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Les «Rangs d’honneur» au pays des Kwassems : une opération pour soutenir la fauconnerie marocaine

Au début du siècle dernier, des villages entiers suivaient les centaines de fauconniers dans leur grand périple de chasse à travers le plateau des Ganntours. Les fauconniers ne sont plus aujourd’hui que quelques dizaines à pratiquer cet art. E

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Cet été marocain aura connu d’importantes manifestations destinées à mettre en valeur le patrimoine culturel de la province d’El Jadida : signalons, en résumé, la rencontre organisée à la mi-juillet par l’Association des Doukkala autour de Chaïbia, la plus illustre des peintres doukkalis, qui a permis de réunir un plateau d’artistes,d’écrivains et de poètes, d’intellectuels parmi les plus célèbres. Citons, entre autres, Rita El Khayat, l’une des femmes écrivains les plus brillantes du Maghreb, Tayeb Seddiki, l’homme de théâtre le plus en vue sur les écrans de la télévision marocaine, André El Baz, venu spécialement de Paris pour la circonstance, les peintres Tallal, Zoubir, Hamidi, Dibaji, tant d’autres qu’on ne peut les citer tous.

Cette manifestation se termina à la Galerie Chaïbia qui venait juste d’être inaugurée, éclairant ainsi de sa lumière ensoleillée la Cité portugaise…
Cette Cité qui, il y a quelques jours, le 27 septembre précisément, a attiré entre ses remparts le Premier de nos ministres, qu’entouraient pour la circonstance le Ministre de la culture, le représentant de l’Unesco à Rabat, l’Ambassadeur du Portugal au Maroc, le Gouverneur de la province…des élus, et toute une foule venue célébrer leur joie de la voir portée enfin au rang du Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco.

Le cortège officiel se dirigea vers Azemmour où ils ont pu contempler un autre bijou de la région, les remparts de la Casbah se reflétant dans la rivière d’Oum Er-Rabie.
Une semaine auparavant, les 18 et 19 septembre, au cœur même de la province, en plein pays kwassem, une pléiade de grands spécialistes ( médecins, ingénieurs agronomes, vétérinaires, artistes peintres…) , tous membres de l’Association « les Rangs d’Honneur » étaient venus, au travers d’une action médico-sociale, pédagogique et culturelle, attirer l’attention de l’opinion sur les derniers gardiens d’une tradition séculaire, la fauconnerie, qui, si l’on n’y prête garde, risque de disparaître avec les derniers fauconniers kwassems.

Nous avons rencontré, pour en faire le bilan, les deux principaux organisateurs de cette opération, le Docteur Nourredine Bennani, Président de l’Association « les Rangs d’Honneur », et Michel Amengual, journaliste, en retraite à Sidi Bouzid, observateur attentif et passionné de notre pays, que les fauconniers Kwassems d’Ouled Frej ont élu à la présidence d’honneur de leur association.

Michel Amengual : C’est très pertinent de votre part de rappeler les manifestations récentes consacrées à la Cité portugaise, à la casbah d’Azemmour, à la peinture d’une grande dame comme Chaïbia, qui ont drainé d’éminentes personnalités, et les rapprocher de notre action en faveur de la fauconnerie et des fauconniers. Cela procède de la même démarche : le prestige d’un pays, d’une région se mesure d’abord par la qualité de son patrimoine, et ce patrimoine ne concerne pas seulement les vestiges d’anciens édifices qui ont jalonné l’histoire de ce pays, mais aussi les particularités singulières et originales de telle région, ou tel village. Comme ici, la tradition fauconnière qui remonte à plusieurs siècles, qui a été soutenue par tous les souverains du Royaume. Hélas! La vie moderne a des contraintes que les derniers héritiers de cette tradition n’ont plus les moyens d’assumer. Et c’est pour alerter l’opinion, les pouvoirs publics, la presse – et la presse a joué un rôle important dans ce domaine ; et en tant que journaliste moi-même, je vous remercie d’avoir participé à nos côtés, à ce combat humaniste.

