Depuis l'avènement de la toute première souche du peuple hébreu jusqu'à l'actuel conflit israélo-palestinien, depuis les balbutiements des antiques familles juives en Orient jusqu'à leurs grandes diasporas, Jacques Attali retrace, dans un ouvrage de près de 700 pages, «l'histoire économique du peuple juif», avec une perspicacité et une érudition incontestables. En effet, pareil sujet, classé depuis longtemps et presque à l'unanimité dans la catégorie «grands tabous universels», n'aurait pu être traité, dans une perspective aussi ambitieuse et encyclopédique, que par un bon citoyen Français, Juif de son appartenance, banquier de son état… et qui, surtout, clame que le peuple juif «aurait tout lieu d'être fier» de cette histoire qu'il n'aime pas et occulte constamment.
Jacques Attali inscrit son nom parmi la multitude d'autres auteurs qui, de toute leur force, se sont évertués à donner à la civilisation hébraïque le charme et l'attrait que de toute évidence, beaucoup de personnes lui contestent ; car, comment oublier les persécutions dont elle fut sujette depuis l'Antiquité, et qui continuent jusqu'à présent de se manifester –du moins dans la littérature contemporaine- sous cette appellation si chère aux médias occidentaux qu'est «l'antisémitisme» ? L'auteur prend parti dans chacun de ses énoncés, et parfois de manière criarde : «Odieuse mythologie !»; le lecteur ferait montre d'une naïveté extrême s'il croit en l'impartialité –même relative- de l'ouvrage. Toute idée de neutralité est, par conséquent, à bannir ; avis aux adeptes des discours «objectifs», ce livre n'est pas du tout pour vous satisfaire.
Cependant, ayons le courage de l'avouer, il est tout de même très intéressant de voir comment un écrivain «dévoué à la cause» a su raconter avec autant de brio et d'accessibilité quatre millénaires de péripéties juives, englobant aussi bien les parcours collectifs que les destins individuels des protagonistes, et comment, surtout, il a essayé de développer une thèse véritablement innovatrice : les pionniers des religions monothéistes le furent également pour le capitalisme ! Autrement dit, les Juifs auraient, par leur volonté d'accumuler les ressources dans le but initial de les redistribuer, fondé l'essence même du capitalisme, dont l'une des définitions principales veut qu'il soit «la collecte de l'épargne associée à l'investissement productif».
D'où vient au peuple juif, outre le fait de se considérer comme l'élu de la Divinité, le seul aussi par qui l'Humanité tout entière retrouverait et son épanouissement et le sens-même de son existence, cette autre idée curieuse que le devoir des hommes est celui de s'enrichir, par tous les moyens (justes) possibles, parce que c'est une manière de se dévouer à Dieu ? De la Torah, bien évidemment ! Le livre saint ainsi que les nombreux exégèses de la religion judaïque aiment la richesse et inculquent aux fidèles l'amour, le culte de l'argent. «Tu aimeras Dieu de toutes tes forces» a été compris, selon Attali, par nombre de commentateurs de la manière suivante: «Tu aimeras Dieu de toutes tes richesses» ; autrement dit : «Plus tu seras opulent, plus tu auras de moyens pour servir Dieu».
Cette légitimation, ou plutôt cette incitation par le texte sacré à l'enrichissement, contrairement aux préceptes du christianisme qui prétendent mépriser la richesse, est donc la clé de voûte des rapports du peuple hébraïque au reste du monde. Elle est d'ailleurs reflétée à maintes reprises dans la sémantique judaïque, et Attali l'explique en donnant des exemples réellement édifiants : l'argent, représenté en hébreu par les trois consonnes KSF, se vocalise de diverses manières. Kessef renvoie, certes à «argent», mais Kossef exprime aussi bien la nostalgie et l'envie. Argent et désir sont en étroite corrélation, tout comme le sens de l'«argent», du verbe payer, leshalem tout particulièrement, et celui de «paix» ne sauraient être séparés, puisque le règlement des dettes est un moyen de pacifier l'humanité et de résoudre les conflits autrement que par la guerre et le sang.
