C'est mieux qu'au cinéma : le commissaire Brahim Llob, qui passait pour mort, est de retour. Yasmina Khadra a ressuscité le héros de Morituri, Double blanc et L'Automne des chimères, trilogie policière qui l'a révélé. “ Le commissaire Llob est venu me tenir la main lorsque tout m'échappait ” aurait confié l'écrivain algérien.
Comme si son nom de plume, Yasmina Khadra, souffrait d'être dissocié de son double de papier, Brahim Llob. Comme si, après une excursion autobiographique révélant sa véritable identité (L'écrivain, l'Imposture de mots), une douloureuse échappée en Afghanistan (Les Hirondelles de Kaboul) ou dans l'esprit d'un enfant perturbé (Cousine K), le romancier avait ressenti le besoin de retrouver un personnage ami pour reprendre son autopsie de la société algérienne.
Le commissaire Llob est à la fois une loupe, un vecteur et un électron libre, le personnage symbole de l'Algérien qui n'en peut plus mais ne renonce pas pour autant à se battre pour un pays où il ferait meilleur vivre. Kabyle, père de famille et pratiquant, Brahim Llob allie la droiture à une tendance prononcée pour l'irrévérence. Il ne plie devant aucune forme d'influence et trouve un malin plaisir à décharger son fiel contre les puissants qui abusent de leur pourvoir. Ce qui en fait une figure sympathique, défenseur du bon droit contre les faux privilèges.
Discourtois par principe, provocateur par nature, grossier par entêtement, il réserve son respect aux gens intègres, et il en rencontre peu, et son affection à quelques élus : sa femme Mina, son coéquipier Lino, et un couple de libraires. Llob traîne ses savates de limier des lieux sélects aux bas-fonds d'Alger. Mais chez lui, il n'y a ni l'eau courante ni tout à fait de quoi remplir les estomac de ses quatre enfants. Excellent flic, il est toujours de très méchante humeur.
On le serait à moins dans cette Algérie malade où la corruption règne à tous les étages, où l'intérêt personnel a remplacé le souci de l'autre, où le crime se nourrit de la misère. Selon lui, le pays s'enfonce : “ Les bonnes volontés s'émiettent contre les remparts des appétits forcenés, le renoncement commence à s'ancrer chez les militants, et les diplômés de la dernière heure réclament à cor et à cri une part du gâteau qu'ils ne sont pas prêt d'entrevoir un jour. Un des ces jours, sans crier gare, la poudrière va surprendre les plus avertis ”, anticipe t-il au début de La part du mort. C'était juste avant les soulèvements d'octobre 1988 qui ont vu flamber l'intégrisme islamique et l'Algérie plonger dans la guerre civile.
Dans la marre aux requins
Pour l'heure, Brahim Llob s'ennuie ferme : “ Ca fait des mois que je me tourne les pouces. Pas un cambriolage, pas le moindre rapt de chiot. A croire qu'Alger refuse de coopérer. ” rouspète le commissaire. “ Bercé par tant de monotonie, mon regard commence à ondoyer au point que je n'arrive pas à distinguer la buée sur le pare-brise du brouillard en train de gagner mes pensées ”.
Quand on est né pour en découdre, le calme est un présage de tempête. Premiers signes d'orage : son coéquipier file un mauvais coton. Lino s'est amouraché de la fiancée d'un zaïm, sorte de potentat local qui, ancien héros de la révolution, jouit d'un compte en banque colossal et de relations aux plus hauts niveaux. Une vraie “ divinité algéroise ” qui n'hésite pas à écraser le dit coéquipier.
Brahim Llob montre évidement les crocs mais l'adversaire est de taille. Par ailleurs, un ami psychiatre lui apprend qu'un dangereux tueur en série amnésique vient d'être relâché par grâce présidentielle. Ces pistes l'entraînent dans le bled, à Sidi Ba, “ bourg informe entre Alger et Médéa ”, sur les traces des massacres perpétrés contre les harkis en mai 1962, au lendemain de la guerre d'indépendance. Croyant servir une juste cause - faire la lumière sur des événements que nombreux s'acharnent à occulter - le commissaire finit par comprendre qu'il est le jouet d'un coup monté par des requins du régime.
La part du mort s'attaque à un tabou : les lumières de la libération ont occulté les massacres perpétrés par certains de ses héros. Le romancier n'hésite pas à confronter les convictions de Brahim Llob, fier de son passé de maquisard, à celle d'un harki qui a survécu aux tortures. Mais ceux qu'ils dénoncent, ce sont les obscurantistes. Ces notables pervertis qui s'échinent à faire passer le devoir de mémoire pour de la subversion afin de dissimuler les épouvantables combines qui leur ont permis d'ériger des empires financiers sur les ruines de la guerre.
Pour comprendre l'hostilité morbide qui dresse les gens contre les autres dans ce qu'il appelle “ cette culture de la haine ”, Yasmina Khadra a voulu remonter aux racines du mal. Tant de non-dits, tant de mensonges, tant de manipulations : c'est là qu'il traque les raisons de la mésentente sociale. Ses personnages de meurtris n'ont de cesse d'évoquer “ l'Alger des saisons bleues ” où la misère n'empêchait pas l'espoir. Et ils rappellent que, les colons partis, le pays est tombé aux mains de guerriers inaptes à diriger. D'où la débâcle.
Entre nostalgie, amertume et colère, difficile de savoir toujours sur quel terrain se place Yasmina Khadra. Mais nul doute qu'il continue à défendre vaille que vaille une quête de lucidité. De portraits bien taillés et d'une écriture fauve où des dialogues truculents s'égaient sur des descriptions musclées et des images en renouvellement permanent, le romancier tire une vigueur et un charme qui siéent à merveille au genre policier.
