Vous avez écrit votre premier article à 14 ans, depuis vous avez collaboré avec des journaux marocains dont Lamalif, l'Opinion et le Matin en tant que chroniqueur littéraire. Mais en 1975 vous avez décidé de quitter le Maroc pour la France, sans pour autant cesser de vous intéresser à la production littéraire au Maroc et sans cesser d'en rendre compte de manière régulière dans Quantara notamment. Vous avez écrit également une vingtaine de livres sur différents sujets dont «Tu ne traverseras pas le Détroit». Parlez-nous de votre expérience marocaine pour commencer, et pourquoi vous avez décidé d'aller ailleurs ?
Disons que j'ai été un peu poussé vers la porte, mais j'a gardé un souvenir très agréable des mes amis du journalisme au Maroc d'abord parce que c ‘était pour moi un privilège, à 14 ans de lire le prix concours de l'époque et d'en rendre compte grâce à la presse qui bien voulu me publier. Je dois beaucoup à la presse marocaine car c'est grâce à elle que pendant plusieurs années je lisais un livre par jour.
Mais on ne peut pas dire que tu t'épanouissait grâce à la presse marocaine à l'époque.
Si, si je m'épanouissais comme lecteur de livres dont je rendais compte, j'ai lu les plus grands écrivains des années 70 ; j'ai écrit sur des livres de Khatibi, Benjelloun et d'autres, dans Lamalif j'ai publié des textes sur la littérature marocaine, d'ailleurs le dictionnaire de la littérature marocaine que je publie dans les mois à venir, je cite parfois des articles que j'ai écrit à l'époque, il y a 37 ans.
Et si vous étiez si bien pourquoi êtes-vous parti en France alors ?
Je ne veux pas trop insisté sur ça, disons qu'on m'y a poussé. Mais il y a quand même une raison , j'étais le journaliste le plus mal payé de la place d'autant que mes chroniques me demandaient six heures de lecture par jour sans compter le temps pour les rédiger alors que je me faisais payer 10dh l'article, donc sept heures de travail pour 10 dh avouez que ce n'était pas beaucoup.
Nous sommes en quelle date ?
Jusqu'en 1975, et ça n'a pas changé pour moi après, lorsque j'ai quitté le Maroc, j'ai continué à envoyer des chroniques au Matin pendant deux ans encore, puis j'ai écrit à Moulay Ahmed Alaoui pour réclamer une augmentation, je lui ai dit notamment qu'il lisait sans doute mes chroniques mais jamais mon bulletin de paie et que si je n'étais pas augmenté je démissionnerais, alors le mois suivant j'ai été payé neuf dh ! C'est ainsi que j'ai cessé de collaborer à la presse marocaine.
En France j'imagine, vous avez trouvé ce que vous cherchiez…
Non, j'ai été toujours tout aussi mal payé toutes proportions gardées .
Néanmoins vous avez travaillé pour des grandes maisons d'éditions..
Oui, j'ai travaillé comme lecteur chez Julliard, j'ai réécrit des livres pour d'autres et je continue à le faire.
Votre intérêt pour la littérature marocaine ne s'est pas estompé pour autant
Effectivement, et je suis le seul à en rendre compte régulièrement dans Quantara, la revue de l'Institut du monde arabe. Il est très rare qu'il n'y ait pas un auteur marocain dans mon feuilleton trimestriel, et ce depuis cinq ans.
Vous êtes donc autorisé à parler de la littérature marocaine d'autant plus que vous lui avez consacré un dictionnaire. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire d'entrée de jeu ?
b>
Que les auteurs les plus intéressants, les plus originaux ne sont pas vraiment connus du public marocain. Parmi les poètes de langue française, je citerais Abdelilah Salhi ou bien Mohamed Hmoudane, ils ont écrit dans les deux langues, mais aujourd'hui ils écrivent plus en français. Dans le roman, il y a Mohamed Laftah, votre ancien collègue au Matin qui a écrit, il y a quelques années, un excellent roman sous le titre «Les Demoiselles de Numidie» paru aux éditions de l'Aube , il est peu connu au Maroc alors qu'il a écrit un des livres les plus ironiques et en même temps les plus affectueux qu'on ait écrit sur Casablanca, sur ses mœurs et ses dérives dans une langue poétique d'une force surprenante. Vous avez également un romancier de 70 ans, Zaghloul Morsi qui a écrit «Ishmaël ou l'exil» il y a quelque mois. La presse marocain a publié la quatrième de couverture de son ouvrage alors qu'il s'agit d'un roman de facture international, c'est l'un des romans qui, pour ainsi dire vous empêchent de dormir avant que vous l'ayez terminé.