Interrompre la violence par l'argent, voilà, selon Attali, le sens et le fondement de toute entreprise économique au sein de la communauté juive ; voilà ce qui fait également que cette dernière a été persécutée, haïe et jalousée. Autres thèses déployées tout au long de l'ouvrage : l'éparpillement des Juifs dans les quatre coins de la planète permet de conclure à une espèce de «mondialisation», laquelle, donnant aux Juifs de considérables «points d'appui» dans une multitude de pays, leur permettent de tisser des liens économiques dans la grande toile universelle ; ce même nomadisme juif aurait aussi, aux dires d'Attali, profondément imprégné leurs Etats «hôtes» de la civilisation et du savoir hébraïque et aurait ainsi aidé au foisonnement et à l'épanouissement de leurs cultures.
Que de belles choses attribuées aux Juifs, que du mérite et des prouesses ! La philosophie matérialiste, professée de tous temps par la culture et la religion judaïque est ici admise, légitimée et célébrée de manière triomphale par Attali. D'ailleurs, par la structure même de l'ouvrage, conçu de manière à fondre les différentes phases de l'histoire juive, jusqu'à nos jours, dans le moule de la Torah et à les faire correspondre absolument aux cinq parties du Pentateuque, Jacques Attali se veut le défenseur par excellence de sa religion, de sa culture et de sa communauté d'appartenance.
Il apparaît donc parfaitement normal que la création d'Israël y soit amplement justifiée, avec tout de même quelques conditions : «Je pense qu'Israël est une nécessité historique, mais qu'Israël ne pourra pas survivre sans une diaspora forte». Quant à l'épineuse question de la Palestine, Attali se prononce «pour» la création d'un Etat Palestinien indépendant, mais semble n'en affirmer la nécessité que parce qu'elle constitue un facteur important de la pérennité et de la survivance, à long terme, d'Israël : «On pourrait même dire qu'Israël a plus intérêt à l'existence de la Palestine, qui lui permettra de reprendre son développement dans la sécurité».
En définitive, même si l'auteur, estimant que «dans cette violence d'aujourd'hui, tout le monde perd son âme», se prononce pour la paix et va même jusqu'à nourrir, dans son livre, l'utopie de «l'Union du Moyen-Orient», il n'en demeure pas moins que son discours est fortement ancré dans cette croyance quelque peu «égocentriste», puisée dans la Torah et véhiculée par tous les fervents du judaïsme, selon laquelle le peuple juif est l'élu de Dieu et le guide bienveillant de l'humanité : «Là encore, Israël a besoin d'être utile aux autres pour survivre» dixit Jacques Attali, ce que semble lui concéder aujourd'hui l'Occident de concert, par tous les moyens économiques, politiques et culturels possibles…
*Désir en hébreu
Jacques Attali, «Les Juifs, le Monde et l'Argent» , aux éditions Le Livre de Poche, 716 pages
Jacques Attali inscrit son nom parmi la multitude d'autres auteurs qui, de toute leur force, se sont évertués à donner à la civilisation hébraïque le charme et l'attrait que de toute évidence, beaucoup de personnes lui contestent ; car, comment oublier les persécutions dont elle fut sujette depuis l'Antiquité, et qui continuent jusqu'à présent de se manifester –du moins dans la littérature contemporaine- sous cette appellation si chère aux médias occidentaux qu'est «l'antisémitisme» ? L'auteur prend parti dans chacun de ses énoncés, et parfois de manière criarde : «Odieuse mythologie !»; le lecteur ferait montre d'une naïveté extrême s'il croit en l'impartialité –même relative- de l'ouvrage. Toute idée de neutralité est, par conséquent, à bannir ; avis aux adeptes des discours «objectifs», ce livre n'est pas du tout pour vous satisfaire.
Cependant, ayons le courage de l'avouer, il est tout de même très intéressant de voir comment un écrivain «dévoué à la cause» a su raconter avec autant de brio et d'accessibilité quatre millénaires de péripéties juives, englobant aussi bien les parcours collectifs que les destins individuels des protagonistes, et comment, surtout, il a essayé de développer une thèse véritablement innovatrice : les pionniers des religions monothéistes le furent également pour le capitalisme ! Autrement dit, les Juifs auraient, par leur volonté d'accumuler les ressources dans le but initial de les redistribuer, fondé l'essence même du capitalisme, dont l'une des définitions principales veut qu'il soit «la collecte de l'épargne associée à l'investissement productif».
