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«Les Récidives» de Bernard-Henri Lévy : la morale et le combat de l'universalisme

Une photo en noir et blanc, lisse et expressive, couvrant le volume au milieu mais aussi le titre, un visage émacié aux traits réguliers de penseur, celui que l'on connaît plus ou moins au philosophe mais qui pourrait être Rodin ou Voltaire à sa jeunesse

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Visage dévoilé, armé toujours de ses doutes sur le monde mais jamais insensible aux souffrances des hommes. Sa plume sertie, sa pensée aiguë, il nous guide comme un éclaireur sur un champ , tantôt truffé de mines, tantôt en ruines, rarement dégagé et limpide. La somme des textes de ce livre est certes une reprise de reportages, de témoignages, d'interventions diverses et de présence sur le terrain . Quatorze parties thématiques composent en effet le livre qui est un véritable compendium où la littérature côtoie la philosophie, l'art, le cinéma, le grand reportage digne d'un Albert Londres, les sujets chauds comme la Bosnie, l'Afghanistan , le terrorisme, le sionisme, l'antisémitisme, etc…

Il y a aussi des préoccupations typiquement hexagonales, pour ne pas dire franco-françaises et parisiennes. Bernard-Henri Lévy les aborde, mais il le fait avec la passion qui n'a cessé de caractériser ses textes, empreinte d'une éthique de l'engagement, estampillée aussi d'un blason : la neutralité ou l'indifférence aux événements n'a plus cours. Ce n'est pas Albert Camus qui, impassible et désarmé, voit mourir Oran sous le poids de la fatalité.

Non plus ce lamento humanitaire des années quatre-vingt-dix, médiatisé à outrance et qui, aujourd'hui dans un retour de conscience, n'en finit pas de braquer ses propres hérauts. Par l'écrit, par le texte et l'image, par la présence, Bernard-Henri Lévy a tracé sa propre méthode, comme Spinoza eut choisi son angle d'attaque, c'est-à-dire la continuité et une certaine mais rédhibitoire fidélité à lui-même. Bien sûr, d'aucuns – ils sont légion – s'en irritent, s'évertuent à n'y voir qu'un «culte du moi». Ceux-là adorent pourtant Malraux et Sartre mais ne s'offusquent nullement à ce que le premier, avant de devenir le «héros fatigué», ait été le bourgeois en quête obsessionnelle de gloire et le second un placide mais résolu «bafoueur» des engagements, autrement dit un intellectuel hors chapelle.


Bernard-Henri Lévy, «Les Récidives» nous l'apprennent encore, n'est pas un héros, il refuse d'incarner en quoi que ce soit la quête d'une quelconque reconnaissance sociale et médiatique. Il est au croisement des interrogations fondamentales de notre temps et, ce faisant, il est celui qui interroge pour nous l'époque tragique, dresse les digues contre les barbaries et les intolérances, il est comme dirait Hegel notre « conscience universelle». Sa silhouette longue, à la limite de la fragilité mais de laquelle jaillit une esthétique particulière, est la même, elle domine les champs parcourus par ce porteur de la voix et de la colère silencieuse.

Son visage que l'on dirait peaufiné par Michelangello, mèche parfois en bataille, l'ascétisme esthétique encore qui décline sa démarche font de lui un personnage des temples moyenâgeux, une sorte de Ignace de Loyola marchant, marchant encore et toujours, enterrant chaque jour une illusion après l'autre, guidé par le rêve que l'humanité, fatiguée certes mais en attente encore, se trouverait au bout du long parcours, là-haut sur le panthéon d'une «pureté» immaculée et inaccessible encore aux barbarismes. De l'Afghanistan à l'Angola, en passant par la Bosnie et l'Algérie ,BHL a parcouru tous les fronts sensibles, il a pratiqué ce journalisme «vertical» d'un Albert Londres – mieux que Kessel ou Bodard – qui ne s'encombrait que d'une seule vertu, rendre compte, mettre le doigt sur la plaie, ne jamais se laisser dissiper par quelque doute sur la férocité des hommes et sur cette réalité que l'Homme est le propre ennemi de l'homme.

Le journalisme «immédiat» est pour Bernard-Henri Lévy une sorte de nécessité morale, un «impératif catégorique» pour dévoiler et dénoncer au vif l'innommable aversion cultivée par nos «intellectuels en chaise longue» pour la réalité tragique qui nous est jetée chaque jour à la figure, occultée au nom d'un «égoïsme des nations» au simplement inspirée de l'individualisme ravageur qui s'érige de plus en plus en valeur. Combattant de la vérité, Bernard-Henri Lévy ? Certainement pas, puisqu'à ses yeux, il n'est pas une seule vérité dans le monde mais plusieurs. Sinon, pour lui l'univers se réduirait à une sorte de polarité dangereuse, à une idée de pureté unique et lisse, exclusive et totale qu'il a su dénoncer, avec talent et un brio inégalé, dans «La Pureté dangereuse».

Quand il crie sa colère contre les «réductionnistes» tentés encore de caricaturer le monde à un «choc de civilisations», quand du même coup il règle son compte à un Fukuyama ou à un Samuel Huntguinton, il est au firmament de sa pensée de philosophe, qui à l'instar d'un Emmanuel Kant, ne fait aucune concession à l'abandon de l'éthique . Quand il cingle un William Dalrymple qui a cru mettre en doute son enquête sur l'assassinat de Daniel Pearl ou Tariq Ramadan qui se fait le chantre de «la race», pour vider de son sens un débat nécessaire aujourd'hui, il reste chevillé à ses convictions : l'imposture de passera pas . A ses risques et périls, il s'était porté «journaliste volontaire» au Bangladesh.

Aujourd'hui, il a pris encore des risques en se rendant sur des fronts , celui de la guerre comme celui de la pensée, celui d'une confusion discursive où la profanation est d'autant plus banalisée qu'elle devient un genre.

Juif et militant du judaïsme ? BHL a retrouvé son judaïsme culturel comme l'eut fait allégrement un Raymond Aron que nos pontifes aujourd'hui, au mieux des catéchumènes, avaient admiré. Il en fait un apport supplémentaire à sa vaste quête. Et s'il défend l'existence de l'Etat d'Israël, c'est en effet pour mieux dénoncer cette «paix sèche» proposée aux Palestiniens, c'est pour en appeler à un véritable rapprochement des deux peuples sémites, objets malgré eux de l'antisémitisme que la France est sommée d'enrayer.


De l'islam il suggère une analyse qui ne soit pas unilatérale et à laquelle nous adhérons sans réserve, c'est-à-dire la défense mordicus de l'islam réel, éclairé, l'islam des lumières, le seul qui existe dans le texte, celui qui érige le dialogue en valeur suprême, celui qui est aussi menacé de nos jours par la folie meurtrière des obscurantismes et des ténèbres. Oui, Bernard-Henri Lévy est à sa manière un militant du vrai ressourcement de l'islam. Le combattant qu'il n'a jamais cessé d'être, bardé de ses doutes, ne cesse de s'interroger et de s'inquiéter . Il est notre éclaireur que l'époque interpelle, et son livre est une musique à variations. Il est à la littérature ce que l'engagement est à l'universalisme…

«Les Récidives» de Bernard-Henri Lévy, Ed. Grasset, 1001 pages.
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