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Les Moussems : rencontre du passé et de l'avenir

Finalement, a pris fin avec l'été, la saison des ‘Moussems' qui s'est prolongée de la mi-juillet à la fin d'août. Partout, se sont tus les classiques fusils artisanaux qui ont fait parler la poudre ; ce ‘baroud' tout à l'honneur de la tradition marocaine

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Les milliers de tentes qui ont servis de décors et d'hébergement ont été démontées et les intrépides cavaliers s'en retournèrent dans la nostalgie, au crépuscule du dernier jour imparti aux manifestations. Certes, la consolation est à la portée des esprits avec le sentiment du devoir accompli en l'honneur de la tribu et en réminiscence de ce cher Maroc de toujours. De fait, la promesse de retrouvailles, l'été prochain, à l'issue de moissons que l'on espère fructueuses est le plus sûr palliatif à la tristesse des adieux.

Parfois, ‘la Serba'-- ensemble de douze cavaliers minimum pour être admis à participer à «a Fantasia»-- ramène, tel un prestigieux trophée, le certificat attestant de son rang honorable dans la compétition équestre que sont devenus au fil des ans, ces rencontres des solstices d'été. Depuis l'aube du troisième millénaire ; les groupes de cavaliers sont notés pour leur intrépidité, leur savoir-faire à cheval et le rythme uni de leurs détonations à la fin du galop. Ils sont aussi jugés sur la conformité et le luxe de leurs costumes où prédominent le burnous et les «tmags», bottes traditionnelles. Certains perfectionnistes arborent au dessus de leurs «kaftans» de couleurs pourpre, rose ou safran une Koumia d'antan ou un sabre d'argent témoin de quelque haut fait historique. La profusion des fils d'or et l'éclat multicolore des selles , œuvre primordiale de l'artisanat est aussi à l'aune du concours. L'appréciation du jury concerne même la façon dont se dressent les tentes caïdales, «afrag», dans l'enceinte du Moussem. L'ensemble de cette ville de tentes ressemble, à ne pas s'y tromper, à la disposition des Mehallas de jadis qui ont fait la prédilection des historiens.

Il est, avant tout, tenu compte, bien entendu, de la race du cheval où prédominent le pur sang arabe, l'arabe barbe et le barbe, patrimoine reconnu du Maroc. Le Haras Royal de Bouznika qui cultive ces races est réputé mondialement et, pas seulement au Moyen-Orient, pour l'excellence de son élevage.


Les récompenses décernées par un jury averti ont été instituées lors la semaine du Cheval de Dar Essalam de l'an 2000 qui a intégré la Fantasia aux sauts d'obstacles classiques. La pratique en a été reprise, depuis, partout ailleurs dans les moussems. Elle revalorise, ainsi, un jury composé des vétérans et des connaisseurs du cheval où se distinguent les éleveurs régionaux. Posséder un cheval de la fantasia et les accessoires qui vont avec, est devenu dans les campagnes l'apanage de tout un chacun, même du plus humble et du plus jeune. Les jeunes, désormais, dominaient d'ailleurs, dans les
« serba» des derniers moussems !

En outre, les fantasias commencent à connaître, depuis trois ans, la participation de Serba constitué de jeunes filles dont les parents sont des passionnés du cheval.
Les distinctions les plus prisées sont celles du Moussem de Moulay Abdallah Amghar des Doukkalas qui revêt depuis la nuit des temps un caractère national. On y vient du Tadla, des Abda, des Oulad Jamâa, du Rissani, du Rif et des confins du Sahara. Là, éclatent la richesse de la diversité culturelle de la tradition nationale. Certains groupes après le galop frénétique de la course tirent leur baroud en l'air, d'autres visent à l'horizontale et d'autres encore dirigent leurs fusils au ras du sol.