Certains critiques reproche au roman marocain d'être autobiographique, est-ce un défaut selon vous ?
Ça commence à changer quand-même. Est-ce un défaut, non , Montaigne qui est un immense écrivain et ses essais sont à la fois une sorte d'autobiographie à la fois intellectuelle et concrète et «A la Recherche du temps perdu» de Proust est un roman largement autobiographique. La littérature marocaine a un versant autobiographique, voir même, en ce qui concerne la littérature de langue arabe, de l'auto-fiction, Abdelkader Chaoui notamment, qui est un écrivain en langue arabe, pratique de l'auto-fiction. On peut citer également Mohamed Berrada, mais je pense qu'il y a maintenant des écrivains marocains qui sont de véritables inventeurs de personnages et de situations, par exemple Mohamed Nidali qui a écrit «Morceaux de choix ou les amours d'un apprenti boucher», un roman picaresque mais en même temps une observation assez fine de la nature des relation entre les hommes et les femmes quand le désir s'en mêle. Généralement ce à quoi l'on assiste dans le roman marocain, c'est un peu comme dans la société, c'est la naissance de l'individu ; et dès lors que l'on assiste à la naissance de l'individu, la fiction naît, c'est à dire que, comme chacun de nous a un double inconnu – n'est-ce-pas le fameux « je est un autre»- le roman s'installe.
Peut-on faire la distinction entre plusieurs catégories de romans marocains: Francophone- arabophone, féminin-masculin, intérieur-résident à l'étranger, comme le font certains ?
Je ne m'intéresse pas à ce genre de distinction, mais à la qualité de l'œuvre, savoir cette œuvre est suffisamment belle, suffisamment forte pour être citée et éventuellement traduite dans d'autres langues. Je citerai comme exemple le roman de Mohamed Nidali qui, à mon avis mérite d'être traduit en arabe, pourquoi pas en arabe parlé.
Vous évoquez là un problème crucial, celui de l'absence de passerelles entre les écrivains de différentes langues bien qu'ils vivent dans le même pays et souvent dans la même ville, en raison de l'absence de traductions vers les deux langues, arabe et française.
C'est vrai, et je pense que c'est le devoir des intellectuels bilingues qui devraient faciliter la communication entre les deux langues, en traduisant les plus belles œuvres dans les deux langues. Imaginez qu'il a fallu attendre 35 ans pour que les nouvelles de Abdeljabbar Sheimi, «Le Possible et l'impossible» soit traduite en français.
Vous ne citez que des hommes parmi les écrivains, et aucune femme, pourtant elles existent.
Oui, il y a beaucoup de romancières débutantes mais on attend l'émergence d'une romancière qui aurait écrit plus d'un roman convaincant, en tout cas en langue française. Je pense que ça va évoluer très vite, mais disons qu'il y a un besoin de témoigner chez ces femmes de leurs conditions, de leurs luttes, mais la littérature est malheureusement autre chose qu'un cahiers de doléance…
Vous êtes trop sévère là, il y a quand-même dans le lot de bonnes feuilles, celui qui me vient tout de suite à l'esprit c'est «Oser vivre» de Siham Benchekroun entre autres.
J'ai lu ce livre, le problème c'est qu'il dit en 200 pages ce qui aurait été dit en 8 pages. Et si vous faites ça, forcément vous le dites mal.
Vous êtes injuste, mais passons. Vous avez parlé d'auteurs marocains qui écrivent en Néerlandais.
Ce sont les auteurs marocains qui m'impressionnent le plus. Je suis fasciné par la qualité des romans qui ont été révélés par la traduction en langue française. Il y a trois romanciers : Saïd Al Hajji qui a écrit «Le Jour de Shaïtan» aux éditions Gaïa, c'est un livre déchirant, d'un ton très juste qui traite des conflits de générations entre les parents et les enfants de l'immigration.