D'où vient au peuple juif, outre le fait de se considérer comme l'élu de la Divinité, le seul aussi par qui l'Humanité tout entière retrouverait et son épanouissement et le sens-même de son existence, cette autre idée curieuse que le devoir des hommes est celui de s'enrichir, par tous les moyens (justes) possibles, parce que c'est une manière de se dévouer à Dieu ? De la Torah, bien évidemment ! Le livre saint ainsi que les nombreux exégèses de la religion judaïque aiment la richesse et inculquent aux fidèles l'amour, le culte de l'argent. «Tu aimeras Dieu de toutes tes forces» a été compris, selon Attali, par nombre de commentateurs de la manière suivante: «Tu aimeras Dieu de toutes tes richesses» ; autrement dit : «Plus tu seras opulent, plus tu auras de moyens pour servir Dieu».
Cette légitimation, ou plutôt cette incitation par le texte sacré à l'enrichissement, contrairement aux préceptes du christianisme qui prétendent mépriser la richesse, est donc la clé de voûte des rapports du peuple hébraïque au reste du monde. Elle est d'ailleurs reflétée à maintes reprises dans la sémantique judaïque, et Attali l'explique en donnant des exemples réellement édifiants : l'argent, représenté en hébreu par les trois consonnes KSF, se vocalise de diverses manières. Kessef renvoie, certes à «argent», mais Kossef exprime aussi bien la nostalgie et l'envie. Argent et désir sont en étroite corrélation, tout comme le sens de l'«argent», du verbe payer, leshalem tout particulièrement, et celui de «paix» ne sauraient être séparés, puisque le règlement des dettes est un moyen de pacifier l'humanité et de résoudre les conflits autrement que par la guerre et le sang.
Interrompre la violence par l'argent, voilà, selon Attali, le sens et le fondement de toute entreprise économique au sein de la communauté juive ; voilà ce qui fait également que cette dernière a été persécutée, haïe et jalousée. Autres thèses déployées tout au long de l'ouvrage : l'éparpillement des Juifs dans les quatre coins de la planète permet de conclure à une espèce de «mondialisation», laquelle, donnant aux Juifs de considérables «points d'appui» dans une multitude de pays, leur permettent de tisser des liens économiques dans la grande toile universelle ; ce même nomadisme juif aurait aussi, aux dires d'Attali, profondément imprégné leurs Etats «hôtes» de la civilisation et du savoir hébraïque et aurait ainsi aidé au foisonnement et à l'épanouissement de leurs cultures.
Que de belles choses attribuées aux Juifs, que du mérite et des prouesses ! La philosophie matérialiste, professée de tous temps par la culture et la religion judaïque est ici admise, légitimée et célébrée de manière triomphale par Attali. D'ailleurs, par la structure même de l'ouvrage, conçu de manière à fondre les différentes phases de l'histoire juive, jusqu'à nos jours, dans le moule de la Torah et à les faire correspondre absolument aux cinq parties du Pentateuque, Jacques Attali se veut le défenseur par excellence de sa religion, de sa culture et de sa communauté d'appartenance.
Il apparaît donc parfaitement normal que la création d'Israël y soit amplement justifiée, avec tout de même quelques conditions : «Je pense qu'Israël est une nécessité historique, mais qu'Israël ne pourra pas survivre sans une diaspora forte». Quant à l'épineuse question de la Palestine, Attali se prononce «pour» la création d'un Etat Palestinien indépendant, mais semble n'en affirmer la nécessité que parce qu'elle constitue un facteur important de la pérennité et de la survivance, à long terme, d'Israël : «On pourrait même dire qu'Israël a plus intérêt à l'existence de la Palestine, qui lui permettra de reprendre son développement dans la sécurité».
En définitive, même si l'auteur, estimant que «dans cette violence d'aujourd'hui, tout le monde perd son âme», se prononce pour la paix et va même jusqu'à nourrir, dans son livre, l'utopie de «l'Union du Moyen-Orient», il n'en demeure pas moins que son discours est fortement ancré dans cette croyance quelque peu «égocentriste», puisée dans la Torah et véhiculée par tous les fervents du judaïsme, selon laquelle le peuple juif est l'élu de Dieu et le guide bienveillant de l'humanité : «Là encore, Israël a besoin d'être utile aux autres pour survivre» dixit Jacques Attali, ce que semble lui concéder aujourd'hui l'Occident de concert, par tous les moyens économiques, politiques et culturels possibles…
*Désir en hébreu
Jacques Attali, «Les Juifs, le Monde et l'Argent» , aux éditions Le Livre de Poche, 716 pages
