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Entretien avec Henri Duparc, réalisateur et membre du jury du FIFM : Le cinéma au diapason de la quotidienneté

Né en 1940 en Guinée, Henri Duparc qui a effectué ses études à l'école de cinématographie de Belgrade et à l'institut des hautes études cinématographiques de Paris, décide de s'installer en Côte d'Ivoire et en fait sa patrie d'adoption. Figure emblématiqu

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Le Matin du Sahara : Tout d'abord, êtes-vous d'origine guinéenne ou ivoirienne?
Henri Duparc :
Je suis d'origine guinéenne, mais à la fin de mes études, j'ai choisi d'aller m'installer en Côte d'Ivoire, car le président en exercice à l'époque en Côte d'Ivoire était un tyran et un assassin.

C'était donc un choix politique ?

Mon choix de vivre en Côte d'Ivoire était un choix de survie. Je voulais exercer mon métier le plus simplement du monde sans être hanté par le spectre d'une arrestation, surtout qu'à ce moment-là, la plupart des cinéastes guinéens avaient été arrêtés. Il y avait cinq ou six qui avaient été condamnés arbitrairement à une dizaine d'années de prison. L'origine même des problèmes du cinéma guinéen viennent de là : il n'y a pas eu de base de formation. Ceux qui avaient été formés pour faire ce métier n'ont pas pu exercer.

Et en Côte d'Ivoire, est-ce que vous exercez votre métier en toute liberté ?

Le plus pleinement du monde. Et je tiens à attirer l'attention sur cette campagne de dénigrement dont est victime la Côte d'Ivoire concernant la xénophobie, c'est totalement faux. C'est à mon avis une machination politique concoctée par les différents groupes pour empêcher les uns et les autres de se présenter. La Côte d'Ivoire est un pays très ouvert. 33% de la population sont des étrangers provenant de différents pays. C'est une fausse guerre qu'on lui fait, c'est aussi diaboliser un pays pour le fragiliser en vue de desseins qui échappent au commun des mortels.

Quelle est votre perception du cinéma ?

Mon approche du cinéma est toujours de prendre un fait précis et de le tourner en dérision.
Je suis plus porté sur la comédie que sur la dramaturgie, je prends un fait donné, je l'analyse, je vois les tares, je le traite sous forme de dérision. On peut même dire que je pratique l'autodérision par rapport à moi-même.

En fait, tous vos films tournent autour de faits de société, de problèmes de la société africaine ?

Absolument, tous mes films évoquent les problèmes de la société, car le problème qui est sensible, même ici au Maroc, et j'en parlais justement il y a un moment avec un réalisateur marocain, le nombre de spectateurs, il y a cinq ans, était de 20 millions. Aujourd'hui, il est tombé à quatre millions. Il y a une chute totale due à la fois à l'émergence du DVD, de l'expansion de la piraterie. Il y a aussi, le fait, que nous, réalisateurs, nous perdons de vue l'essentiel de notre métier.

Nous faisons des œuvres qui n'intéressent que nous-mêmes, alors que nous avons besoin de rester à l'écoute du peuple, de ceux qui vont payer un billet pour venir regarder nos films, donc ne jamais perdre de vue que si ceux qui vont voir nos films, n'y vont plus, nous sommes les autodestructeurs de notre métier.
C'est pour cela que je m'attache toujours aux faits de société. Je veux prendre mon public à témoin, de façon à ce qu'il se sentent concernés par ce qu'il voit C'est ce qui explique que les films que j'ai tournés ont eu beaucoup de succès, en Afrique de l'Ouest. Je ne pourrais jamais tourner un film où je me raconte moi-même, car cela n'intéresserait personne.

Le fait de montrer les problèmes de la société réconcilierait donc les spectateurs avec les salles obscures ?

Ils voient comment on se moque de leurs problèmes, ils voient aussi les vices de leurs comportements, ils peuvent alors se corriger. Je me vois mal faire du cinéma ésotérique pour un public qui vient, s'asseoit, regarde, ne comprend et n'apprécie pas du tout.

Votre cinéma est destiné, alors, exclusivement à l'Afrique de l'Ouest ?

C'est un cinéma destiné à l'Afrique. Si, accessoirement, il est accepté par une structure européenne, alors tant mieux, mais faire du cinéma pour l'Europe et que ce cinéma ne convient pas à l'Afrique, je refuse de le faire. Mon public premier est l'Afrique. Quand, par exemple, Philippe de Brocca fait un film, il le fait par rapport à l'Europe. C'est le cas également de Steven Spielberg qui fait des films d'abord pour l'Amérique. Si le film plaît ailleurs, c'est une bonne chose. Je sais que la chaîne marocaine 2M a diffusé deux de mes films.