Il y a aussi Abdelkader Ben Ali, j'ai oublié le titre de son roman sorti chez Albin Michel, et enfin Hafid Bouâzza auteur de « les Pieds d'Abdullah» qui fait un retour au village d'origine.
Il faut noter que Hafid Bouâzza est agrégé de langue arabe et auteur de traduction de poètes marocains en Néerlandais.
Disons que j'ai été un peu poussé vers la porte, mais j'a gardé un souvenir très agréable des mes amis du journalisme au Maroc d'abord parce que c ‘était pour moi un privilège, à 14 ans de lire le prix concours de l'époque et d'en rendre compte grâce à la presse qui bien voulu me publier. Je dois beaucoup à la presse marocaine car c'est grâce à elle que pendant plusieurs années je lisais un livre par jour.
Mais on ne peut pas dire que tu t'épanouissait grâce à la presse marocaine à l'époque.
Si, si je m'épanouissais comme lecteur de livres dont je rendais compte, j'ai lu les plus grands écrivains des années 70 ; j'ai écrit sur des livres de Khatibi, Benjelloun et d'autres, dans Lamalif j'ai publié des textes sur la littérature marocaine, d'ailleurs le dictionnaire de la littérature marocaine que je publie dans les mois à venir, je cite parfois des articles que j'ai écrit à l'époque, il y a 37 ans.
Et si vous étiez si bien pourquoi êtes-vous parti en France alors ?
Je ne veux pas trop insisté sur ça, disons qu'on m'y a poussé. Mais il y a quand même une raison , j'étais le journaliste le plus mal payé de la place d'autant que mes chroniques me demandaient six heures de lecture par jour sans compter le temps pour les rédiger alors que je me faisais payer 10dh l'article, donc sept heures de travail pour 10 dh avouez que ce n'était pas beaucoup.
Nous sommes en quelle date ?
Jusqu'en 1975, et ça n'a pas changé pour moi après, lorsque j'ai quitté le Maroc, j'ai continué à envoyer des chroniques au Matin pendant deux ans encore, puis j'ai écrit à Moulay Ahmed Alaoui pour réclamer une augmentation, je lui ai dit notamment qu'il lisait sans doute mes chroniques mais jamais mon bulletin de paie et que si je n'étais pas augmenté je démissionnerais, alors le mois suivant j'ai été payé neuf dh ! C'est ainsi que j'ai cessé de collaborer à la presse marocaine.
En France j'imagine, vous avez trouvé ce que vous cherchiez…
Non, j'ai été toujours tout aussi mal payé toutes proportions gardées .
Néanmoins vous avez travaillé pour des grandes maisons d'éditions..
Oui, j'ai travaillé comme lecteur chez Julliard, j'ai réécrit des livres pour d'autres et je continue à le faire.
Votre intérêt pour la littérature marocaine ne s'est pas estompé pour autant
Effectivement, et je suis le seul à en rendre compte régulièrement dans Quantara, la revue de l'Institut du monde arabe. Il est très rare qu'il n'y ait pas un auteur marocain dans mon feuilleton trimestriel, et ce depuis cinq ans.
Vous êtes donc autorisé à parler de la littérature marocaine d'autant plus que vous lui avez consacré un dictionnaire. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire d'entrée de jeu ?
b>
Que les auteurs les plus intéressants, les plus originaux ne sont pas vraiment connus du public marocain. Parmi les poètes de langue française, je citerais Abdelilah Salhi ou bien Mohamed Hmoudane, ils ont écrit dans les deux langues, mais aujourd'hui ils écrivent plus en français. Dans le roman, il y a Mohamed Laftah, votre ancien collègue au Matin qui a écrit, il y a quelques années, un excellent roman sous le titre «Les Demoiselles de Numidie» paru aux éditions de l'Aube , il est peu connu au Maroc alors qu'il a écrit un des livres les plus ironiques et en même temps les plus affectueux qu'on ait écrit sur Casablanca, sur ses mœurs et ses dérives dans une langue poétique d'une force surprenante. Vous avez également un romancier de 70 ans, Zaghloul Morsi qui a écrit «Ishmaël ou l'exil» il y a quelque mois. La presse marocain a publié la quatrième de couverture de son ouvrage alors qu'il s'agit d'un roman de facture international, c'est l'un des romans qui, pour ainsi dire vous empêchent de dormir avant que vous l'ayez terminé.