Mais je voudrais relever aussi que sans l’humanisme éclairé de M. Abdelkrim Bencherki, Président de l’Association des Doukkala, qui a permis une première opération de médiatisation, le 6 juin dernier,sans le soutien actif du Gouverneur, M. Driss Ezzrani, jamais nous n’aurions pu effectuer cette seconde action.
C’est ainsi qu’avec le Dr Nourredine Bennani, Président de l’Association « les Rangs d’Honneur » et Me Abdelatif Rabah, Secrétaire général de cette association, que nous avions invités à cette première excursion en terre kwassem, nous avons pris l’initiative de mener une opération médico-sociale, les 18 et 19 septembre dernier, en partenariat avec l’Association des fauconniers d’Ouled Frej.

Alors, justement, Dr Bennani, quel bilan faites-vous de cette action ?

Dr Nourredine Bennani : Je voudrais dire d’abord que les actions que nous entreprenons d’habitude, nous les menons dans des endroits souvent difficilement accessibles, pour venir en aide à des populations qui n’ont pas d’accès direct aux soins élémentaires…Ce qui n’est pas le cas de la région d’Ouled Frej, qui a ses dispensaires, des médecins de qualité, des hôpitaux à proximité, comme à El Jadida. Nous n’avons donc pas fait cette opération pour remplacer les structures existantes ou nous substituer aux médecins en place. Nous l’avons menée, en parfaite collaboration avec l’Association des Fauconniers, dans le seul but d’attirer l’attention sur la fauconnerie qui est une tradition d’une grande noblesse.

Et ce bilan est plus que positif. D’abord, par le nombre de patients examinés ( 840), dans toutes les spécialités, mais principalement en ophtalmologie, en pédiatrie, en dermatologie, en rhumatologie, en gynécologie…Nous avons prescrit et donné près d’une tonne de médicaments ; et nous avons pris en charge, au CHU de Casablanca, une personne souffrant d’une pathologie grave. Elle y est actuellement traitée.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées ?

Dr Bennani : Les difficultés que nous avons rencontrées n’ont été que la résultante de notre succès. Nous attendions un millier de personnes, il en est venu le double, voire le triple, ce qui a considérablement gêné notre travail. Beaucoup des personnes qui sont venues pour une consultation, n’étaient même pas originaires de la région, ou leur état de santé ne nécessitait pas qu’ils viennent jusqu’à nous, ce qui a empêché des malades plus sérieusement atteints de pouvoir pénétrer dans l’enceinte des locaux de la commune transformés pour la circonstance en centre de santé.

Nous le regrettons vivement, mais nous reviendrons sans doute, de façon plus confidentielle, examiner ceux des Kwassems, qui n’ont pu l’être ce jour-là, et uniquement eux…

Votre action comportait également d’autres volets, comme la santé animale.
Dr Bennani :
Cette action a été peut-être moins spectaculaire, mais tout aussi utile. Un médecin vétérinaire, le Dr Jamal Kerroumi s’est rendu, en compagnie de quelques éleveurs kwassems, dans leur douar ; il a fait des suggestions pour un meilleur rendement de leurs animaux et une meilleure protection sanitaire.
En concertation avec Mohamed Ghazouani et les fauconniers, le Dr Kerroumi a décidé de revenir, périodiquement, continuer à prodiguer ses conseils et des soins si cela s’avérait nécessaire.

Qu’en a-t-il été, côté agriculture ?
Dr Bennani :
Nous avons la chance de compter parmi nos membres un ingénieur des Eaux et Forêts de haut vol, le colonel Ahmed Boukil, Directeur du Centre National de Pisciculture d’Azrou. Il a inspecté la campagne et ses conclusions méritent la plus grande attention. Par exemple, il existe des îlots d’eucalyptus, qui sont des arbres qui absorbent une quantité d’eau phénoménale.
Ce qui assèche le sol déjà ingrat dans cette région. Il recommande donc de les arracher et de les remplacer par des arganiers qui peuvent très bien pousser dans ces terres, ou par des caroubiers, dont les fèves peuvent avoir de multiples usages, notamment pour le bétail. Il préconise également la plantation de certains cactus, dont on tire une essence qui est très recherchée et qui peut rapporter très gros…Il recommande également la culture de certaines plantes fourragères qui pourraient très bien s’acclimater dans cette région.

