D’après son éditeur Richard Ducousset, Jean-Christophe Grangé est devenu «le Français qui fait pâlir les Américains ». Conséquence d’un succès éditorial « king size » ou de sa fulgurante ascension dans la pyramide des maîtres du thriller ? « Le Vol des cigognes » en 1994, «Les Rivières pourpres » en 1997, « Le Concile de Pierre » en 2000 et le récent « Empire des loups » l’année dernière… soit quatre romans en dix ans et le voilà assis, à un peu plus de quarante ans, près d’un John Grisham ou d’un Stephen King. Qu’il n’aurait jamais lu a t-il précisé dans un entretien à L’Express, avant d’ajouter : « Nos univers sont si différents! Les Rivières pourpres se passent à Grenoble, L'Empire des loups à Paris et en Turquie! ».
Un décor « frenchy» donc, auquel il faudrait ajouter une horlogerie narrative implacable, une intrigue touffue fondée sur des arguments scientifiques et géopolitiques valables, un sens aiguë du suspens, une propension à détailler l’horreur comme les mécanismes de l’angoisse, une traque pudique des sentiments humains et un style acéré comme des canines.
Du grand thriller « à la française » qui a fait vendre deux millions d'exemplaires dans l’hexagone, tous titres et éditions confondus, et autant à l'étranger, avec une percée notable en Allemagne, en Italie et au Japon, sans parler des adaptations au cinéma (Les Rivières pourpres de Mathieu Kassovitz avec Jean Reno et Vincent Cassel). Le dernier roman de Jean-Christophe Grangé, «L’Empire des loups», a même bénéficié d’un lancement événement avec un tirage immédiat de 150 000 exemplaires, une grosse campagne d'affichage, du matraquage à la radio et dans les journaux, et un débarquement de critiques étrangers pour l’occasion.
Jean-Christophe Grangé sur les bancs des phénomènes. Littéraires? Certains s’interrogent - auteur à succès, scénariste hors pair ou vraie plume ?- jouant à déceler dans les ambitieuses orfèvreries du romancier les traces d’invraisemblances, les symptômes d’une trop grande faim, les signes distinctifs de cette littérature encore bien souvent classée comme « sous-genre ». Mais chez Albin Michel, son éditeur est formel : « Nous l'avions mis en Spécial suspense pour le faire connaître. Mais Grangé n'est pas un écrivain de genre. C'est un écrivain tout court.»
Etudiant à la Sorbonne, Jean-Christophe Grangé biberonnait Flaubert et Proust en pensant que les écrivains « menaient le monde ». Quand il a compris que c’étaient les «Homais » (personnage de pharmacien bourgeois dans Madame Bovary) qui « faisaient la loi ». Dépité, il s’est fait publicitaire un temps, envahit par l’inquiétude.
Et puis ,il a trouvé la passion qui allait tout déclencher : le reportage. Rédacteur dans une agence, il a suivi les traces de mafias, tribus nomades et animaux migrateurs. Jusqu’à ce que le vol des cigognes lui fournissent son premier sujet de roman, et ses voyages suffisamment de matières pour plusieurs livres à venir.
Une intrigue nourrie de reportages
Deux enquêtes dans la gamelle de « L’Empire des loups » : des travaux scientifiques sur le cerveau (cartographie du cerveau, localisation des zones gérant la peur et la mémoire, effacement des souvenirs) et des reportages sur la mafia turque, son foyer d’extrême droite en Turquie (commandos des Loups gris), ses ramages mafieux à Paris dans le 10earrondissement, entre ateliers clandestins, ouvrières sans papiers et babas sans pitié.
Au départ, les deux sujets sont distincts comme deux affaires policières que l’on attend de voir se rejoindre. D’un côté Anna, une jeune femme fragile, inquiétée depuis quelques temps par des absences et des angoisses inexpliquées. Elle ne reconnaît plus les visages qui l’entourent, en premier lieu celui de son mari. Et il lui arrive de voir ceux d’inconnus se brouiller subitement devant elle, comme dans un cauchemar. Elle subit des examens dans une clinique spéciale qui lui prescrit une biopsie (prélèvement). Effrayée, elle entreprend d’enquêter elle-même sur le mal qui la ronge avant que la folie ne la submerge.
