Le Matin du Sahara : Le Grand Voyage est votre premier film. Il a rencontré dès sa présentation dans des festivals de grands succès puisqu'il a reçu le Lion d'or au dernier festival de Venise. Il est actuellement dans les salles françaises. On dirait que tout marche à merveille pour vous. Avez-vous trouvé la bonne recette pour faire des films qui marchent et qui plaisent au public ?
Ismael Ferroukhi : Non, je n'ai pas cherché de recettes et j'ai mis six ans à faire ce film. J'avais écrit, il y a six ans le scénario de ce film. J'ai beaucoup souffert pour pouvoir réaliser ce film.
Cette souffrance s'est transformée en quelque chose qui m'a obligé à inventer, à trouver, malgré le manque des moyens des idées et dans mon scénario, j'ai été le plus sincère possible. Je pense que c'est ça la bonne recette, la sincérité et le travail. Ce n'est pas un film commercial, mais quand les gens le voient, ils le reçoivent, il se passe quelque chose à l'intérieur d'eux.
Si le film marche, c'est aussi parce qu'il évoque un thème d'actualité?
C'est un pur hasard car cela fait six ans que j'ai écrit le scénario. Mais bizarrement, le film se retrouve au cœur de l'actualité. C'était la même chose avec mon court-métrage «L'exposé» qui est sorti en plein débat sur les problèmes d'intégration. A aucun moment, je n'ai calculé que la sortie de mon film allait coïncider avec telle ou telle actualité. Je ne suis pas cérébral, je ne calcule pas, j'essaie de donner le maximum de ce que je peux faire.
Ce sont aussi des films qui vous ressemblent, avec un regard de l'extérieur qui examine une situation à l'intérieur du pays ?
Oui, effectivement, à ce point de vue, c'est peut-être un film qui me ressemble. Mais j'ai voulu aussi faire un film universel. Si je n'avais pas eu cette distance et ce recul, j'aurais fait un film marocain qu'on aurait regardé entre nous et puis c'est tout. Cela ne m'intéressait pas. Je voulais que les Marocains se retrouvent dans ce film, mais que les autres aussi.
Que si message il y a, qu'il puisse transcender les frontières. Ce qui se passe actuellement, c'est que les gens prennent beaucoup de plaisir à regarder ce film, sans être pris pour des imbéciles. C'est ce que je ressens à la fin de la projection et cela est magnifique et quand Venise a octroyé le Lion d'or pour Le Grand Voyage, je trouve que c'est une reconnaissance pour ce film, un film dans lequel le père parle arabe tout le temps. Nous avons du mal à imposer notre langue. Avec ce prix, je pense que c'est une reconnaissance cinématographique, mais aussi humaine.
Vous pensez que votre film va inaugurer une série de films, avec un autre regard sur soi, sur le monde, un cinéma plus fort, tourné vers l'universel ?
Je l'espère. Moi, en tout cas, je ne suis qu'une petite pierre et d'autres cinéastes viendront ajouter leurs pierres. Je ne vais pas refaire un film comme celui-là, Je crois que j'ai assez donné sur ce film, je ne crois pas avoir la même force pour recommencer car j'ai gardé suffisamment de cicatrices. J'espère que le travail que j'ai fait va ouvrir une porte pour les autres, initier un regard normal, humain et qu'on ne cherche pas à séduire mais à être sincère.
Cela apporte énormément d'éclaircissements aux gens. C'est très important aujourd'hui, surtout que c'est le flou total. Pour ce film, je participe à des débats depuis un mois, des débats qui regroupent des jeunes, des vieux, des croyants et des athées. Je ressens à chaque fois une forte émotion, de l'amour… Cela m'aide beaucoup à continuer. Vendredi soir, à jamâa Lafna, c'était un grand jour pour moi. Il y avait une masse de gens qui avaient les yeux rivés sur l'écran, le public, les vendeurs.
C'est indescriptible. J'avais l'impression que tous les efforts que j'ai fournis depuis un mois avaient eu pour seul but ce moment-là. Ce qui m'a aussi fait plaisir, c'est de constater, de mes propres yeux, qu'il y avait un vrai public, intelligent. Ce n'est pas un public à qui il faut expliquer bêtement les choses, c'est un public qui adore qu'on le respecte.
