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«La vie commence à Marrakech» de Jacques et Florence Lanzmann : De l'«islamisme» dans la ville ocre…

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« Nicolas ne l'apprendrait que plus tard. Au Maroc, comme dans la plupart des pays islamistes, il n'y a pas de conversation possible entre incroyants et croyants. Allah est toujours là entre les deux. Et celui des deux qui possède les clefs du royaume de Dieu s'arrange toujours pour rejeter l'autre dans une espèce de cachot où croupissent les impies ». Tels se détachent doctement - et outrageusement- les propos d'une citation enfouie dans le roman de Florence et Jacques Lanzmann, intitulé «La vie commence à Marrakech». Avis à ceux que le titre aura subjugué par sa limpide et agréable tournure.

Le désenchantement commence dès lors que ce vulgaire attrape-nigaud se retire de l'arène et laisse place à un contenu véritablement stupéfiant, qu'il nous importe de décortiquer. A l'instar du personnage, le lecteur Marocain sera surpris et surtout déçu. Il apprendra, à sa grande désolation, qu'en France, pareilles idées peuvent encore être professées. Que, «comme dans la plupart des pays» qui vouent une haine atroce aux Arabes et à l'Islam, il n'y a pas de dialogue possible. Qu'enfin, une espèce d'intolérance autrement effrayante se dresse entre «lui» et ceux qui le dévisagent avec une condescendance mêlée de mépris et de dégoût.

Ainsi donc, nous serions les citoyens d'un pays «islamiste» ! Notre incomparable étroitesse d'esprit nous empêcherait de comprendre l'Autre, sa culture et sa manière d'être ! Nous l'immolerions sans pitié dans le gouffre des infâmes, des «impies» ! Le roman de Jacques et de Florence Lanzmann est conçu de telle sorte que ces «vérités»-là scintillent partout et imprègnent durablement les esprits. Marrakech, ville paradisiaque, dont le monde entier rêve à présent d'admirer les reflets ocres et le soleil cuisant, y est utilisée comme décor où tout est travesti de manière affolante. L'invraisemblance des circonstances est en soi une preuve que le roman ne saurait être pris au sérieux. Nicolas, personnage principal, est un «gamin» de seize ans, suspendu de l'école pour un mois et venu s'installer avec sa mère célibataire dans la ville rouge. Le petit bonhomme est déjà athé, comme ses illustres prédécesseurs.

D'ailleurs, il a l'air de vouloir se comporter en illuminé, ou en une espèce de Sartre de l'époque actuelle. Il a lu les grands penseurs et, les larmes aux yeux -quelle surprise !- Tazmamart, cellule 10. Il déploie surtout une vigueur sans pareille à défendre des idéaux révolutionnaires. A l'heure où le règne de la «médiocratie» est déjà solidement assis dans les esprits, où, à vingt-cinq ans, les jeunes occidentaux raisonnent encore comme des mollusques, c'est une consolation que de doter ce personnage juvénile d'un noble cœur et d'une profondeur inégalable, à l'image des grands intellectuels Français, vivement regrettés, de l'ancienne génération.

Nicolas se pâme d'amour pour la belle Selma. Dans une tentative éperdue de se l'approprier et de gagner son cœur, il s'ingénie à comprendre l'histoire du Maroc, ses coutumes et ses croyances. Furetant dans les dédales de l'ancienne médina, auxquels il ne trouve apparemment pas beaucoup d'attraits, l'adolescent est horrifié par la saleté, la pauvreté et la violence qu'il y observe. Les mendiants, serviles et opiniâtres, y accourent par dizaines, les odeurs fétides s'y mêlent aux belles senteurs qu'exhalent les ruelles en plein Ramadan, les étrangers y sont inévitablement hués, malmenés ou arnaqués. Le grotesque des attitudes populaires n'a d'égal que celui des croyances.

Mythe du Ragd (enfant dormant) brillamment tourné en dérision jusqu'à la fin du récit, virginité immaculée foulée aux pieds, prostitution et homosexualité exagérément mises en exergue, appel du muezzin, Islam et rites ramadanesques méprisés et présentés comme signes d'arriération... les considérations négatives pullulent et se multiplient au fil des pages. « La vie commence à Marrakech »... c'est à vraiment se demander si les auteurs peignent une histoire d'amour ou une histoire de haine... si, à travers ce roman « initiatique » -comme certains se plaisent à l'appeler- ils veulent faire découvrir d'autres cieux, d'autres cultures, ou exacerber l'incompréhension et l'hermétisme entre les peuples... Si, étranger, Marrakech m'était ainsi contée... il ne me viendrait jamais l'idée de visiter ses merveilles, de goûter son charme particulier... de m'imprégner de ses différences... Si, natif, elle m'était ainsi contée, j'aurais haï ces gens qui cherchent à tout prix à l'avilir aux yeux du reste du monde... une déception et une amertume infinies dans les deux cas...

La vie commence à Marrakech,
éditions du Rocher, 177 pages
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