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Entretien avec Ousmane Sembène, réalisateur de Mooladé : «C'est une bonne idée de mettre les Européens et les Africains en compétition»

Mooladé, le deuxième volet d'un triptyque dédié à l'Afrique moderne tourne autour de l'excision, une pratique contre laquelle s'insurge avec force Sembène Ousmane, le doyen des cinéastes africains. Présent à Marrakech pour défendre son film qui fait parti

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Le Matin du Sahara : Vous êtes le doyen du cinéma africain. Vous avez atteint une notoriété internationale incontestable. Quel regard jetez-vous sur votre parcours ? Pensez-vous avoir réalisé tous les films dont vous rêviez ?
Sembène Ousmane :
Quel homme peut dire qu'il a réalisé ses rêves ?

Vous avez pourtant construit une image d'un cinéaste engagé
Ce sont les autres qui ont construit une image, moi, je suis comme je suis, avec l'âge, l'expérience et c'est valable pour tout le monde. J'aime ce continent particulièrement. Notre devoir est de construire l'Afrique pour nous, nos enfants, nos petits enfants.

Vous êtes aussi un homme pétri de liberté et de justice et cela transparaît à travers vos films. De quoi tirez-vous votre force ?

Mais de nos histoires, de nos convictions, nous ne sommes pas différents des autres, nous n'allons pas faire plus que les autres, mais l'essentiel pour nous est de conquérir notre liberté, notre moi, notre identité d'un bout à l'autre de ce continent.

Vos films tournent autour de thèmes très forts, très sensibles…

C'est un choix politique. Quel est le problème qui doit intéresser les Africains dans les prochaines années ? Il y a le problème de l'unité. Nous avons besoin de tout. Nous sommes capables d'aimer, nous avons aussi des handicaps en nous-mêmes, sans compter les obstacles que les autres dressent entre nous. Comment les surmonter, les dépasser ? C'est là la responsabilité de l'artiste. Je pense que l'artiste est un psychanalyste social. Il est créateur de beauté, c'est vrai, mais tant qu'il fait le beau, il se psychanalyse et renvoie cela à son peuple.

Vous voulez dire qu'au-delà de l'esthétique du film, il y a toujours un message ?
Oui. Le fait qu'il y ait le dialogue, l'entente, le consensus, personne ne peut avoir de vérité absolue. Il n'y a pas de vérité absolue. Mais s'entendre et vivre en paix, il n' y a rien de plus beau.

Votre dernier film, Mooladé, qui est en compétition aujourd'hui à Marrakech, évoque le problème de l'excision, un drame humain vécu par de nombreuses femmes en Afrique. Que cherchez-vous à dire à travers ce film?

Tout simplement que nous pouvons exterminer l'excision de nos sociétés africaines. C'est un héritage qui a fait son temps et qui n'a plus de raison d'être. Avec les découvertes scientifiques et ce que nous savons aujourd'hui, on peut dire que c'est une pratique qui est dépassée.

Pourtant, c'est une pratique encore courante en Afrique.

Oui, il y en toujours, un peu partout en Afrique. Cette pratique, je crois, n'existe pas au Maroc, en Tunisie ou encore en Algérie. Mais elle est présente en Ethiopie, au Kenya, en Somalie, en Egypte etc. Ce problème dépasse l'entendement. Nous ne disons plus que cela fait mal. C'est à présent lié avec la liberté. Cela concerne la libération de l'homme et de la femme. Il faut le dire haut et fort. Ce sont les enfants qui souffrent de cette pratique qu'on appelle purification ou pureté. Quand ces petites filles seront majeures, voudront avoir des enfants, elles auront aussi mal que leur mère. Ce n'est pas juste.

On nous dit que c'est dit dans le Coran. Ce n'est pas vrai. C'est un hadith dans lequel le Prophète dit, s'il faut couper, coupez un tout petit peu. Mais là, c'est une véritable saloperie qu'on fait, qu'honnêtement, on ne peut pas l'accepter.

Vous pensez que le rôle du cinéaste en Afrique est de tirer la sonnette d'alarme ?

D'éveiller les consciences. Mooladé n'est pas un film commercial en tant que tel. Il s'inscrit dans le cadre de mes autres films, c'est-à-dire que c'est un moyen de sensibilisation et d'éveil des masses. On peut faire du cinéma commercial pour gagner de l'argent. Ces sujets, on peut les traiter de façon comique. Il faut qu'il y ait une multitude de cinéastes et une multitude de façon de traiter ce genre de thèmes.

