Autrefois, le droit coutumier régissait essentiellement les régions rurales du Maroc ; il jouait un rôle plus important dans les montagnes que dans les plaines et son influence augmentait à mesure que l'on s'éloignait des cités impériales, centres du pouvoir et lieux d'une culture musulmane florissante qui exerçaient leur influence sur leur environnement immédiat. Appelé izerf au centre et au sud-est du Maroc, alwâh dans le Haut Atlas et le Sous, tiàqqidin chez les Aït Atta, ou tout simplement curût ou 'urf ailleurs, il constituait le droit du Maroc profond, secrété par la société ancienne de l'Afrique du Nord dans les contraintes du milieu environnant.
Le terme izerf ou azerf, qui désignait «les prescriptions de la coutume traditionnelle et l'autorité qui en prononçait l'application» (Laoust 1920 : 417) chez les populations berbères du centre et du sud-est du Maroc, était probablement le nom originel porté par ce droit. Les termes alwâh, tiàqqidin, curût et 'urf, manifestement d'origine arabe, doivent être des dénominations postérieures. Dans le parler des Touareg du Sahara, généralement considéré comme celui qui a le mieux conservé la structure et le lexique berbères anciens, nous trouvons le terme ezref, avec le sens de «revêtir intérieurement [un puits] de pierres ou d'un coffrage en bois» (de Foucauld. 1951, vol. IV : 1989). L'idée originelle était donc celle d'une armature de soutien et le droit coutumier (azerf) incluait probablement ce contenu social.
Il s'agit effectivement de la plus ancienne codification connue dans la société nord-africaine, et tous les indices montrent que nous sommes en présence d'un corpus résultant d'une accumulation empirique remontant aux époques archaïques (néolithique) et dont l'influence ne commencera à faiblir qu'avec les bouleversements de la période moderne (colonisation). Cette accumulation n'était nullement exclusive d'apports extérieurs : l'apparentement de la coutume nord-africaine au fonds de civilisation méditerranéen l'atteste.
Le terme azêrf, pluriel azêrfen, désigne également dans le parler des Touareg l'argent (métal) et par extension «l'argent monnayé» et toute somme d'argent (de Foucauld 1951, vol. IV : 1989). Ce terme peut aussi être rapproché de celui d'azârif, nom de l'alun dans tous les parlers berbères, ce qui confirme le lien avec un minerai de couleur argentée.
S'appuyant sur de Foucauld, Laoust (1920 : 417) avance l'idée que izerf serait le terme berbère ancien désignant « l'amende ». Nous pensons néanmoins qu'il s'agit là d'un glissement de sens qui n'a pu se produire que dans une société déjà monétarisée. Notons à ce propos que la coutume des Aït Atta, que la tradition fait remonter au XVIe siècle, fixait les pénalités en unités de caprins, et qu'il faut attendre le milieu du XVIIe siècle pour trouver un texte qui la fixe en mithqal (Mezzine 1987 : 98 et 254, note 140 ; voir également Mezzine, Hammam 1985 : 40-41).
L'histoire ne nous a pas conservé de texte de droit coutumier antérieur au XVIIe siècle. Cela tient probablement au fait que ce droit n'était pas écrit et que la société comptait essentiellement sur la mémoire des anciens pour le conserver. De nature très empirique, ce droit était en constante évolution et rien n'obligeait à garder une règle tombée en désuétude. Par ailleurs, l'écrit n'a véritablement fait son entrée dans les campagnes qu'à partir du XVe siècle (Berque 1958), avec l'islamisation en profondeur.
Néanmoins, les chroniques contiennent des allusions au droit coutumier. Évoquant l'épisode de la conquête des Haskura (une confédération du Haut Atlas) par Uqba Ibn Nafi, l'auteur du Kitab al-Ansab signale le pacte conclu entre le général musulman et Hurma ben Tutis, le chef des Haskura. Appelé Amur n lhûrma, ce pacte deviendra célèbre dans le monde berbère de l'époque et y constituera une référence institutionnelle. Nous y reconnaissons l'institution coutumière des garants (Amur) fournis dans les alliances, qui semble avoir été à l'origine des équilibres politiques entre les tribus.