Et aussi, après avoir visité les alentours de la casbah de Boulaouane, il pense qu’il y aurait grand intérêt à faire de la culture en terrasse, avec un label bio très à la mode en ce moment. On peut également y introduire des ruches, pour un miel d’orangers qui poussent le long de la rivière. Et surtout, il préconise l’introduction de poissons d’eau douce dans les eaux du barrage d’Im’fout, et dans la rivière Oum Er-Rabie. Cela permettrait de nouvelles ressources pour les habitants de la région mais également, créerait, avec la pêche récréative, une niche supplémentaire dans le développement du tourisme rural. Vous le voyez, rapidement résumé : Un bilan certainement positif. Je passe , pour ne pas rallonger, sur d’autres aspects de notre visite dans la région mais tout aussi enthousiasmants , qui nous ont amenés à la conclusion que la province d’El Jadida est promise à un bel avenir et vaut bien un détour prolongé.

Et pour vous, Michel Amengual, quel bilan en faites-vous.
Michel Amengual :
Pour les fauconniers comme pour moi-même, le bilan est plus que positif.

La preuve, c’est qu’on a réussi à mobiliser des centaines de personnes qui sont venues leur rendre visite sur leurs terres, Monsieur le Gouverneur en tête. C’est que l’opinion et la presse se sont mobilisées pour eux.

Reste maintenant à définir l’avenir de la fauconnerie au Maroc. Lors de la remise de cadeaux aux fauconniers par le Dr Bennani, j’ai avancé l’idée d’un festival international de la fauconnerie. J’ ai soumis aux Autorités provinciales l’ébauche d’un projet qui s’articulerait autour de trois axes : d’abord, des spectacles de rapaces, en faisant venir de l’étranger des sociétés dont c’est la spécialité : il en existe partout en Europe ( Espagne, France, Belgique,…) : ensuite, organiser des débats autour de la fauconnerie, comme patrimoine mondial et national à sauvegarder d’urgence ; et enfin, faire venir des chasseurs au vol ou organiser de la chasse touristique et leur faire découvrir, à travers leur passion, ce beau pays qu’est le Maroc. Des chasseurs vont en Espagne chasser au faucon, à 150 Euros par jour, hors hôtel, restauration et location de véhicule…Pourquoi ne pourraient-ils pas venir au Maroc ? Les autorités provinciales, et le Gouverneur qui, par expérience, sait ce que tourisme veut dire, étudieront la faisabilité d’un tel projet et le réajusteront certainement s’ils le jugent nécessaire.

Ce qu’il faut aussi et surtout, je le pense, c’est assurer la relève et former de nouveaux fauconniers avec de nouvelles techniques de chasse et de dressage des rapaces.

Mais aussi, il faut d’urgence préserver ce patrimoine national que sont les faucons marocains.
Il est urgent et impératif de mettre en place tous les moyens pour que des trafics d’oiseaux ne soient opérés à l’insu des responsables des Eaux et Forêts et des Douanes.

Les faucons font partie des espèces d’oiseaux les plus protégées au monde. Qui m’empêche aujourd’hui de rentrer, de façon régulière au Maroc, avec un simple épervier et d’en ressortir avec un faucon pèlerin que j’aurai acheté un millier de Dirhams ici et que je revendrai ailleurs plusieurs dizaines de milliers de dollars… ? C’est une préoccupation majeure de ceux qui se sentent concernés par la protection et la survie des espèces.

Comme pour la mer qui voit tarir ses ressources halieutiques par une exploitation sauvage– et les pêcheurs avertis le savent bien !- le Maroc risque de voir disparaître l’une de ses richesses cynégétiques les plus nobles...Voler dans un musée un bijou ancien en le remplaçant par un objet de bazar, ou piller dans les ruines de Volubilis ce que le sol pourrait encore détenir de poteries anciennes est un délit, voire un crime….tout autant que celui de soustraire du Maroc, sans contrôle, un oiseau aussi précieux qu’ un faucon. Si une opération comme celle que les «Rangs d’Honneur» ont menée permet de faire prendre conscience de la nécessité de défendre les fauconniers et les faucons, alors oui, nous aurons fait œuvre utile.
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