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La guerre très privée du film libanais de Danielle Arbid : «Guerres d'amour» l'histoire de Lina qui a quitté son enfance dans une ville et une société détruites

Comment est ce que le cinéma, peut encore aborder la guerre du Liban, qui continue d'alourdir “ plus d'une décennie et demie après sa fin ” les esprits des Libanais notamment, ceux appartenant à une génération l'ayant vécue durant son enfance. Elle consti

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Bien entendue, il y a plusieur approches possibles de cette guerre. Les cinéastes libanais, depuis près de trente ans, de Marron Bagdadi à Bourhane Alaouia, ont expérimenté toutes ces approches, avec succès parfois et sans grande réussite d'autres fois.

Ils ont tellement expérimenté ces approches que certains déclarent aujourd'hui, que tout ce qui peut-être dit sur la guerre du Liban, du moins au cinéma, sera superflu et sans intérêt.

Mais, il existe encore des cinéastes qui ne trouvent pas d'alternative à la guerre. Il pense qu'il leur faudra réinventer le cinéma de guerre et rechercher des méthodes pour en parler, parlant de la question suivante : “Comment parler de la guerre du Liban sans pour autant en parler ? Comment en parler, par exemple, au travers de ses conséquences et de ses séquelles directes ou indirectes, encore perceptibles dans les esprits des gens…

Parmi ceux-là, on trouve la jeune cinéaste Danielle Arbid. Son long-métrage “Guerres d'amour ” a été projetté à “ la quinzaine des cinéastes ” à Cannes.

Globalement, elle peut s'en défendre en disant que son film n'est pas un film de guerre, puisque celle-ci n'en constitue qu'un arrière plan. On entend la guerre, on vit dans son ambiance, et l'on voit même ses acteurs. Mais les acteurs vivant dans un seul côté de la ville.

En tant que téléspectateur, on peut ne pas trop y accorder d'importance, si l'on suit bien l'autre histoire, l'histoire principale, celle que Danielle Arbid nous compte.
Cette histoire peut être d'une manière ou d'une autre son autobiographie. Elle peut l'être, si l'on suppose que Lina l'héroine du film, cette petite fille d'à peine 12 ans, est l'image de la réalisatrice à cet âge, comme il nous apparaît si l'on tient en compte de la période de la guerre, filmée dans le film.

La petite Lina est issue d'une famille chrétienne, à l'apparence bourgeoise. Elle vit sa propre guerre, la subit et s'y adapte sans pour autant lui accorder un grand intérêt. Ce qui importe à Lina, c'est sa découverte à un âge précoce, du monde des adultes, et le cours de sa vie de famille, entre un père joueur et qui risque de mener sa famille à la ruine, et une mère soumise la plupart du temps, à peine si elle arrive à se sortir des problèmes quotidiens dans lesquels elle se débat.

C'est une ambiance morose qui règne dans la maison. Elle est d'autant plus morose que la tante parternelle, qui habite un étage au-dessus, refuse d'aider son père pour solutionner ses crises financières.

Même cela, Lina nous le compte de façon secondaire. Elle trouve sa consolation chez la femme de ménage, la belle Sihem que sa tante a acquise, et qui vient de Syrie. Une adolescente qui vient à la vie et qui découvre l'amour. C'est à peine si elle comprend l'oppression dont elle fait l'objet de la part de sa maîtresse, une oppression qui frole le racisme.

Tout cela n'apparaît pas vraiment dans le film, sauf au travers des yeux de Lina. C'est la première fois, dans l'histoire du cinéma libanais, qu'on trouve un point de vue précis, accordant une priorité à l'aspect personnel au détriment de la guerre et des histoires de familles. C'est Lina qui raconte une histoire et l'histoire est la sienne. En réalité, c'est cette approche personnelle qui a sauvé un peu le film, faute de quoi il aurait au mieux servi à une soirée sociale, télévisée.

Partant de là, il devient l'un des meilleurs aspects du film, et ils ne sont pas très nombreux, si l'on suit la caméra de Danielle Arbid, fixée sur le regard de Lina, au point de l'adopter complétement (à quelques rares exceptions) et constituant les faiblesses du film. Mais là aussi on peut passer.

La vision de la guerre et celle de la société deviennent une vision doublée : la caméra guette Lina et Lina guette se qui se passe autour d'elle, et ce qui lui arrive.
Sans tarder, Lina se lie d'une relation assez floue avec Sihem. Sihem peut ici, être considéréé comme l'autre “ Moi ” de Lina. Elle peut aussi être considérée comme l'insouciance qui nous attire puisqu'elle se fiche d'être une “ bonne ”.

Et c'est cela que veut montrer la réalisatrice dès les premiers instants du film. Lina chuchote à Sihem “ Je suis toi…Sihem, je suis l'autre ”. Il apparaît donc que c'est Lina et non Sihem qui vit ce racisme dont peut être inculpée Sihem à travers sa relation avec sa maîtresse. Sihem, elle, ne se soucie que de ses amours, sans ressentir un seul instant, du moins au début qu'elle est étrangère à ce monde, contrairement à Lina.