Vous avez donné l'un des premiers rôles à un acteur français pour incarner le personnage d'un jeune lycéen marocain vivant en France. Pourquoi ce choix ?
Pour deux raisons, d'abord, je ne veux pas faire un documentaire, mais plutôt une fiction. En plus, je voulais faire le meilleur film possible et les acteurs que j'ai choisis constituaient le top, pour moi, en tout cas. La seconde chose, je ne sais pas si vous vous souvenez du film «Arrassoul», Anthony Queen joue le rôle de Hamza et personne ne s'est offusqué de savoir que c'est un Américain qui joue le rôle d'un Arabe, et il le jouait d'ailleurs avec beaucoup d'authenticité et de vérité. Concernant Nicolas Cazalé, beaucoup de spectateurs lui ont dit qu'il a interprété le rôle du Marocain mieux que ne l'aurait fait un Marocain. Les Marocains peuvent aussi jouer des rôles de français et vice versa. Je crois qu'il ne faut pas s'enfermer, se mettre dans des ghettos, casser ces ghettos. J'ai cherché les meilleurs acteurs pour jouer dans ces films.
Dans le film, il y a aussi de superbes images de La Mecque. Comment avez-vous réussi à capter ces images ?
Je voulais filmer de l'intérieur. Je voulais que celui qui regarde le film puisse comprendre l'être humain, musulman qui va faire le pèlerinage. Pourquoi, qu'est-ce qui se passe, comment cela se passe. Je voulais être dans la foule. Les gens ne me voyaient même pas. Ce film a aussi cassé des préjugés par rapport à ce qu'on raconte sur l'image en Islam. En France, quand ils voyaient ces images, ils disent, on comprend mieux l'Islam. Moi, je ne cherche à convertir personne. Je voulais faire un film universel.
Vous défendez aussi, dans votre film, l'image d'un Islam tolérant, ouvert…
Je m'aperçois, en permanence, que dans les médias, on parle de ces 2 à 3 % de musulmans qui ne reflètent pas le vrai Islam. On ignore les 97 % qui ne sont ni intégristes ni terroristes et qui, dès qu'ils ouvrent un journal ou allument la télévision, trouvent qu'on les dénigre, qu'on raconte des horreurs sur les Musulmans. Cela touche une culture arabo-musulmane profonde, cela touche mes parents, leurs amis, la majorité silencieuse qui n'avait aucun lien avec ces horreurs. Cela me faisait mal à chaque fois. C'est pour cela que ce film était un passage obligatoire. Je pensais que si je n'arrivais pas à faire ce film, si je ne peux pas m'exprimer, j'allais arrêter le cinéma.
Quand les gens voient le film en France, ils se retrouvent, ils me remercient. Je pense que j'ai la chance de faire le cinéma, j'ai une responsabilité. Par rapport à ce qu'ont vécu mes parents, j'ai un minimum de devoir. Après ce film, je vais me tourner vers quelque chose de différent, raconter mes histoires où il n'y aura pas cette part de militantisme humain, religieux. D'ailleurs Le Grand Voyage traite plus de la spiritualité que de la religion ? C'est pour cela aussi que les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans se reconnaissent dans mon histoire car ils voient que ce film est au-dessus des cultures et des religions.
Quand est-ce que votre film sortira au Maroc ?
Bientôt, j'espère. Je vais me battre en tout cas pour qu'il y ait une vraie sortie. Je veux que tout le monde y accède. Je suis prêt à faire des avant-premières pour chaque ville, comme je l'ai fait en France, en invitant des gens, en affichant le mieux possible.
Je voudrais qu'on puisse le visionner dans toutes les salles. Moi, je ne fais du cinéma que pour cela, c'est ma raison d'être, le cinéma. J'espère qu'au début de l'année, toutes les conditions seraient réunies pour qu'on puisse projeter le film dans les meilleures conditions.
Le synopsis du film
A quelques semaines du Bac, Réda, un lycéen d'une vingtaine d'années qui vit en Provence, est contraint de conduire son père en voiture jusqu'à La Mecque.
Le voyage s'annonce difficile. En effet, tout sépare Réda et son père.
