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«La confrérie des Eveillés» de Jacques Attali : Quand Ibn Rochd et Maïmonide s'entendaient à merveille

Jacques Attali plante le décor de son dernier roman au cœur du XIIe siècle, à un moment crucial de l'histoire de l'Andalousie musulmane. Les protagonistes de son roman sont aussi des personnages célèbres qui ont eu une grande influence sur la pensée unive

«La confrérie des Eveillés» de Jacques Attali : Quand Ibn Rochd et Maïmonide s'entendaient à merveille
Tout bascule dans l'horreur, l'intégrisme et le refus de l'Autre quand les Almohades devinrent maîtres de l'Andalousie. Les Juifs n'étaient plus les bienvenus en terre d'Islam. Contraints de se convertir de force à la religion dominante, certains choisirent de renier définitivement la religion de leurs ancêtres, d'autres voulurent donner le change en faisant croire à leur fausse conversion, d'autres encore optèrent pour l'exil forcé.

Dans cette ambiance de suspicion, de violence, d'exaction et de malaise, deux hommes poursuivent la même quête, trouver le Traité de l'éternité absolue d'Aristote, le livre «le plus important à avoir jamais été écrit par un être humain» .

Ces deux hommes sont Ibn Rochd, connu aussi sous le nom d'Averroès et Moshé ibn Maymun, plus connu sous le nom de Maïmonide. Muni chacun d'une pièce d'or d'un genre particulier, ils s'en vont à travers l'Europe et le Maroc pour pouvoir lire ce livre mystérieux et inspiré dont il n'existe désormais que deux exemplaires, l'un en latin et l'autre en arabe. Poursuivis par une mystérieuse confrérie qui essaie par tous les moyens de les empêcher d'entrer en possession de l'ouvrage tant convoité, les deux hommes qui se rencontrent, établissent le dialogue entre eux et partagent des valeurs communes.

La fiction qui sert de cadre à «La confrérie des Eveillés» n'est, en fait, qu'un prétexte pour des dialogues philosophiques et théologiques entre deux hommes qui étaient plus proches qu'on aurait pu l'imaginer. Tous les deux étaient maîtres de la science juridique, médecins et philosophes. Les deux hommes ont pâti, à des degrés différents, des dérives du pouvoir et d'une répression aveugle qui les jugeait pour leurs idées et opinions. Aussi, même si Ibn Rochd a exercé des fonctions officielles auprès de la cour Almohade, il n'en demeure pas moins qu'il a essuyé les foudres des princes. Maïmonide aurait doublement souffert du fait de sa religion. Produits d'une même civilisation, d'une même société symbiotique et d'une culture qui était à son apogée, les deux hommes poursuivaient le même idéal.

Les réflexions et les échanges imaginés par Jacques Attali entre les deux penseurs, tous deux séduits par la philosophie d'Aristote, s'appuient sur la raison et l'intelligence. «La première chose créée par Dieu fut d'ailleurs l'intelligence, avant même la matière. Puis il a conçu un univers régi par l'exercice de l'intellect. Le savoir ne mène donc pas à l'incroyance ni au refus de l'œuvre de Dieu, mais à la connaissance des lois voulues par Dieu.

La philosophie, qui est l'étude de ces lois, est l'expression de la raison et du droit de spéculation sur l'univers ; elle permet d'approcher l'Eternel, comme l'œuvre d'art permet d'approcher l'artiste. En revanche, prétendre accéder à Dieu et aux mystères de l'univers sans la raison conduit au mysticisme, au fanatisme, et ne plaît pas au Tout-Puissant», déclarait Ibn Rochd devant les centaines d'étudiants venus écouter son premier cour inaugural donné à la Quaraouiyine. Ces mêmes idées sur la prééminence de la raison sont développées par Maïmonide qui entend prouver qu'il y a convergence entre les données de la raison et la révélation de la Torah.
«Ibn Rochd et Moshé découvraient chaque jour, au cours d'interminables conversations, l'extraordinaire proximité de leurs pensées.

Chacun parlait avec vénération de la religion de l'autre, qu'ils considéraient comme la forme la plus haute du monothéisme. Moshe admirait l'audace de son aîné, qui osait dire à ses étudiants que la vérité n'était pas dans le Coran, que l'univers existait sans qu'un Dieu l'eût créé et qu'il n'y avait rien à attendre d'un illusoire paradis. L'un et l'autre estimaient que Dieu existait hors du temps, que c'était même cela seul qui Le distinguait de l'univers.

Pour l'un et l'autre, Dieu était l'intellect parfait, immuable, intelligence cosmique en charge du gouvernement de l'univers, du passage de l'esprit à l'acte [...] Ils affirmaient qu'à Dieu on ne pouvait prêter ni bonté, ni jalousie, ni colère, ni orgueil, ni miséricorde, car, par Son essence, Il échappait à toutes les catégories humaines». Les deux hommes pensaient aussi «que seule la matière, corruptible, était le mal; que l'Esprit, immortel, était le bien».

Cette entente parfaite entre les deux religions monothéistes, l'Islam et le judaïsme se situait, explique Jacques Attali, dans la droite ligne des idéaux et idées d'Aristote, ce qui était loin d'être le cas du christianisme, religion fondée sur la foi en un Dieu incarné, donc ne méprisant pas la matière, mêlé de ce fait à l'histoire des hommes et agissant, de surcroît, dans l'univers. Dans chacune des pages de ce roman, le lecteur ne peut s'empêcher de méditer et de tirer des leçons.

Et toujours dans l'ombre, les Eveillés veillent pour que le mystérieux livre ne tombe jamais entre les mains de ceux qui sont à sa recherche
Mais Maïmonide (1135 et 1204) et Ibn Rochd (1126 et 1198) qui étaient des contemporains, se sont-ils rencontrés dans la réalité ? On aimerait tant que cela soit possible et que ce secret, si essentiel pour l'avenir de l'humanité, puisse être, enfin, dévoilé.

«La Confrérie des Eveillés» de Jacques Attali, Ed. Fayard, 312 pages
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