvrière et des travailleurs en général pour l'amélioration de leurs conditions de vie.
Ce rassemblement de gauche est finalement une nécessité sociale, politique dans notre société. Il ne faut pas se leurrer : l'unanimisme tue toute société. Nous pouvons, nous, participer aux élections et dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais est-ce réellement rendre service à la démocratie ?
Parce qu'en face, vous récoltez la montée intégriste. D'autant que devant le désespoir, le chômage, la pauvreté, l'analphabétisme, il faut une gauche unie, forte et responsable qui puisse encadrer les masses populaires.
Vous parlez d'une gauche unie. On constate la difficile émergence d'un pôle de gauche où l'on retrouverait l'USFP et l'alliance socialiste par exemple . En créant le rassemblement de gauche démocratique, n'avez-vous pas le sentiment de participer à l'atomisation de la gauche au Maroc ?
Au contraire. Ce n'est pas une atomisation mais d'abord un rassemblement. Nous étions déjà atomisés puisque nous étions 5. Nous en sommes aujourd'hui à la simple coordination en espérant arriver à une vraie fusion.
Dans ce rassemblement de la gauche démocratique, il y a trois composantes issues de l'USFP. Le 8 mai 1983, qui est responsable de cette scission de laquelle est né le PADS ? Nous ou le bureau politique USFP de l'époque ? IL faut poser la question au congrès national Ittihadi de Bouzoubaa de savoir qui là encore responsable de la division. Ceci est valable pour “ Fidélité à la démocratie ”. Il fallait poser la question, il y a 35 ans, à Ali Yata pour savoir qui est responsable de la scission de tout un groupe et à leur tête Serfaty lequel a donné Ila Al Amam puis Ennahj Addimokratri.
Nous ne participons pas à l'atomisation de la vie partisane. Nous essayons au contraire de recoller ses morceaux. Je persiste et signe : pour être gauche, il faut être socialiste. Maintenant, on ne sait pas qui est qui. Vous dites que l'USFP est un parti de gauche. Moi, je dis qu'il ne faut pas une loupe mais un microscope pour trouver un vrai socialiste au sein de l'USFP actuellement.
L'union du peuple de gauche relève-t-elle alors du mythe et de l'utopie ?
Absolument pas. Le socialisme a échoué dans le bloc soviétique parce que ce n'était pas un vrai socialisme avec toute sa puissance démocratique et humaniste. C'était un capitalisme d'Etat, une bureaucratie d'apparatchiks qui ont défiguré le socialisme. Le Mur de Berlin est tombé, comme il me plaît de répéter à chaque fois, mais la grande muraille de Chine reste debout, plus solide que l'ennui.
Parce que justement le parti communiste chinois a eu l'intelligence de libéraliser la vie économique, etc. Le Viet-Nam qui a le taux de croissance le plus fort au monde a réussi à marier l'économie socialiste à celle libérale.
Ce n'est pas une utopie. Le libéralisme, le capitalisme, ce n'est pas la fin de l'Histoire. Le plus grand théoricien du capitalisme met en garde contre le capitalisme mondial et contre cette fausse idée. Il disait en substance :“ Attention, le socialisme reviendra plus intelligemment et plus fort que jamais et à ce moment-là vous regretterez vos utopies et vos rêves de domination ”.
Lénine disait que l'impérialisme était la phase suprême du capitalisme. Je crois que maintenant c'est le colonialisme impérialiste qui est devenu la phase suprême du capitalisme. Ils ne se contentent plus de dominer l'économie mondiale à travers les institutions financières et les multinationales, ils sont passé directement à la politique de la canonnière et à l'occupation colonialiste comme on l'a vu en Afghanistan ou en Irak
Vous parlez de capitalisme, d'impérialisme, de communisme. Vous invoquez Lénine. N'avez-vous pas peur que votre discours éloigne plus encore les jeunes générations de la politique ?
Les jeunes générations doivent être formées et prendre conscience du capitalisme et du libéralisme sauvage. La réalité sociale, la réalité de l'humanité dictent de nous demander pourquoi ces guerres , pourquoi cette misère. Je ne pense pas que ce soit le socialisme qui est responsable des bidonvilles, de l pauvreté, du chômage. Plutôt l'impérialisme et le capitalisme. Le socialisme est un idéal dont la faisabilité peut être concrétisé. Ce n'est pas une utopie.
Les rêves de grand soir ont-ils encore du sens aujourd'hui en 2004 ? Et quelle peut être une vraie utopie de gauche qui serait mobilisatrice ?
L'utopie mobilisatrice pour notre pays , c'est la démocratie. Je ne dis pas que demain on va édifier une société socialiste. Ceci est un projet à très, très long terme et à la limite une utopie, un mirage que nous suivrons toujours. Mais c'est une utopie mobilisatrice, une boussole, un garde-fou contre toutes les déviations, les injustices, les ignominies.