Leur communication est réduite au minimum. Réda veut vivre ce voyage à sa manière. Son père, lui, entend bien être respecté et ne pas s'écarter du sens de son pèlerinage…
Ismael Ferroukhi : Non, je n'ai pas cherché de recettes et j'ai mis six ans à faire ce film. J'avais écrit, il y a six ans le scénario de ce film. J'ai beaucoup souffert pour pouvoir réaliser ce film.
Cette souffrance s'est transformée en quelque chose qui m'a obligé à inventer, à trouver, malgré le manque des moyens des idées et dans mon scénario, j'ai été le plus sincère possible. Je pense que c'est ça la bonne recette, la sincérité et le travail. Ce n'est pas un film commercial, mais quand les gens le voient, ils le reçoivent, il se passe quelque chose à l'intérieur d'eux.
Si le film marche, c'est aussi parce qu'il évoque un thème d'actualité?
C'est un pur hasard car cela fait six ans que j'ai écrit le scénario. Mais bizarrement, le film se retrouve au cœur de l'actualité. C'était la même chose avec mon court-métrage «L'exposé» qui est sorti en plein débat sur les problèmes d'intégration. A aucun moment, je n'ai calculé que la sortie de mon film allait coïncider avec telle ou telle actualité. Je ne suis pas cérébral, je ne calcule pas, j'essaie de donner le maximum de ce que je peux faire.
Ce sont aussi des films qui vous ressemblent, avec un regard de l'extérieur qui examine une situation à l'intérieur du pays ?
Oui, effectivement, à ce point de vue, c'est peut-être un film qui me ressemble. Mais j'ai voulu aussi faire un film universel. Si je n'avais pas eu cette distance et ce recul, j'aurais fait un film marocain qu'on aurait regardé entre nous et puis c'est tout. Cela ne m'intéressait pas. Je voulais que les Marocains se retrouvent dans ce film, mais que les autres aussi.
Que si message il y a, qu'il puisse transcender les frontières. Ce qui se passe actuellement, c'est que les gens prennent beaucoup de plaisir à regarder ce film, sans être pris pour des imbéciles. C'est ce que je ressens à la fin de la projection et cela est magnifique et quand Venise a octroyé le Lion d'or pour Le Grand Voyage, je trouve que c'est une reconnaissance pour ce film, un film dans lequel le père parle arabe tout le temps. Nous avons du mal à imposer notre langue. Avec ce prix, je pense que c'est une reconnaissance cinématographique, mais aussi humaine.
Vous pensez que votre film va inaugurer une série de films, avec un autre regard sur soi, sur le monde, un cinéma plus fort, tourné vers l'universel ?
Je l'espère. Moi, en tout cas, je ne suis qu'une petite pierre et d'autres cinéastes viendront ajouter leurs pierres. Je ne vais pas refaire un film comme celui-là, Je crois que j'ai assez donné sur ce film, je ne crois pas avoir la même force pour recommencer car j'ai gardé suffisamment de cicatrices. J'espère que le travail que j'ai fait va ouvrir une porte pour les autres, initier un regard normal, humain et qu'on ne cherche pas à séduire mais à être sincère.
Cela apporte énormément d'éclaircissements aux gens. C'est très important aujourd'hui, surtout que c'est le flou total. Pour ce film, je participe à des débats depuis un mois, des débats qui regroupent des jeunes, des vieux, des croyants et des athées. Je ressens à chaque fois une forte émotion, de l'amour… Cela m'aide beaucoup à continuer. Vendredi soir, à jamâa Lafna, c'était un grand jour pour moi. Il y avait une masse de gens qui avaient les yeux rivés sur l'écran, le public, les vendeurs.
C'est indescriptible. J'avais l'impression que tous les efforts que j'ai fournis depuis un mois avaient eu pour seul but ce moment-là. Ce qui m'a aussi fait plaisir, c'est de constater, de mes propres yeux, qu'il y avait un vrai public, intelligent. Ce n'est pas un public à qui il faut expliquer bêtement les choses, c'est un public qui adore qu'on le respecte.
Vous avez donné l'un des premiers rôles à un acteur français pour incarner le personnage d'un jeune lycéen marocain vivant en France. Pourquoi ce choix ?