Ailleurs dans Paris, Paul, jeune et brillant policier, est dépêché pour enquêter sur les meurtres atroces d’un tueur en série qui sévit dans le quartier turque. A trois reprises, l’assassin a défiguré et mutilé lentement de jeunes ouvrières sans papiers, victimes idéales puisque non répertoriées.
Autour d’Anna et Paul, une galerie de personnages inquiétants, flics parisiens ou malfrats exotiques, grands orchestrateurs des combines, violences et méfaits qui régissent le monde. Et puis des manipulés d’une barbarie inouïe, adeptes de tortures ou scientifiques sans éthique.
Pas de leçon de morale chez Grangé, le monde appartient aux loups, il est sombre, cruel et régit par des règles qui dépassent les individus. « Tout avait commencé avec la peur, tout finirait avec elle », prévient-il en quatrième de couverture. Une situation intrigante en début de chaque chapitre, un nouvel indice à chaque fin : impossible de faire autrement que de tourner la page et de tirer, sur ce rythme haletant, les fils entremêlés d’une folle histoire dont on remonte progressivement les étapes.
Conditions de vie dans les ateliers clandestins et rituels mafieux, résumé sur l’histoire contemporaine de la Turquie, la science du cerveau ou la mémoire des cellules: l’ancien reporter est tellement généreux et précis dans les descriptions que seuls les spécialistes pourront tiquer. Des alentours du cimetière du Père Lachaise aux cabinets de l’hôpital Saint Anne, du Faubourg Saint-Honoré au site de Nemrut Dag dans la région d’Adiyaman, chaque déplacement, chaque avancée dans l’enquête cofine à l’exploration. Plus qu’un roman, L’Empire des Loups est un tourbillon implacable, une énigme qui force en avant à mesure qu’elle assène ses coups de dents.
Quelques invraisemblances il est vrai, et une narration qui risque le déséquilibre en s’engouffrant dans différents protagonistes. Mais campé sur la précision de ses détails, « L’Empire des loups » reste stable, lançant du haut de son scénario un défi aux cinéastes qui ne vont pas manquer d’accourir.
« L’Empire des loups » de Jean-Christophe Grangé, Ed. Albin-Michel, 456 p.
Un décor « frenchy» donc, auquel il faudrait ajouter une horlogerie narrative implacable, une intrigue touffue fondée sur des arguments scientifiques et géopolitiques valables, un sens aiguë du suspens, une propension à détailler l’horreur comme les mécanismes de l’angoisse, une traque pudique des sentiments humains et un style acéré comme des canines.
Du grand thriller « à la française » qui a fait vendre deux millions d'exemplaires dans l’hexagone, tous titres et éditions confondus, et autant à l'étranger, avec une percée notable en Allemagne, en Italie et au Japon, sans parler des adaptations au cinéma (Les Rivières pourpres de Mathieu Kassovitz avec Jean Reno et Vincent Cassel). Le dernier roman de Jean-Christophe Grangé, «L’Empire des loups», a même bénéficié d’un lancement événement avec un tirage immédiat de 150 000 exemplaires, une grosse campagne d'affichage, du matraquage à la radio et dans les journaux, et un débarquement de critiques étrangers pour l’occasion.
Jean-Christophe Grangé sur les bancs des phénomènes. Littéraires? Certains s’interrogent - auteur à succès, scénariste hors pair ou vraie plume ?- jouant à déceler dans les ambitieuses orfèvreries du romancier les traces d’invraisemblances, les symptômes d’une trop grande faim, les signes distinctifs de cette littérature encore bien souvent classée comme « sous-genre ». Mais chez Albin Michel, son éditeur est formel : « Nous l'avions mis en Spécial suspense pour le faire connaître. Mais Grangé n'est pas un écrivain de genre. C'est un écrivain tout court.»