Les échanges cinématographiques entre les différents pays africains sont rares, presqu'inexistant. Les Ivoiriens ne connaissent pas les films marocains et vice-versa. Que faire pour remédier à tout cela ?

Pour remédier à cela, il faudrait que demain nous ayons une structure cinématographique bien établie, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est la pagaille, à tous les niveaux, pour la distribution, l'exploitation. C'est donc très difficile de faire venir des films d'ailleurs.

Quand je fais un film, je deviens moi-même distributeur, je suis le parcours de mon film. C'est vrai qu'il y a une possibilité, mais celle-ci ne verrait réellement le jour que lorsque toute l'Afrique sera structurée. Il y a tellement de problèmes à gérer actuellement que je ne vois pas que la circulation des films puissent être une priorité.

Vous estimez donc que le cinéma, l'art en général, ne sont pas des préoccupations pour les publics africains ?

Le cinéma, l'art sont évidemment des soucis. La télévision en est aussi. Mais elle pose moins de problèmes, car il y a des échanges de programmes entre la télévision marocaine et les télévisions de l'Afrique de l'Ouest. Il est ainsi plus simple de prendre un film quand il passe à la télévision pour le diffuser sur les télévisions africaines.

Comment vous situez-vous par rapport aux autres cinéastes ivoiriens ?

J'ai ma propre identité. Chaque créateur a la sienne, fait des films et les soumet à l'appréciation du public. Je ne peux pas me définir par rapport aux autres.

Mais quel cinéma défendez-vous, alors?

Le cinéma que je défends ne serait pas loin du cinéma populaire pour la simple raison que je ne fais pas de cinéma d'avant-garde.
l y a une chose extraordinaire. Quand on prend le FESPACO qui a été créé à Ouagadougou dans les années 70, c'est certainement le public le plus cinéphile. Cela fait 34 ans que ce public a été éduqué à voir des films, il s'est forgé une âme de cinéphile. Ce public attend qu'on lui amène des films. Ailleurs, ce n'est pas le cas.

Nous sommes obligés de faire des productions populaires qui concernent les gens, leur quotidien, de façon à les amener au cinéma. Car s'ils n'y vont pas, ils restent rivés à leur télévision, à regarder des films piratés. Il y a aussi le fait qu'une cassette piratée coûte l'équivalent de 1 euro alors qu'une place au cinéma revient à 3 euros. Pour 1 euro, toute une famille peut voir un film.

Quelle analyse faites-vous du cinéma africain ? Pensez-vous qu'il a atteint l'âge de la maturité ?

Je pense que le cinéma africain atteindra l'âge de la maturité le jour où nous n'irons plus chercher nos financements ailleurs que sur le continent africain. Tant que nous serons les gens qui feront notre quête de fonds à Paris, à Bruxelles, à Genève, à l'Union européenne, nous serons toujours à la charge des autres. Notre liberté de production et même de création est limitée par rapport à tous ces problèmes. Nous ne pouvons donc pas dire que nous sommes matures tant que nous dépendons des autres. Le cinéma africain existe car il y a l'Europe. Si tous les bailleurs de Fonds retirent leurs aides, il n'y aura plus de cinéma africain.

Et vos propres films dépendent-ils de cette aide européenne ?

Je travaille depuis pratiquement vingt ans, avec les mêmes techniciens car au début de ma carrière, j'ai mis en formation, aux côtés des techniciens qui venaient de Paris, des techniciens ivoiriens. Cela m'a beaucoup aidé pour la suite de ma carrière, car les coûts de production s'en trouvent grandement réduit. L'Union européenne m'a apporté son aide pour un seul film.

Je ne me tourne pas seulement vers l'Afrique. Couleur café, par exemple, a été réalisé grâce à une collaboration avec le Centre cinématographique marocain. Après le Festival, j'irai au CCM pour finaliser le tournage de mon dernier film. Je collabore aussi avec l'Afrique du Sud. Je dois dire que j'essaie de mettre en place une collaboration Sud-Sud sur le Continent. Il y a énormément de possibilités, de structures qu'on n'exploite pas, pour la simple raison que lorsque l'Europe vous donne un financement, ils exigent que vous travailliez chez eux.

Pour revenir à votre présence au Festival de Marrakech, en tant que membre du jury, qu'est ce que vous allez apporter ?

Je suis très honoré d'avoir été choisi. Je vais apporter ma lucidité. Il s'agit de voir des films, d'en parler en toute lucidité, de dépassionner le débat. L'essentiel dans un palmarès, c'est qu'il soit crédible, sans complaisance car à ce moment, il rehausse davantage le festival. Il permet de lui conférer une aura. Ce n'est pas faire du copinage. On m'a demandé de m'investir et c'est ce que je vais faire.
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