Les conseils institués par les Almohades, appelés Ahl al Jmàa «les gens de la Jmàa», Ahl al-Khamsine «les Cinquante» (Levi-Provençal 1928 : 48, 51-53) ne semblent pas être une création nouvelle, mais renvoyer à une organisation coutumière berbère préexistante. Dans les textes de coutume plus récents, nous trouvons le «Conseil des Dix», Aït Achra, et celui des «Quarante» Aït Rabaïn (Mezzine 1987). La hiérarchie des tribus instituée par le tamyiz («le tri») des Almohades (Levi-Provençal 1928) rappelle dans sa structure la protection pyramidale prévue par la coutume (tayssa) et qui, par un réseau de clientèle, constituait la base des alliances politiques dans le tissu tribal (Mezzine, Hammam 1985). Les Mezwar (Levi-Provençal 1928 : 63-64), littéralement «les premiers du groupe» rappellent le Bab n umur, le répondant d'un groupe dans les textes coutumiers tardifs. L'État almohade donnait ainsi l'image d'une construction musulmane rénovée.
En réalité, il reposait sur un réseau hiérarchisé d'allégeances, déterminé par l'intérêt et l'équilibre, selon un code fixé par la coutume et qui semble avoir été à l'origine même de l'État en Afrique du Nord.
Dans ce même contexte, nous ne pouvons ignorer les agadir ou greniers collectifs, institution communautaire par excellence dans le Haut et l'Anti-Atlas, que la tradition orale fait remonter à des époques très anciennes. Le terme est rarement évoqué dans les chroniques. Pour la période almohade, al-Baydaq signale un faubourg de Tlemcen appelé Agadir. Il signale aussi le toponyme Gudar namad (du pluriel igudar de agadir) dans le pré-Rif (Jbala) et un Magdar entre Dai (Beni Mellal) et Ouaoumana, sur le versant nord du Moyen Atlas (Levi-Provençal 1928). Les chroniques utilisent plus souvent les termes hîsn, qasr / qousour, et tasegdelt pour designer toute bâtisse fortifiée, mais souvent sans distinction de fonction (al-Bakri 1965 : 281, 289, 292, 294).
Les termes originaux berbères, encore en usage ou conservés par la toponymie, distinguent en réalité quatre catégories de bâtisses fortifiées : le tighremt, maison familiale fortifiée (régions du Guir, Ziz, Gheris), l'ighrem, village fortifie présent un peu partout au Maroc, le tasegdelt, qsar des oasis présahariennes (Ziz, Gheris), et l'agadir, grenier collectif du Haut et de l'Anti-Atlas.
La racine gdr du mot agadir renvoie probablement à la racine sémitique gdr que l'on trouve dans jidar «le mur». Agadir est aussi le nom du mur dans le parler tamazight (Haut Atlas central et oriental, Moyen Atlas, oasis du Ziz, Gheris et Dra). Il s'agit probablement du nom originel de la construction défensive ou de la forteresse secrétée par le milieu agropastoral nord-africain dans le but stratégique de conserver le grain. Tasegdelt, avec la racine gdl signifiant, dans le parler tamazight, «entourer d'une clôture, mettre en défens» en parlant d'un espace, semble être le résultat d'une évolution aussi bien sémantique que phonétique de la racine gdr. Agdal, le pâturage collectif, soumis à une réglementation rigoureuse dans le droit coutumier du Maroc central, est un autre dérivé, de la même famille que tasegdelt. Mais ici nous sommes déjà dans le domaine de l'interdit symbolique.
Dans cette même région du Maroc, nous trouvons dans le Haut Atlas oriental les toponymes Agdar et Tagdart (forme du féminin du premier), avec le sens de «crête de montagne», ce qui nous ramène au sens de «site défensif». En alignant ces différentes observations, nous constatons qu'agdal est très proche d'agdar et que celui-ci l'est aussi d'agadir et donc que l'ensemble participe d'un même sens général de «défense matérielle ou symbolique» ou des deux à la fois, ce qui est aussi le contenu de tasegdelt. Ce sens est confirmé par celui de la forteresse de ce nom, dans laquelle se réfugia le souverain midraride al-Muntasir avec sa famille et ses trésors, après avoir abandonné Sigilmassa menacée par le général fatimide Djawhar en 958 ap.
J-C (al-Bakri 1965 : 288). Ce sens ne se confond pas avec celui de sigilmassa «le village» ou ighrem (Laoust) et semble plus proche du contenu d'agadir. À moins que tasegdelt ne désigne ce qu'il est convenu d'appeler du nom arabe de qsar et qui réunit les fonctions d'habitation, de défense et de sauvegarde des réserves alimentaires, tendance relevée chaque fois que l'on passe du domaine montagnard au séjour plus aride des oasis présahariennes (Laoust 1920).