Etudiant à la Sorbonne, Jean-Christophe Grangé biberonnait Flaubert et Proust en pensant que les écrivains « menaient le monde ». Quand il a compris que c’étaient les «Homais » (personnage de pharmacien bourgeois dans Madame Bovary) qui « faisaient la loi ». Dépité, il s’est fait publicitaire un temps, envahit par l’inquiétude.
Et puis ,il a trouvé la passion qui allait tout déclencher : le reportage. Rédacteur dans une agence, il a suivi les traces de mafias, tribus nomades et animaux migrateurs. Jusqu’à ce que le vol des cigognes lui fournissent son premier sujet de roman, et ses voyages suffisamment de matières pour plusieurs livres à venir.
Une intrigue nourrie de reportages
Deux enquêtes dans la gamelle de « L’Empire des loups » : des travaux scientifiques sur le cerveau (cartographie du cerveau, localisation des zones gérant la peur et la mémoire, effacement des souvenirs) et des reportages sur la mafia turque, son foyer d’extrême droite en Turquie (commandos des Loups gris), ses ramages mafieux à Paris dans le 10earrondissement, entre ateliers clandestins, ouvrières sans papiers et babas sans pitié.
Au départ, les deux sujets sont distincts comme deux affaires policières que l’on attend de voir se rejoindre. D’un côté Anna, une jeune femme fragile, inquiétée depuis quelques temps par des absences et des angoisses inexpliquées. Elle ne reconnaît plus les visages qui l’entourent, en premier lieu celui de son mari. Et il lui arrive de voir ceux d’inconnus se brouiller subitement devant elle, comme dans un cauchemar. Elle subit des examens dans une clinique spéciale qui lui prescrit une biopsie (prélèvement). Effrayée, elle entreprend d’enquêter elle-même sur le mal qui la ronge avant que la folie ne la submerge.
Ailleurs dans Paris, Paul, jeune et brillant policier, est dépêché pour enquêter sur les meurtres atroces d’un tueur en série qui sévit dans le quartier turque. A trois reprises, l’assassin a défiguré et mutilé lentement de jeunes ouvrières sans papiers, victimes idéales puisque non répertoriées.
Autour d’Anna et Paul, une galerie de personnages inquiétants, flics parisiens ou malfrats exotiques, grands orchestrateurs des combines, violences et méfaits qui régissent le monde. Et puis des manipulés d’une barbarie inouïe, adeptes de tortures ou scientifiques sans éthique.
Pas de leçon de morale chez Grangé, le monde appartient aux loups, il est sombre, cruel et régit par des règles qui dépassent les individus. « Tout avait commencé avec la peur, tout finirait avec elle », prévient-il en quatrième de couverture. Une situation intrigante en début de chaque chapitre, un nouvel indice à chaque fin : impossible de faire autrement que de tourner la page et de tirer, sur ce rythme haletant, les fils entremêlés d’une folle histoire dont on remonte progressivement les étapes.
Conditions de vie dans les ateliers clandestins et rituels mafieux, résumé sur l’histoire contemporaine de la Turquie, la science du cerveau ou la mémoire des cellules: l’ancien reporter est tellement généreux et précis dans les descriptions que seuls les spécialistes pourront tiquer. Des alentours du cimetière du Père Lachaise aux cabinets de l’hôpital Saint Anne, du Faubourg Saint-Honoré au site de Nemrut Dag dans la région d’Adiyaman, chaque déplacement, chaque avancée dans l’enquête cofine à l’exploration. Plus qu’un roman, L’Empire des Loups est un tourbillon implacable, une énigme qui force en avant à mesure qu’elle assène ses coups de dents.
Quelques invraisemblances il est vrai, et une narration qui risque le déséquilibre en s’engouffrant dans différents protagonistes. Mais campé sur la précision de ses détails, « L’Empire des loups » reste stable, lançant du haut de son scénario un défi aux cinéastes qui ne vont pas manquer d’accourir.
« L’Empire des loups » de Jean-Christophe Grangé, Ed. Albin-Michel, 456 p.