Certains critiques reproche au roman marocain d'être autobiographique, est-ce un défaut selon vous ?
Ça commence à changer quand-même. Est-ce un défaut, non , Montaigne qui est un immense écrivain et ses essais sont à la fois une sorte d'autobiographie à la fois intellectuelle et concrète et «A la Recherche du temps perdu» de Proust est un roman largement autobiographique. La littérature marocaine a un versant autobiographique, voir même, en ce qui concerne la littérature de langue arabe, de l'auto-fiction, Abdelkader Chaoui notamment, qui est un écrivain en langue arabe, pratique de l'auto-fiction. On peut citer également Mohamed Berrada, mais je pense qu'il y a maintenant des écrivains marocains qui sont de véritables inventeurs de personnages et de situations, par exemple Mohamed Nidali qui a écrit «Morceaux de choix ou les amours d'un apprenti boucher», un roman picaresque mais en même temps une observation assez fine de la nature des relation entre les hommes et les femmes quand le désir s'en mêle. Généralement ce à quoi l'on assiste dans le roman marocain, c'est un peu comme dans la société, c'est la naissance de l'individu ; et dès lors que l'on assiste à la naissance de l'individu, la fiction naît, c'est à dire que, comme chacun de nous a un double inconnu – n'est-ce-pas le fameux « je est un autre»- le roman s'installe.
Peut-on faire la distinction entre plusieurs catégories de romans marocains: Francophone- arabophone, féminin-masculin, intérieur-résident à l'étranger, comme le font certains ?
Je ne m'intéresse pas à ce genre de distinction, mais à la qualité de l'œuvre, savoir cette œuvre est suffisamment belle, suffisamment forte pour être citée et éventuellement traduite dans d'autres langues. Je citerai comme exemple le roman de Mohamed Nidali qui, à mon avis mérite d'être traduit en arabe, pourquoi pas en arabe parlé.
Vous évoquez là un problème crucial, celui de l'absence de passerelles entre les écrivains de différentes langues bien qu'ils vivent dans le même pays et souvent dans la même ville, en raison de l'absence de traductions vers les deux langues, arabe et française.
C'est vrai, et je pense que c'est le devoir des intellectuels bilingues qui devraient faciliter la communication entre les deux langues, en traduisant les plus belles œuvres dans les deux langues. Imaginez qu'il a fallu attendre 35 ans pour que les nouvelles de Abdeljabbar Sheimi, «Le Possible et l'impossible» soit traduite en français.
Vous ne citez que des hommes parmi les écrivains, et aucune femme, pourtant elles existent.
Oui, il y a beaucoup de romancières débutantes mais on attend l'émergence d'une romancière qui aurait écrit plus d'un roman convaincant, en tout cas en langue française. Je pense que ça va évoluer très vite, mais disons qu'il y a un besoin de témoigner chez ces femmes de leurs conditions, de leurs luttes, mais la littérature est malheureusement autre chose qu'un cahiers de doléance…
Vous êtes trop sévère là, il y a quand-même dans le lot de bonnes feuilles, celui qui me vient tout de suite à l'esprit c'est «Oser vivre» de Siham Benchekroun entre autres.
J'ai lu ce livre, le problème c'est qu'il dit en 200 pages ce qui aurait été dit en 8 pages. Et si vous faites ça, forcément vous le dites mal.
Vous êtes injuste, mais passons. Vous avez parlé d'auteurs marocains qui écrivent en Néerlandais.
Ce sont les auteurs marocains qui m'impressionnent le plus. Je suis fasciné par la qualité des romans qui ont été révélés par la traduction en langue française. Il y a trois romanciers : Saïd Al Hajji qui a écrit «Le Jour de Shaïtan» aux éditions Gaïa, c'est un livre déchirant, d'un ton très juste qui traite des conflits de générations entre les parents et les enfants de l'immigration.
Il y a aussi Abdelkader Ben Ali, j'ai oublié le titre de son roman sorti chez Albin Michel, et enfin Hafid Bouâzza auteur de « les Pieds d'Abdullah» qui fait un retour au village d'origine.
Il faut noter que Hafid Bouâzza est agrégé de langue arabe et auteur de traduction de poètes marocains en Néerlandais.