Fondamentaux dans l'élaboration de la coutume dans le Haut et l'Anti-Atlas, l'agadir et probablement la tasegdelt, son équivalent dans les zones plus arides du sud à économie agropastorale, n'ont pas d'origine précise. Nous commençons à trouver des codifications les régissant dans l'Anti-Atlas à partir du XVIe siècle.
Appelés ikechchouden en berbère ou alwâh en arabe (tablettes), ces textes sont considérés comme les plus anciens recueils de droit coutumier connus au Maroc (al-Outhmani Mohammad 1970). Ces codifications régissaient la conservation des grains du groupe. Mais par ce biais, toute la vie communautaire de celui-ci se trouvait sous la responsabilité d'un corps de responsables appelé Aït Ougadir (Afa 1988 : 269).
Cette fonction a permis de rapprocher agadir de makhzen qui en est l'équivalent arabe et, par voie de conséquence, de voir dans l'agadir l'origine du Makhzen, le pouvoir central au Maroc, dans un processus au moins antérieur à la période almoravide, mais que l'on n'arrive pas à suivre de façon précise (Toufiq 1983 : 61).
Plus tardive, la tradition orale fondatrice des Aït Atta, la confédération du versant sud de l'Atlas au XVIe siècle, illustre ce modèle et surtout son caractère répétitif. Dans le contexte d'insécurité qui suivit l'époque mérinide, les tribus agro-pastorales du Jbel Saghro décidèrent de construire un grenier collectif qu'elles appelèrent igherm amazdar, pour y entreposer leurs céréales à l'époque des transhumances.
Cette opération se fit sous la houlette de Moulay Abdallah ben Hsaïn, un santon de la lignée idrisside et donc chérifienne de la zaouïa de Tamesloht du Haouz de Marrakech. Chaque tribu dépêcha un contingent appelé irssamn pour la construction du grenier collectif et en assurer la garde. Pour gérer ce grenier, on établit des règles qui s'enrichirent de façon empirique du fait des problèmes posés par la transhumance et par les rapports entre lignages ou tribus. Ainsi naquit un corpus de lois appelé tiàqqidin, la coutume des Aït Atta qui, avec le développement de la confédération, devint le recours juridique suprême de toutes ses composantes en cas de litige.
Parallèlement, les descendants des contingents irssamn originels se constituèrent en tribu neutre appelée Aït Aïssa, ce qui en fit l'instance juridique et politique supérieure de toute la confédération et confirme une fois encore l'hypothèse de l'origine du pouvoir central au Maroc, soit la formation du Makhzen à partir de l'agadir. Le même phénomène de construction d'un agadir, dans les mêmes conditions de sécurité, est attesté également dans le Haut Atlas oriental au XVIe siècle (al-Ayyachi Abdallah Ibn Omar : f°4V°). Géré par la coutume et créant une fois de plus l'occasion du regroupement de plusieurs lignages sous une autorité commune, il témoigne ainsi de l'enracinement social et politique de l'institution, ainsi que de l'ancienneté de celle-ci.
Plus près de nous, cet enracinement est également attesté par la reconnaissance de fait du droit coutumier par le pouvoir chérifien saadien et alaouite. Nous trouvons des décrets royaux (dahir) en ce sens pour la région du Sous émanant du Saadien Ahmad al-Mansour (1578-1603) et de son successeur al-Mamoun (1609). Ces décrets, qui se référaient à des usages remontant déjà à l'époque mérinide, attestent l'ancienneté de cette pratique (al-Mokhtar al-Soussi vol 2: 138). Le Sultan alaouite Moulay El-Hassan (1876-1894) a fait de même, en accordant des dahir reconnaissant leur droit coutumier à la tribu Zemmour Chelh (Les Zemmour) et aux tribus du Sous, suivant en cela, là aussi, la tradition de ses aïeux (al-Othmani Mohammad 1970).
Cet enracinement s'exprimait ainsi dans le caractère social global du droit coutumier. Il régentait tous les aspects de la vie publique et privée du groupe, dans une trilogie visant à la sécurité de ce dernier et que nous pourrions résumer par les expressions «comment se défendre», «comment produire et consommer», et enfin «comment vivre et mourir». Pour le groupe, vivre était d'abord se défendre. Le droit coutumier prévoyait ainsi des institutions qui garantissaient d'abord sa survie. Le lignage, base de la structure sociale de la tribu, était représenté par son chef.
