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Faut-il démocratiser la mondialisation ?

Une séance des Entretiens du XXIe siècle *, a été récemment organisée à l'UNESCO par Jérôme Bindé, et présidée par le Directeur-Général de l'Unesco, M. Koïchiro Matsuura, sur le thème « Faut-il démocratiser la mondialisation ? », avec la participation de

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La démocratisation de la mondialisation constitue l'un des défis majeurs de ce XXIème siècle. Faute d'en mesurer l'importance et l'urgence, ne risque-t-on pas de voir la mondialisation pervertir et dénaturer ce que nous avons chèrement acquis au fil des siècles et ce vers quoi tendent, aujourd'hui encore, beaucoup de peuples : la démocratie à l'échelon national ?

Force est de constater, en effet, que les démocraties, même les plus solidement ancrées, ces démocraties, élaborées autour de l'Etat nation, sont entrées dans une phase d'affaiblissement, du fait de la mondialisation.

Car, alors que la société internationale est faite de multiples communautés politiques, organisées autour d'un cloisonnement entre les Etats, la société mondiale, elle, réalise l'universel décloisonné. Dans le domaine économique, sous l'effet tout à la fois des progrès technologiques, de la rationalisation des modes de gestion, de l'optimisation de la productivité, les grandes entreprises se mondialisent.

Dans le domaine financier, avec les déréglementations, avec la fin du contrôle des changes, avec l'innovation financière et le progrès des télécommunications, le monde financier est désormais globalisé en termes réels. Dans le domaine de l'information, nous vivons aujourd'hui au rythme de la transmission universelle et instantanée des nouvelles et des données.

Ces considérables modifications font que les problèmes majeurs du devenir humain sont essentiellement des problèmes transnationaux. Qu'il s'agisse par exemple de la protection de l'environnement, de la lutte contre le sida, de la maîtrise de l'avenir démographique, de la lutte contre la faim, des grands enjeux technologiques et de la génétique, il est évident que toutes ces questions se posent désormais à l'échelle planétaire et ne peuvent que très partiellement être appréhendées à l'échelle de l'Etat nation.

Ce phénomène de mondialisation, générateur d'angoisse, aiguise les frustrations, détruit les liens de solidarité traditionnels, marginalise des pays voire des régions entières de la planète. Cette situation n'est pas sans risques. Les guerres, les exclusions, les haines, les antagonismes ethniques ou religieux s'alimentent toujours d'un tel climat. Et les pensées irrationnelles, fanatiques sont toujours à l'affût pour offrir de fausses solutions à des peuples désemparés.

Nous avons donc aujourd'hui l'impérieuse obligation de réfléchir à un nouveau projet de vie collective pour offrir aux Etats, aux hommes et aux femmes du monde entier, des raisons concrètes d'espérer. Pour les pays du Sud, ne pouvoir participer à la gestion de la mondialisation, équivaut à une exclusion de l'Histoire. C'est dans cette perspective que la démocratisation de la mondialisation prend toute sa signification. Pour que la démocratie ait un sens réel, elle doit pouvoir s'exercer dans tous les lieux où se concentre le pouvoir.

A l'échelle locale, nationale bien sûr, mais aussi à l'échelle mondiale. La démocratie doit être le mode d'exercice de tout pouvoir quel qu'il soit. En d'autres termes, le phénomène de mondialisation de l'économie doit aller de pair avec un mouvement de globalisation de la démocratie. La démocratie globale ne peut se réduire à une transformation des structures de la démocratie nationale.

Elle doit faire l'objet d'une architecture spécifique nouvelle, dans la mesure où elle ne s'adresse pas directement aux citoyens, mais à des Etats, des entreprises multinationales, des organisations non gouvernementales, des municipalités, des partis politiques. Cela nécessitera, sans doute, la création de nouvelles institutions politiques mais aussi une réforme des organisations internationales existantes.

Comment donc contribuer à la démocratisation de la mondialisation ? J'ai eu l'occasion de détailler cette question dans l'Agenda pour la démocratisation que j'avais présenté à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 16 décembre 1996 et qui a été largement passé sous silence depuis que j'ai quitté cette organisation.
Quatre grands principes devraient guider notre action.

D'abord, mieux diffuser la démocratie au sein même du système des Nations Unies. Cela passe, bien sûr, par une réforme du Conseil de sécurité et une consolidation du Conseil économique et social. En disant cela, j'ai bien conscience de soulever un paradoxe au moment où les Nations Unies vivent une de leur plus grave crise.

En second lieu, il est indispensable d'introduire les entreprises transnationales dans le processus de démocratisation afin qu'elles apparaissent non pas comme des prédateurs qui se joueraient des lacunes de l'ordre social international, mais au contraire comme des acteurs du développement démocratique.

En troisième lieu, associer à la volonté des sujets politiques et des agents économiques les aspirations des acteurs sociaux et culturels, ONG, municipalités, universités, parlements, partis politiques, groupements religieux, médias etc.

Cela ne sera pas chose facile. Mais, nous n'avons pas le choix. Car, que les Etats veuillent ou non intégrer les acteurs non étatiques dans le processus décisionnel et la gestion de la mondialisation, ces derniers continueront à peser sur l'évolution du nouveau système international.

Cependant, l'exemple de l'Organisation Internationale du Travail, créée avant la les Nations Unies, où siègent, pour chaque Etat, des représentants du patronat, des ouvriers et des gouvernements, montre que des solutions techniques sont possibles, que ce soit, dans le cadre des Nations Unies, en créant une seconde Assemblée Générale, voire par la création d'une nouvelle organisation internationale.

En dernier lieu, si l'on veut éviter que la guerre froide d'hier ne se mue en un affrontement culturel, en une guerre de civilisation attisée par d'amples mouvements de migrations internationales, et par le terrorisme international, il faut défendre la diversité culturelle, le plurilinguisme qui est aussi important pour la démocratie planétaire que le pluripartisme est important pour la démocratie nationale. C'est d'ailleurs une des raisons d'être de l'UNESCO.

Un tel propos peut paraître largement prospectif voire passer pour une utopie. Mais je veux croire et je continue à croire obstinément que la paix entre les nations fondée sur la démocratisation de la mondialisation est une de ces utopies tout à la fois envisageable et réalisable.


(*) M. Boutros Boutros-Ghali est président du Panel international sur la démocratie et le développement et Président de la Commission nationale des droits de l'Homme (Egypte).

· Le cycle des Entretiens et Dialogues du XXIe siècle, est un forum de réflexion et de débat prospectifs rassemblant les meilleurs cerveaux des différentes régions du monde, qui "planchent" sur les questions-clé du futur.
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