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Grand angle sur un poisson disparu : l'alose ou l'histoire du poisson emblématique de l'oued Bouregreg

L'alose (chabel, en arabe) de l'oued Bouregreg qui sépare les villes de Rabat et de Salé fut pendant longtemps le poisson emblématique de cette rivière mythique. Elle régala jadis les familles et les fins gourmets r'batis et slaouis et resta ancrée dans l

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Le chabel béni nourrissait et contribuait au bien-être des habitants et à la prospérité de cités jumelles.

De nombreux R'batis et Slaouis se souviennent encore des délicieux tagines et fritures d'alose que leur préparaient leurs grand -mères.
Aujourd'hui, font-ils remarquer, les temps ont changé. L'alose qui pesait jusqu'à 5 kg est un poisson introuvable sur les halles aux poissons de Rabat et Salé. Elle a déserté la rivière dès 1975, date de la construction du barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah, situé à 25 km en amont de l'estuaire. L'espèce a également disparu des autres cours d'eau tels que Sebou, Loukkos et Oum Er-Rabia.

La majorité des jeunes des deux villes ignore que l'alose colonisait en abondance leur rivière car elle peuplait, il y a des années de cela, les eaux de l'oued, de mars à juillet.
Après une longue et éprouvante migration, la femelle venait pour déposer ses oeufs à l'endroit où elle a vu le jour, d'où naîtront des alevins qui grandiront pendant 3 à 4 ans dans les eaux du littoral, à l'abri des prédateurs de la mer.
Par la suite, mue par son instinct, l'"alosa alosa" (nom scientifique) ou "alose vraie", regagne par bandes, l'océan vers des destinations au sud-ouest de l'Atlantique (régions d'Essaouira, d'Agadir, Tarfaya...)
La pêche fluviale constituait pendant des siècles une source de revenu importante pour de nombreuses familles de pêcheurs r'batis et slaouis.

Cette activité d'ailleurs prospérait dans les estuaires des principales rivières situées sur la façade atlantique du Maroc (Sebou, Oum Er-Rabiâ et Loukkos). La ressource attirait une flotte étrangère, notamment européenne, qui venait s'approvisionner en aloses salées et séchées.

Les historiens relatent qu'au XVIe siècle, la ville d'Azemmour située sur l'embouchure d'Oum Er-Rabîa payait son "tribut" au roi du Portugal en aloses, ce qui prouve que le produit était stratégique et permettait d'apaiser, tant bien que mal, les "appétits" et les convoitises que les puissances européennes de l'époque exerçaient déjà sur le Maroc. Vers 1910, ce petit port expédiait jusqu'à 100.000 aloses salées et séchées vers les grandes villes du pays.

Au port de Rabat, cette pêche saisonnière était florissante et faisait appel à une importante main d'oeuvre et une flottille qui sillonnait la rivière à la recherche de l'"alosa alosa", d'une haute valeur marchande.

Les captures abondantes se vendaient à la criée à Bab El Bahr. Le secteur relevait exclusivement du Nidara des Habous de Rabat qui octroyait les licences et contrôlait les ventes et les transactions de l'alose. Les revenus dégagés étaient destinés au financement de l'entretien des mosquées, des fondations pieuses de Rabat et de Salé et des travaux d'utilité publique. «Etant bien habous, nul n'a le droit de les pêcher.

Sauf les équipes de pêcheurs de la Grande mosquée de Rabat et celle de Salé», rapporte Dr Robert Chastel dans son ouvrage sur "Rabat-Salé, vingt siècles de l'oued Bouregreg". Actuellement, la pêche de l'alose dans les cours d'eau est régie par le dahir du 11 avril 1922. En 1994, un arrêté du ministre des Pêches maritimes a été pris pour étendre l'interdiction de la pêche de cette espèce au domaine maritime.

Il existe actuellement une autre espèce d'alose (l'alose feinte appelée +ouarsa+ ou +chbouk+) qui s'est adaptée merveilleusement à son environnement aquatique et coule des jours heureux (avec d'autres poissons comme la carpe chinoise), à la retenue du barrage Sidi Mohamed Benabdallah. Ces aloses, dont l'effectif reste faible, peuvent être pêchées du 15 septembre au 31 mai. Un permis de pêche délivré par l'administration des Eaux et Forêts est obligatoire. La pêche est ouverte de deux heures avant le lever du soleil à deux heures après le coucher du soleil. Elle est interdite durant la période de reproduction du 31 mai au 15 septembre.
Les facteurs qui ont contribué à la disparition progressive de l'+alosa alosa+ du Bouregreg sont à la fois nombreux et complexes.

Le déclin de l'espèce est un phénomène mondial qui affecte de nombreux pays dont la France et le Canada.

Les experts sont unanimes à souligner que deux principaux facteurs sont à l'origine de la disparition de l'alose de l'oued Bouregreg: la construction du barrage en amont de l'estuaire et la pollution des eaux de la rivière.
L'édification du barrage a réduit d'une façon drastique le débit de la rivière (2 m3/d) et accentué par conséquent la pénétration de la mer et donc de la salinité. L'ouvrage n'est pas doté d'une échelle à poissons pour permettre à l'alose de poursuivre sa migration.

La dégradation de la qualité des eaux du Bouregreg est perceptible à l'oeil nu. La rivière agonise sous le poids des tonnes de rejets urbains, industriels et agricoles des deux cités, qui se déversent depuis des décennies dans l'oued, perturbant gravement l'équilibre écologique et l'environnement marin de cet espace aquatique. L'alose, un poisson fragile, ne peut survivre dans un milieu hautement toxique.

Le projet d'assainissement et de dépollution du littoral atlantique et du Bouregeg qui mettra fin aux rejets directs des eaux usées et dont les travaux doivent prendre fin en 2005, serait d'un grand apport et ouvre de nouvelles perspectives de nature à permettre une réhabilitation de l'espèce.
Divers plans de sauvegarde de l'alose ont été expérimentés avec plus ou moins de succès par l'administration des Eaux et Forêts.
La tentative de sédentarisation de l'espèce a donné des résultats encourageants au barrage Sidi Mohamed Benabdallah.

L'installation d'échelles à poissons au niveau des aménagements hydrauliques pour faciliter la migration de l'espèce peut s'avérer parfois judicieuse, surtout quand il s'agit de petits barrages.
Des essais de transfert d'alose ont été lancés depuis longtemps à partir de spécimens signalés dans la Moulouya, une rivière peu polluée qui se jette dans la Méditerranée.

Les spécialistes envisagent même l'importation des oeufs d'alose de France ou des Etats-Unis pour réintroduire ce poisson dans les estuaires marocains.
L'entreprise est difficile et nécessite la conjugaison des efforts de toutes les parties pour redonner à cette espèce, jadis symbole de Bouregreg, toute sa splendeur d'antan.

L'apport des organisations et des fondations internationales de protection de l'environnement et de la nature qui disposent de moyens matériels et de compétences sera bénéfique, dans le cadre d'une coopération entre la Maroc et ces institutions spécialisées qui ont contribué à la sauvegarde d'autres espèces aquatiques, floresques et faunesques menacées d'extinction dans diverses régions du globe.
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