Appelé Bab n-umur (Moyen Atlas, Haut Atlas oriental, oasis du Ziz, Gheris, Dra…) ou Aneflus (Haut et Anti-Atlas, Sous) dans les zones berbérophones, il était responsable de son lignage dans le conseil de la tribu. Ce dernier élisait le chef de la tribu, appelé amghar ou cheikh, dont les décisions prises en conseil étaient sans appel.
A suivre
Le terme izerf ou azerf, qui désignait «les prescriptions de la coutume traditionnelle et l'autorité qui en prononçait l'application» (Laoust 1920 : 417) chez les populations berbères du centre et du sud-est du Maroc, était probablement le nom originel porté par ce droit. Les termes alwâh, tiàqqidin, curût et 'urf, manifestement d'origine arabe, doivent être des dénominations postérieures. Dans le parler des Touareg du Sahara, généralement considéré comme celui qui a le mieux conservé la structure et le lexique berbères anciens, nous trouvons le terme ezref, avec le sens de «revêtir intérieurement [un puits] de pierres ou d'un coffrage en bois» (de Foucauld. 1951, vol. IV : 1989). L'idée originelle était donc celle d'une armature de soutien et le droit coutumier (azerf) incluait probablement ce contenu social.
Il s'agit effectivement de la plus ancienne codification connue dans la société nord-africaine, et tous les indices montrent que nous sommes en présence d'un corpus résultant d'une accumulation empirique remontant aux époques archaïques (néolithique) et dont l'influence ne commencera à faiblir qu'avec les bouleversements de la période moderne (colonisation). Cette accumulation n'était nullement exclusive d'apports extérieurs : l'apparentement de la coutume nord-africaine au fonds de civilisation méditerranéen l'atteste.
Le terme azêrf, pluriel azêrfen, désigne également dans le parler des Touareg l'argent (métal) et par extension «l'argent monnayé» et toute somme d'argent (de Foucauld 1951, vol. IV : 1989). Ce terme peut aussi être rapproché de celui d'azârif, nom de l'alun dans tous les parlers berbères, ce qui confirme le lien avec un minerai de couleur argentée.
S'appuyant sur de Foucauld, Laoust (1920 : 417) avance l'idée que izerf serait le terme berbère ancien désignant « l'amende ». Nous pensons néanmoins qu'il s'agit là d'un glissement de sens qui n'a pu se produire que dans une société déjà monétarisée. Notons à ce propos que la coutume des Aït Atta, que la tradition fait remonter au XVIe siècle, fixait les pénalités en unités de caprins, et qu'il faut attendre le milieu du XVIIe siècle pour trouver un texte qui la fixe en mithqal (Mezzine 1987 : 98 et 254, note 140 ; voir également Mezzine, Hammam 1985 : 40-41).
L'histoire ne nous a pas conservé de texte de droit coutumier antérieur au XVIIe siècle. Cela tient probablement au fait que ce droit n'était pas écrit et que la société comptait essentiellement sur la mémoire des anciens pour le conserver. De nature très empirique, ce droit était en constante évolution et rien n'obligeait à garder une règle tombée en désuétude. Par ailleurs, l'écrit n'a véritablement fait son entrée dans les campagnes qu'à partir du XVe siècle (Berque 1958), avec l'islamisation en profondeur.
Néanmoins, les chroniques contiennent des allusions au droit coutumier. Évoquant l'épisode de la conquête des Haskura (une confédération du Haut Atlas) par Uqba Ibn Nafi, l'auteur du Kitab al-Ansab signale le pacte conclu entre le général musulman et Hurma ben Tutis, le chef des Haskura. Appelé Amur n lhûrma, ce pacte deviendra célèbre dans le monde berbère de l'époque et y constituera une référence institutionnelle. Nous y reconnaissons l'institution coutumière des garants (Amur) fournis dans les alliances, qui semble avoir été à l'origine des équilibres politiques entre les tribus.
Les conseils institués par les Almohades, appelés Ahl al Jmàa «les gens de la Jmàa», Ahl al-Khamsine «les Cinquante» (Levi-Provençal 1928 : 48, 51-53) ne semblent pas être une création nouvelle, mais renvoyer à une organisation coutumière berbère préexistante. Dans les textes de coutume plus récents, nous trouvons le «Conseil des Dix», Aït Achra, et celui des «Quarante» Aït Rabaïn (Mezzine 1987). La hiérarchie des tribus instituée par le tamyiz («le tri») des Almohades (Levi-Provençal 1928) rappelle dans sa structure la protection pyramidale prévue par la coutume (tayssa) et qui, par un réseau de clientèle, constituait la base des alliances politiques dans le tissu tribal (Mezzine, Hammam 1985). Les Mezwar (Levi-Provençal 1928 : 63-64), littéralement «les premiers du groupe» rappellent le Bab n umur, le répondant d'un groupe dans les textes coutumiers tardifs. L'État almohade donnait ainsi l'image d'une construction musulmane rénovée.