Ces derniers sont des sahraouis dont l'originalité est également de chevaucher des juments ! Les premiers, tirant en l'air viennent des tribus de la montagne où l'ennemi perchait dans les kasbahs. Les seconds sont originaires des plaines vallonnées et le sahraoui n'a d'autre cible que dans l'immensité du plat pays de sable. S'il importe de distinguer le moussem de Moulay Abdallah, les autres à caractère plus local ne sont guère à négliger ; comme ceux de Moulay Dris Zerhoun, Sidi Bouabid Charki, Moulay Bouchta El Khamar ou ceux de Médiouna, de Benslimane, du Gharb, du Haouz, de Abda, de la région de Meknés et d'autres encore, épars dans le Royaume et couronnés cette année par le grand rassemblement du Forum de la jeunesse à Bouznika. Là, fut dignement fêtés le 20 août commémoratif de la Révolution du Roi et du Peuple et la Fête de la Jeunesse qui marque l'anniversaire de S.M. Le Roi. Et partout le soir, autour du feu de camp ou, simplement, autour de la lampe, alors que s'estompent les chants des Cheikhates de la Chaouia, du Haouz ou de Safi ; les vieux racontent les moussems d'antan. L'exploit et l'intrépidité de tel ou tel autre vétéran dont le nom résonne comme à travers la légende des siècles de ce Maroc pérenne.

La fantasia, surtout, connut la démarche allant du passé vers la modernité grâce à l'effort populaire de sauvegarde continue des traditions. Son essai d'historicité tente l'esprit moderne, selon le concept que le patrimoine n'est pas statique et évolue avec le temps grâce à l'apport de générations averties.

Après la bataille d'Isly et la guerre de Tétouan ; le Makhzen par ailleurs gardien de la souveraineté nationale, a du tirer de poignantes conclusions. La gesticulation de la fantasia n'était décidément plus adaptée à la guerre moderne du XIXème siècle finissant. Des dizaines d'années après elle n'était plus requise que pour accueillir et impressionner les ambassadeurs des pays étrangers dépêchés à Meknès, Fès ou Marrakech. Les tribus qui étaient sommés d'accueillir et de pourvoir à l'hébergement et à la nourriture des «bachadors» devaient, en fin d'après-midi, organiser des fantasias tant pour leur souhaiter la bienvenue que pour les intimider par les détonations de leurs fusils archaïques et par l'odeur de la poudre qui devait parvenir jusqu'aux nez des malheureux plénipotentiaires.

Ces derniers ne parvenaient à la capitale impériale que fort incommodés et impressionnés tant par la course des cavaliers que par «l'allure farouche des tribus». La puissance du Sultan était dûment établie et l'honneur sauf. Le protectorat français allait inaugurer l'ère des fantasias pour souhaiter la bienvenue au contrôleur civil ou aux autorités militaires et dorer le blason des caïds. La tribu devait venir faire parler la poudre devant la tribune des autorités coloniales chamarrées et du Caïd local «enburnoussé.» 43 ans après, le Maroc indépendant allait mobiliser le moussem et la fantasia pour l'institution du tourisme, politique principale de l'Etat restauré.

Longtemps, les images de cavaliers en djellaba «rezzas» au vent, lancés au galop dans un nuage de poussière et le halo de la poudre détonante ont hanté les murs des bureaux de l'Office du Tourisme. Les touristes se révélaient friands de cette fantasia d'un autre âge qui trouvait une place de choix sur leurs pellicules. Depuis l'an 2000 pointe une nouvelle instrumentation de ces rencontres tribales que sont les moussems. Passées au crible, elles se révélèrent déceler la richesse traditionnelle du Maroc authentique à laquelle s'identifie l'écrasante majorité de la population.

Il ne restait plus qu'à attirer les jeunes citadins vers ces rencontres périodiques afin de concilier dans une symbiose que l'on espère heureuse le passé et les contraintes de l'avenir. Les jeunes ruraux ont de leur côté franchis les premiers pas, eux qui se sont attachés à continuer la tradition de leurs aïeux. Et c'est ainsi que l'on a rencontré cet été dans les moussems l'amalgame de ce que fut hier et ce que sera demain.

Partout retentissait la musique chère à la campagne en écho à celle de groupes modernes qui ont investi ces espaces jusqu'ici réservés. Et se prolongent ainsi dans la réalité des solstices d'été la caractéristique première de notre pays, partagé entre tradition et modernité, entre la nostalgie du passé et le souffle irrésistible de l'avenir.

Journaliste et fondateur de «Maroc - Business»

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