La part du mort de Yasmina Khadra, Ed. Julliard, 414 p.
Comme si son nom de plume, Yasmina Khadra, souffrait d'être dissocié de son double de papier, Brahim Llob. Comme si, après une excursion autobiographique révélant sa véritable identité (L'écrivain, l'Imposture de mots), une douloureuse échappée en Afghanistan (Les Hirondelles de Kaboul) ou dans l'esprit d'un enfant perturbé (Cousine K), le romancier avait ressenti le besoin de retrouver un personnage ami pour reprendre son autopsie de la société algérienne.
Le commissaire Llob est à la fois une loupe, un vecteur et un électron libre, le personnage symbole de l'Algérien qui n'en peut plus mais ne renonce pas pour autant à se battre pour un pays où il ferait meilleur vivre. Kabyle, père de famille et pratiquant, Brahim Llob allie la droiture à une tendance prononcée pour l'irrévérence. Il ne plie devant aucune forme d'influence et trouve un malin plaisir à décharger son fiel contre les puissants qui abusent de leur pourvoir. Ce qui en fait une figure sympathique, défenseur du bon droit contre les faux privilèges.
Discourtois par principe, provocateur par nature, grossier par entêtement, il réserve son respect aux gens intègres, et il en rencontre peu, et son affection à quelques élus : sa femme Mina, son coéquipier Lino, et un couple de libraires. Llob traîne ses savates de limier des lieux sélects aux bas-fonds d'Alger. Mais chez lui, il n'y a ni l'eau courante ni tout à fait de quoi remplir les estomac de ses quatre enfants. Excellent flic, il est toujours de très méchante humeur.
On le serait à moins dans cette Algérie malade où la corruption règne à tous les étages, où l'intérêt personnel a remplacé le souci de l'autre, où le crime se nourrit de la misère. Selon lui, le pays s'enfonce : “ Les bonnes volontés s'émiettent contre les remparts des appétits forcenés, le renoncement commence à s'ancrer chez les militants, et les diplômés de la dernière heure réclament à cor et à cri une part du gâteau qu'ils ne sont pas prêt d'entrevoir un jour. Un des ces jours, sans crier gare, la poudrière va surprendre les plus avertis ”, anticipe t-il au début de La part du mort. C'était juste avant les soulèvements d'octobre 1988 qui ont vu flamber l'intégrisme islamique et l'Algérie plonger dans la guerre civile.
Dans la marre aux requins
Pour l'heure, Brahim Llob s'ennuie ferme : “ Ca fait des mois que je me tourne les pouces. Pas un cambriolage, pas le moindre rapt de chiot. A croire qu'Alger refuse de coopérer. ” rouspète le commissaire. “ Bercé par tant de monotonie, mon regard commence à ondoyer au point que je n'arrive pas à distinguer la buée sur le pare-brise du brouillard en train de gagner mes pensées ”.
Quand on est né pour en découdre, le calme est un présage de tempête. Premiers signes d'orage : son coéquipier file un mauvais coton. Lino s'est amouraché de la fiancée d'un zaïm, sorte de potentat local qui, ancien héros de la révolution, jouit d'un compte en banque colossal et de relations aux plus hauts niveaux. Une vraie “ divinité algéroise ” qui n'hésite pas à écraser le dit coéquipier.
Brahim Llob montre évidement les crocs mais l'adversaire est de taille. Par ailleurs, un ami psychiatre lui apprend qu'un dangereux tueur en série amnésique vient d'être relâché par grâce présidentielle. Ces pistes l'entraînent dans le bled, à Sidi Ba, “ bourg informe entre Alger et Médéa ”, sur les traces des massacres perpétrés contre les harkis en mai 1962, au lendemain de la guerre d'indépendance. Croyant servir une juste cause - faire la lumière sur des événements que nombreux s'acharnent à occulter - le commissaire finit par comprendre qu'il est le jouet d'un coup monté par des requins du régime.
La part du mort s'attaque à un tabou : les lumières de la libération ont occulté les massacres perpétrés par certains de ses héros. Le romancier n'hésite pas à confronter les convictions de Brahim Llob, fier de son passé de maquisard, à celle d'un harki qui a survécu aux tortures. Mais ceux qu'ils dénoncent, ce sont les obscurantistes. Ces notables pervertis qui s'échinent à faire passer le devoir de mémoire pour de la subversion afin de dissimuler les épouvantables combines qui leur ont permis d'ériger des empires financiers sur les ruines de la guerre.
Pour comprendre l'hostilité morbide qui dresse les gens contre les autres dans ce qu'il appelle “ cette culture de la haine ”, Yasmina Khadra a voulu remonter aux racines du mal. Tant de non-dits, tant de mensonges, tant de manipulations : c'est là qu'il traque les raisons de la mésentente sociale. Ses personnages de meurtris n'ont de cesse d'évoquer “ l'Alger des saisons bleues ” où la misère n'empêchait pas l'espoir. Et ils rappellent que, les colons partis, le pays est tombé aux mains de guerriers inaptes à diriger. D'où la débâcle.
Entre nostalgie, amertume et colère, difficile de savoir toujours sur quel terrain se place Yasmina Khadra. Mais nul doute qu'il continue à défendre vaille que vaille une quête de lucidité. De portraits bien taillés et d'une écriture fauve où des dialogues truculents s'égaient sur des descriptions musclées et des images en renouvellement permanent, le romancier tire une vigueur et un charme qui siéent à merveille au genre policier.
La part du mort de Yasmina Khadra, Ed. Julliard, 414 p.