En réalité, il reposait sur un réseau hiérarchisé d'allégeances, déterminé par l'intérêt et l'équilibre, selon un code fixé par la coutume et qui semble avoir été à l'origine même de l'État en Afrique du Nord.
Dans ce même contexte, nous ne pouvons ignorer les agadir ou greniers collectifs, institution communautaire par excellence dans le Haut et l'Anti-Atlas, que la tradition orale fait remonter à des époques très anciennes. Le terme est rarement évoqué dans les chroniques. Pour la période almohade, al-Baydaq signale un faubourg de Tlemcen appelé Agadir. Il signale aussi le toponyme Gudar namad (du pluriel igudar de agadir) dans le pré-Rif (Jbala) et un Magdar entre Dai (Beni Mellal) et Ouaoumana, sur le versant nord du Moyen Atlas (Levi-Provençal 1928). Les chroniques utilisent plus souvent les termes hîsn, qasr / qousour, et tasegdelt pour designer toute bâtisse fortifiée, mais souvent sans distinction de fonction (al-Bakri 1965 : 281, 289, 292, 294).
Les termes originaux berbères, encore en usage ou conservés par la toponymie, distinguent en réalité quatre catégories de bâtisses fortifiées : le tighremt, maison familiale fortifiée (régions du Guir, Ziz, Gheris), l'ighrem, village fortifie présent un peu partout au Maroc, le tasegdelt, qsar des oasis présahariennes (Ziz, Gheris), et l'agadir, grenier collectif du Haut et de l'Anti-Atlas.
La racine gdr du mot agadir renvoie probablement à la racine sémitique gdr que l'on trouve dans jidar «le mur». Agadir est aussi le nom du mur dans le parler tamazight (Haut Atlas central et oriental, Moyen Atlas, oasis du Ziz, Gheris et Dra). Il s'agit probablement du nom originel de la construction défensive ou de la forteresse secrétée par le milieu agropastoral nord-africain dans le but stratégique de conserver le grain. Tasegdelt, avec la racine gdl signifiant, dans le parler tamazight, «entourer d'une clôture, mettre en défens» en parlant d'un espace, semble être le résultat d'une évolution aussi bien sémantique que phonétique de la racine gdr. Agdal, le pâturage collectif, soumis à une réglementation rigoureuse dans le droit coutumier du Maroc central, est un autre dérivé, de la même famille que tasegdelt. Mais ici nous sommes déjà dans le domaine de l'interdit symbolique.
Dans cette même région du Maroc, nous trouvons dans le Haut Atlas oriental les toponymes Agdar et Tagdart (forme du féminin du premier), avec le sens de «crête de montagne», ce qui nous ramène au sens de «site défensif». En alignant ces différentes observations, nous constatons qu'agdal est très proche d'agdar et que celui-ci l'est aussi d'agadir et donc que l'ensemble participe d'un même sens général de «défense matérielle ou symbolique» ou des deux à la fois, ce qui est aussi le contenu de tasegdelt. Ce sens est confirmé par celui de la forteresse de ce nom, dans laquelle se réfugia le souverain midraride al-Muntasir avec sa famille et ses trésors, après avoir abandonné Sigilmassa menacée par le général fatimide Djawhar en 958 ap.
J-C (al-Bakri 1965 : 288). Ce sens ne se confond pas avec celui de sigilmassa «le village» ou ighrem (Laoust) et semble plus proche du contenu d'agadir. À moins que tasegdelt ne désigne ce qu'il est convenu d'appeler du nom arabe de qsar et qui réunit les fonctions d'habitation, de défense et de sauvegarde des réserves alimentaires, tendance relevée chaque fois que l'on passe du domaine montagnard au séjour plus aride des oasis présahariennes (Laoust 1920).
Fondamentaux dans l'élaboration de la coutume dans le Haut et l'Anti-Atlas, l'agadir et probablement la tasegdelt, son équivalent dans les zones plus arides du sud à économie agropastorale, n'ont pas d'origine précise. Nous commençons à trouver des codifications les régissant dans l'Anti-Atlas à partir du XVIe siècle.