La société que la réalisatrice film, est celle jamais encore présentée dans le cinéma libanais. L'autre côté de la ville, qu'on appellait à l'époque Beyrout Est, où règnait la domination des forces libanaises et des phalangistes, à l'opposé à l'ouest de la ville où régnaient les Palestiniens les Musulmans et les Libanais progressistes, et c'est aussi à peine si l'on ressens cela dans le film.

Parce que précisement, l'autre Beyrout est un monde loin très loin de Lina. Lina refuse sa société, mais même avec son père, sa relation est très mauvaise, et cela ne s'explique pas en référence à un autre mode social, sa référence c'est Sihem. La vie de Sihem est la sienne, ses faits et gestes sont son centre d'intérêt, et prendre la déffense de Sihem ne serait ce que par des regards haineux et coléreux sont les détails de son quotidien.

Sihem suit son cours de vie normal, semant au passage - et sans peut être se rendre compte – dans l'enfance de Lina, un intérêt à la vie, à l'amour. Son intérêt, pour la fillette, ne dépasse peut-être pas, le stade d'une relation opportuniste : elle l'utilise pour couvrir ses aventures.

C'est ainsi que nait cette relation marginale entre ces deux étrangères, l'une faisant partie d'un monde auquel elle est étrangère par choix, et l'autre étrangère à cette société mais s'y intégre sans difficultés. Danielle Arbid nous dessine une étonnante relation à travers laquelle on pénetre au cœur des détails de la vie au sein de la société libano-chrétienne. Le spectateur peut percevoir les contradictions sociales, politiques et humaines créées par la guerre et reflètées par les individus.

Ces contradictions sont aussi perceptibles dans le langage cinématographique de Danielle Arbid. A plusieurs reprises, elle a eu recours à des séquences d'immobilisme. Des portraits figés, des lieux, une porte, un chien, une affiche, ou une écriture politique (un grafiti) sur un mur. D'autres fois, elle fait bouger brusquement sa caméra, notamment, lorsqu'elle filme, une bagarre ou une dispute,…Cette succession de style est à inscrire à l'active de la réalisatrice qui retrace des événements lesquels se succédent puis s'arrête calmement pour contempler les lieux et les acteurs de ces événements, au point où l'on se sent parfois dans une grande galerie de portraits.

Ce côté du cinéma de Danielle Arbid est sujet à intérêt. La réalisatrice vient du monde du documentaire, elle paraît – dans plusieurs séquences du film – incapable de faire bouger ou de guider ses acteurs (la plupart d'entre eux sont des amateurs). Et même s'ils étaient professionnelles, Danielle Arbid paraît incapable de les maitriser. Elle remplace donc cette maitrise par des séquences d'immobilisme. Elle détaille leurs traits, comme si elle scultait leurs peaux.

Mais avec tout cela, la caméra de Danielle Arbid, sait tout de même s'arrêter dans un geste, pour sauver la succession de son film. Il ne faut pas comprendre par là, qu'il n'y a pas l'élement de fiction dans le film. Il y est et même en force, non pas dans l'aspect social mais celui marginal et intimiste que représent et le fait que Lina repose totalement et entirèrement sur sa vie et sur sa relation avec Sihem.

Lina paraît comme si elle vivait à la fois les deux vies. Sa vie et celle de Sihem. De ce fait lorsque Sihem ne supporte plus la discrimination sociale et raciale, et qu'elle décide de fuir avec son amant, Lina refuse, sachant très bien que Sihem ne peut plus supporter. Lorsque Sihem informe Lina de ses plans, et demande son aide, Lina n'a d'autre choix, puisqu'elle préfère sauver sa relation avec Sihem, elle est enfermée à la maison et n'a plus le droit de sortir. Elle punit à son tour Lina par un silence haineux, au point où Lina n'attache plus aucune importance à autre chose, à la guerre, à la ville, aux gens…

Même la mort de son père ne lui a fait aucun effet. Elle vit les yeux rivés sur la porte de la maison de sa tante, attendant qu'elle s'ouvre et que Sihem apparaisse. Et à la fin lorsque cette fameuse porte s'ouvre, Sihem s'enfuie en maudissant Lina à tous jamais. C'est l'histoire que nous raconte Danielle Arbid, dans un film sympathique, dosé d'une bonne partie de sentiments.

Ce qui domine dans le film, c'est la capacité de la réalisatrice de pénétrer la psychologie de son héroïne (Lina) , le reste est d'une normalité déconcenrtante, notamemnt, la vie de famille ou encore la guerre que ni Lina ni Sihem ne veulent vivre.

C'est le film d'une guerre privée, la guerre de Lina pendant enfance, filmée, en fin de compte par l'objectif d'une caméra qui a recueilli toute la sensibilité de celle qui a vécu un certain moment (avant son adolescence) dans une ville complétement détruite. Danielle a filmé ces déstructions, dans des séquences, qui laissent de marbre le téléspectateur. En revanche, les sentiments de Lina sont tellement forts qu'ils justifient à eux seuls l'existence même du film.
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