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«L'Islam entre le message et l'histoire» de Abdelmajid Charfi : l'Islam est ce qu'en font les Musulmans

Dans ce livre « L'Islam entre le message et l'histoire », Abdelmajid Charfi nous invite à une réflexion critique de la pensée islamique telle qu'elle a été formulée par la tradition au regard de la réalité historique. Pour lui l'Islam est le produit de l'

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Voici un livre -« l'Islam entre le message et l'histoire »- qui se veut une réflexion sur l'Islam en rupture radicale et novatrice avec la tradition. On le doit à un grand érudit, sociologue et historien tunisien de la trompe d'un Talbi ou d'un Yad Achour dont on reconnaît l'immense contribution à la réflexion critique de la pensée islamique traditionnelle. Il s'agit de Abdelmajid Charfi qui note dès l'introduction : «Nul doute que le lecteur musulman est habitué à entendre l'invitation à l'effort de recherche (ijtihad) comme un impératif de la religion et une nécessité de notre époque(…). L'ijtihad dont nous avons besoin aujourd'hui, ce n'est pas l'ijtihad limité ni l'ijtihad absolu dans le sens originel du fiqh .

Ce dernier cherche à élaborer, en l'absence de textes, de dispositions légales ; il s'insère dans un ensemble constitué que nous pensons pouvoir dépasser(…) L'ijtihad que nous revendiquons est donc une réflexion et un discernement qui se veulent fidèles au message de Mohammed et qui ne craignent pas de s'en prendre aux idées reçues. Celles-ci se présentent comme faisant partie intégrante de la religion et prétendent être contraignantes au même titre, alors qu'elles peuvent et doivent être discutées. Et on ne peut pas non plus opposer à l'ijtihad que nous proposons ce qu'a dit Untel ou Untel, tant qu'on refuse de prendre en considération les circonstances personnelles et historiques qui l'on amené à dire cela ».

Tout est dit déjà dans le titre : « L'Islam entre le message et l'histoire ». L'Islam tel qu'il nous est parvenu est le produit de l'Histoire. En plus du message de Mohammed, nous avons hérité un « ensemble constitué » qui s'y est rattaché à mesure de son accumulation au cours des siècles, fait de différentes écoles théologiques, de fikh, de jurisprudence et d'exégèses coraniques, lequel ensemble, contrairement, au message d'ordre divin, est le fruit d'une production intellectuelle humaine se rattachant à des époques spécifiques, à des circonstances politiques, sociales et culturelles particulières.

Il s'agit pour Charfi de dissocier donc le message du Prophète et la façon dont il était compris par les sociétés musulmanes à travers les interprétations qui lui ont été faites par les fokaha, les théologiens et autres exégètes au cours des siècles dans des circonstances particulières pour chacune des sociétés en des époques différentes. C'est la condition pour entreprendre une réflexion moderne qui tient compte des réalités et des exigences de notre époque et en tirant profit de ses avancées sur le plan des connaissances et du savoir scientifiques, ainsi que des apports des méthodes modernes dans le domaine des sciences humaines telles l'histoire, l'anthropologie ou les études comparées.
C'est ce que clament Mohamed Argoun et Laroui depuis 40 ans, c'est ce que reprend Charfi dans tous ses écrits dont celui-ci.

Charfi fait remarquer qu'après tout, les premiers Musulmans, compagnons du Prophète ont abordé la nouvelle religion de manière « spontanée » sans avoir besoin de l'intermédiation d'une quelconque interprétation institutionnalisée dont la nécessité ne s'est fait sentir qu'au cours du 2e siècle de l'Hégire dans des conditions politiques et sociales différentes : « Tous ceux qui ont étudié quelque peu l ‘Histoire de la pensée islamique connaissent les luttes violentes qui se sont déroulées à l'époque abbasside entre les théologiens, les spécialistes du droit et ceux du hadith. Le pouvoir politique s'y engagea au 3e siècle de l'Hégire surtout au temps d'Al-Mamûn, d'Al-Mu'tasim, et d'Al-Wathiq et d'Al-Mutawakkil, puis au 5e siècle, au temps d'Al-Qadir, afin de faire triompher un parti sur l'autre, selon l'intérêt qu'y trouvait chaque calife ».