Appelés ikechchouden en berbère ou alwâh en arabe (tablettes), ces textes sont considérés comme les plus anciens recueils de droit coutumier connus au Maroc (al-Outhmani Mohammad 1970). Ces codifications régissaient la conservation des grains du groupe. Mais par ce biais, toute la vie communautaire de celui-ci se trouvait sous la responsabilité d'un corps de responsables appelé Aït Ougadir (Afa 1988 : 269).
Cette fonction a permis de rapprocher agadir de makhzen qui en est l'équivalent arabe et, par voie de conséquence, de voir dans l'agadir l'origine du Makhzen, le pouvoir central au Maroc, dans un processus au moins antérieur à la période almoravide, mais que l'on n'arrive pas à suivre de façon précise (Toufiq 1983 : 61).
Plus tardive, la tradition orale fondatrice des Aït Atta, la confédération du versant sud de l'Atlas au XVIe siècle, illustre ce modèle et surtout son caractère répétitif. Dans le contexte d'insécurité qui suivit l'époque mérinide, les tribus agro-pastorales du Jbel Saghro décidèrent de construire un grenier collectif qu'elles appelèrent igherm amazdar, pour y entreposer leurs céréales à l'époque des transhumances.
Cette opération se fit sous la houlette de Moulay Abdallah ben Hsaïn, un santon de la lignée idrisside et donc chérifienne de la zaouïa de Tamesloht du Haouz de Marrakech. Chaque tribu dépêcha un contingent appelé irssamn pour la construction du grenier collectif et en assurer la garde. Pour gérer ce grenier, on établit des règles qui s'enrichirent de façon empirique du fait des problèmes posés par la transhumance et par les rapports entre lignages ou tribus. Ainsi naquit un corpus de lois appelé tiàqqidin, la coutume des Aït Atta qui, avec le développement de la confédération, devint le recours juridique suprême de toutes ses composantes en cas de litige.
Parallèlement, les descendants des contingents irssamn originels se constituèrent en tribu neutre appelée Aït Aïssa, ce qui en fit l'instance juridique et politique supérieure de toute la confédération et confirme une fois encore l'hypothèse de l'origine du pouvoir central au Maroc, soit la formation du Makhzen à partir de l'agadir. Le même phénomène de construction d'un agadir, dans les mêmes conditions de sécurité, est attesté également dans le Haut Atlas oriental au XVIe siècle (al-Ayyachi Abdallah Ibn Omar : f°4V°). Géré par la coutume et créant une fois de plus l'occasion du regroupement de plusieurs lignages sous une autorité commune, il témoigne ainsi de l'enracinement social et politique de l'institution, ainsi que de l'ancienneté de celle-ci.
Plus près de nous, cet enracinement est également attesté par la reconnaissance de fait du droit coutumier par le pouvoir chérifien saadien et alaouite. Nous trouvons des décrets royaux (dahir) en ce sens pour la région du Sous émanant du Saadien Ahmad al-Mansour (1578-1603) et de son successeur al-Mamoun (1609). Ces décrets, qui se référaient à des usages remontant déjà à l'époque mérinide, attestent l'ancienneté de cette pratique (al-Mokhtar al-Soussi vol 2: 138). Le Sultan alaouite Moulay El-Hassan (1876-1894) a fait de même, en accordant des dahir reconnaissant leur droit coutumier à la tribu Zemmour Chelh (Les Zemmour) et aux tribus du Sous, suivant en cela, là aussi, la tradition de ses aïeux (al-Othmani Mohammad 1970).
Cet enracinement s'exprimait ainsi dans le caractère social global du droit coutumier. Il régentait tous les aspects de la vie publique et privée du groupe, dans une trilogie visant à la sécurité de ce dernier et que nous pourrions résumer par les expressions «comment se défendre», «comment produire et consommer», et enfin «comment vivre et mourir». Pour le groupe, vivre était d'abord se défendre. Le droit coutumier prévoyait ainsi des institutions qui garantissaient d'abord sa survie. Le lignage, base de la structure sociale de la tribu, était représenté par son chef.
Appelé Bab n-umur (Moyen Atlas, Haut Atlas oriental, oasis du Ziz, Gheris, Dra…) ou Aneflus (Haut et Anti-Atlas, Sous) dans les zones berbérophones, il était responsable de son lignage dans le conseil de la tribu. Ce dernier élisait le chef de la tribu, appelé amghar ou cheikh, dont les décisions prises en conseil étaient sans appel.
A suivre