Pour deux raisons, d'abord, je ne veux pas faire un documentaire, mais plutôt une fiction. En plus, je voulais faire le meilleur film possible et les acteurs que j'ai choisis constituaient le top, pour moi, en tout cas. La seconde chose, je ne sais pas si vous vous souvenez du film «Arrassoul», Anthony Queen joue le rôle de Hamza et personne ne s'est offusqué de savoir que c'est un Américain qui joue le rôle d'un Arabe, et il le jouait d'ailleurs avec beaucoup d'authenticité et de vérité. Concernant Nicolas Cazalé, beaucoup de spectateurs lui ont dit qu'il a interprété le rôle du Marocain mieux que ne l'aurait fait un Marocain. Les Marocains peuvent aussi jouer des rôles de français et vice versa. Je crois qu'il ne faut pas s'enfermer, se mettre dans des ghettos, casser ces ghettos. J'ai cherché les meilleurs acteurs pour jouer dans ces films.
Dans le film, il y a aussi de superbes images de La Mecque. Comment avez-vous réussi à capter ces images ?
Je voulais filmer de l'intérieur. Je voulais que celui qui regarde le film puisse comprendre l'être humain, musulman qui va faire le pèlerinage. Pourquoi, qu'est-ce qui se passe, comment cela se passe. Je voulais être dans la foule. Les gens ne me voyaient même pas. Ce film a aussi cassé des préjugés par rapport à ce qu'on raconte sur l'image en Islam. En France, quand ils voyaient ces images, ils disent, on comprend mieux l'Islam. Moi, je ne cherche à convertir personne. Je voulais faire un film universel.
Vous défendez aussi, dans votre film, l'image d'un Islam tolérant, ouvert…
Je m'aperçois, en permanence, que dans les médias, on parle de ces 2 à 3 % de musulmans qui ne reflètent pas le vrai Islam. On ignore les 97 % qui ne sont ni intégristes ni terroristes et qui, dès qu'ils ouvrent un journal ou allument la télévision, trouvent qu'on les dénigre, qu'on raconte des horreurs sur les Musulmans. Cela touche une culture arabo-musulmane profonde, cela touche mes parents, leurs amis, la majorité silencieuse qui n'avait aucun lien avec ces horreurs. Cela me faisait mal à chaque fois. C'est pour cela que ce film était un passage obligatoire. Je pensais que si je n'arrivais pas à faire ce film, si je ne peux pas m'exprimer, j'allais arrêter le cinéma.
Quand les gens voient le film en France, ils se retrouvent, ils me remercient. Je pense que j'ai la chance de faire le cinéma, j'ai une responsabilité. Par rapport à ce qu'ont vécu mes parents, j'ai un minimum de devoir. Après ce film, je vais me tourner vers quelque chose de différent, raconter mes histoires où il n'y aura pas cette part de militantisme humain, religieux. D'ailleurs Le Grand Voyage traite plus de la spiritualité que de la religion ? C'est pour cela aussi que les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans se reconnaissent dans mon histoire car ils voient que ce film est au-dessus des cultures et des religions.
Quand est-ce que votre film sortira au Maroc ?
Bientôt, j'espère. Je vais me battre en tout cas pour qu'il y ait une vraie sortie. Je veux que tout le monde y accède. Je suis prêt à faire des avant-premières pour chaque ville, comme je l'ai fait en France, en invitant des gens, en affichant le mieux possible.
Je voudrais qu'on puisse le visionner dans toutes les salles. Moi, je ne fais du cinéma que pour cela, c'est ma raison d'être, le cinéma. J'espère qu'au début de l'année, toutes les conditions seraient réunies pour qu'on puisse projeter le film dans les meilleures conditions.
Le synopsis du film
A quelques semaines du Bac, Réda, un lycéen d'une vingtaine d'années qui vit en Provence, est contraint de conduire son père en voiture jusqu'à La Mecque.
Le voyage s'annonce difficile. En effet, tout sépare Réda et son père.
Leur communication est réduite au minimum. Réda veut vivre ce voyage à sa manière. Son père, lui, entend bien être respecté et ne pas s'écarter du sens de son pèlerinage…