Les fins ultimes du message

Il faut ajouter à ces facteurs qui, à eux seuls sont suffisants pour marquer inéluctablement les lectures du message du sceau du particularité et donc de la relativité, un autre : les limites de la connaissance du monde et de la conception des rapports sociaux de l'époque.

Charfi rappelle que le 2e siècle de l'Hégire a été marqué par la préoccupation des Musulmans dont l'hégémonie hors du cadre géographique de l'Arabie a abouti à la création d'un empire où désormais vivent des peuples différents avec des cultures et des langues différentes, de codifier les rapports sociaux, d'organiser le gouvernement et la gestion de l'économie toute chose qui les amène à faire plier l'esprit du message aux nécessités du réel.

Pour toutes ses raisons, réclame Charfi, il est nécessaire et même impérieux pour sortir la pensée islamique de la sclérose à laquelle les fukaha traditionnels l'ont condamnée, d'entreprendre la réflexion sur la base des données de nos réalités modernes qui ont peu à voir avec ceux des générations précédentes du 2 ou 3e siècle de l'Hégire.

A ce propos, Charfi préconise de ne tenir en compte que l'esprit du message et de ses fins ultimes (Al-maqasid) dont la conception de nos sociétés actuelles est en total rupture avec celles des sociétés musulmanes du passé. Il n'est pas certain en effet que ces sociétés aient la même conception que nous aujourd'hui, des valeurs de la liberté, de la responsabilité, de la dignité humaine et de l'individu, et encore moins du statut de la femme, de la démocratie ou de la justice. C'est en tenant compte des finalités ultimes du message qu'il est possible, d'abord d'ouvrir la pensée islamique sur de nouvelles perspectives à même de la tirer du rabâchage et de la sclérose où elle est réduite, et surtout, de concilier les Musulmans avec leur époque, ses valeurs et ses exigences.

Pour Charfi, l'esprit du message de Mohammed n'était-il pas d'éduquer ses adeptes sur la base des principes de la liberté et de la responsabilité afin qu'ils se prennent en charge hors de la tutelle pesante des traditions et des déchirements tribales ? n'était-il pas en fin de compte un appel au changement des mœurs et des rapports sociaux marqués par la soumission du faible, l'oppression des femmes et des esclaves ? N'est-il pas un appel au savoir et la curiosité intellectuelle grâce à la science au savoir et à l'ouverture de l'esprit ?

C'est cet esprit là que Charfi préconise de retrouver, en prenant une distance critique par rapport à la tradition, afin de doter la pensée islamique de la fraîcheur dont elle a besoin et qui lui manquait tant. C'est enfin cet esprit dont il est possible de gager pour donner le change aux générations montantes contre le dogmatisme débile et stérilisant des fokahas autant que des chants des sirènes de l'intégrisme et des idéologies meurtrières.

Loin de se contenter de produire un discours sur la nécessité de l'ijtihad et du changement, le livre de Charfi est un véritable chantier où en sa qualité d'historien et de sociologue doublé d'un connaisseur de la littérature théologico-juridique des anciens depuis le 2e siècle de l'Hégire, a procédé dans ce livre à une véritable décortication des fondements de la pensée islamique traditionnelle.

Des caractéristiques du message de Mohammed et de son cadre historique au problème de la législation et de l'institutionnalisation de la religion en passant par la critique des fondements théoriques du fiqh, de la théologie et de l'exégèse coranique en n'hésitant pas de remettre en question les idées reçues dans ce domaine. Un souffle de fraîcheur et une réflexion critique pour les initiés, ce livre est aussi une source d'information et d'apprentissage d'un patrimoine séculier pour les profanes et les curieux. Les uns et les autres découvriront sans doute que l'Islam est en définitif ce qu'en font les Musulmans.

« L'Islam entre le message et l'histoire » Abdelmajid Charfi. Traduit de l'arabe par André Ferré . Ed Albin Michel. 239p.
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