Vous pensez encore vous engager dans ce combat par le biais de vos films ?

C'est ma vie. Personne ne m'a jamais dit de parler de tel ou tel sujet. Je ne porte le discours de personne. Et je ne pouvais pas me taire, en voyant la détresse de ces femmes.

Pourquoi avoir choisi un village au Bourkina pour tourner votre film ?

J'ai parcouru plusieurs pays (le Mali, la Côte d'Ivoire) avant de tomber sur ce petit village qui était complètement isolé et que j'avais trouvé par le plus grand hasard.

Moolade évoque, non seulement, ce problème de l'excision, mais aussi la lutte de pouvoir entre les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux ?

Le pouvoir et la liberté. Ce sont des questions que nous devons nous poser. Ce qui est aussi, important, dans le film, c'est la liberté d'agir, la liberté d'expression…La liberté n'appartient pas au monde rural ou aux citadins. La liberté est la liberté.

Votre film fait partie d'un triptyque. Vous allez bientôt tourner le troisième volet ?

Oui, le premier «Faat Kiné», une femme citadine qui s'est libérée toute seule, le second volet tournait encore autour d'une femme et le troisième axe, ce sera un homme face à ses responsabilités.

Vous êtes, à la fois, cinéaste et écrivain. Mais vous vous retrouvez mieux sous quelle casquette ?

Ce sont deux thématiques différentes, même si moi, je préfère les livres. La question n'est pas me sentir mieux là ou là. Cela dépend des destinataires. Je sais que mes livres sont enseignés à l'école. Ce qui m'intéresse, ma question éternelle est comment parler à mon peuple, quelle est la manière d'écrire pour être précis avec mon peuple. Je refuse de me psychanalyser.

Vos films s'adressent-ils seulement à l'Afrique ou ont-ils pour objectif d'intéresser d'autres publics ?

Je m'adresse à l'Afrique. Les autres sont des périphéries autour de moi. L'Europe n'est pas mon groupe cible. Comment pourrais-je parler à la Sénégalaise, à la Marocaine, à l'Ethiopienne, de quelles sensibilités user, quels thèmes aborder afin que vous puissiez avoir la même perception de ces problèmes, que vous puissiez désapprouver ces mauvaises traditions.

Que pouvez-vous nous dire sur votre participation au Festival de Marrakech ?

Je suis content d'être ici, à Marrakech. C'est une bonne idée de mettre les Européens et les Africains en compétition. Je trouve qu'à chaque fois qu'il est possible d'organiser des rencontres, il faut foncer.

Fatoumata Couliaky, une « héroïne au quotidien»

«Etre actrice était bien difficile pour les femmes au Mali », explique Fatoumata Couliaky, l'héroïne de «Mooladé», le film de Sembène Ousmane. Ayant commencé à tourner en 1987, cette actrice a dû user de toute sa force de persuasion pour convaincre ses parents de la laisser jouer dans un film.

Issue d'une famille musulmane, elle-même a été excisée à l'âge de 6 ans et demi. Aujourd'hui, tout en continuant à tourner des films, elle mène un combat quotidien contre cette pratique honteuse pratiquée dans différents pays subsahariens au nom de l'Islam. «Il y a toujours des filles excisées au Mali, sauf dans le Nord du pays. Il y a deux ans, l'Etat a essayé de voter un avant projet afin d'arriver à un consensus pour bannir cette pratique, mais cela n'a pas aboutie.

C'est une tradition qui est ancrée dans les têtes selon laquelle une fille qui n'est pas excisée n'est pas pure. Ainsi, il y a des pères et des mères de famille qui acceptent devant nous d'abandonner cette pratique, mais dès qu'on a le dos tourné, ils font exciser leurs filles. Dans ce sens, l'environnement joue beaucoup. Ces parents ont peur de ne pas trouver de mari si leur fille n'est pas excisée. Mais, grâce aux campagnes menées par les ONG, on commence à abandonner ces pratiques. Avec les ONG, on essaie aussi de sensibiliser les exciseuses en leur offrant une contrepartie (des habits, du riz, du savon, un peu d'argent) et on les aide à se reconvertir».

Conseillère en communication d'une ONG, Fatoumata Couliaky ne savait pas qu'elle allait incarner, dans un film, ce rôle qu'elle incarne avec ténacité et persévérance depuis une dizaine d'années. Il incarne, dans Moolaadé, une « héroïne du quotidien » dont le courage finit par emporter l'adhésion de tous et changer le destin du village dans son entier...
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