La Maladie de Sachs, c'est lui : Martin Winckler, médecin et romancier, chercheur et soignant, qui a vu cet ouvrage couronné du Prix du Livre Inter 1998 avant d'être adapté au cinéma avec succès par Michel Deville en 2000. Personne, pourtant, n'aurait parié sur 500 pages de huis clos dans un cabinet médical. Mais Martin Winckler, influencé par La vie mode d'emploi de Georges Perec, son livre fondateur, avait trouvé une forme singulière : faire raconter l'histoire par tous les patients.
Lesquels se succédaient donc dans le cabinet du docteur Sachs et confiaient, à tour de rôle et à la première personne, leur mal ici, leur douleur là, et leurs observations concernant leur soignant. Martin Winckler - Marc Zaffran de son vrai nom, né en Algérie en 1955 - imposait alors Bruno Sachs, un personnage inspiré d'un camarade de fac disparu, et devenu son double littéraire. A ce médecin de province établi, il fallait une vie, un passé, une éducation, une initiation qui puisse éclairer ses prises de positions actuelles. D'où ce nouveau roman : Les Trois Médecins, ou La Formation de Sachs.
Avec, de nouveau, un parti pris narratif : calquer les études de médecine de Bruno Sachs sur la trame des Trois Mousquetaires de Alexandre Dumas. “ Parce que faire médecine, ça dure dix ans, à une âge charnière, c'est donc une sorte de roman d'aventures, d'amour, de formation, une histoire d'amitié, un itinéraire politique et moral ” a confié l'écrivain à l'hebdomadaire Les Inrockuptibles.
Bruno est donc D'Artagnan, un jeune fils de médecin qui débarque, après deux années d'études en Australie, à l'université de Tourmens (bourgade imaginaire) en 1973. Il n'a pas mis les pieds en cours qu'il s'est déjà fait emboutir la voiture de Papa par un malotru qui a pris la fuite.
C'est en poursuivant le fuyard à la sortie d'un amphi qu'il bouscule Christophe Gray (Athos), Basile Bloom (Porthos) et André Solal (Aramis). Pour s'excuser, il leur donne rendez-vous au Petit Café, zone franche qui deviendra le quartier général de ces quatre jeunes mousquetaires. “ Militants de la lutte contre tous les pouvoirs et d'un accès aux soins aussi large que démocratique ”, ils prêtent serment, jurant de défendre la Médecine Générale de toutes leurs forces et toute leur âme, au cri nouveau de “ Un pour tous et tous pour elle ”. Face à eux : les internes arrogants et autres futurs spécialistes partisans d'une médecine de classes et de privilèges, gonflés d'ambition et avides de fortune personnelle.
Deux camps retranchés donc, dans une faculté de médecine régie selon des lois féodales comparables à celle de la Cour du roi chez Dumas. Soit aussi le Professeur Vargas (M. de Tréville) qui fait figure de mentor, le doyen Fiessinger (Louis XIII) grand patron velléitaire, le Vice-doyen Le Riche (Richelieu), un arriviste sournois, sans oublier deux chefs de cliniques aussi ambitieux que dangereux Max Budd (Rochefort) et Mathilde Hoffmann (Milady) et bien entendu la belle et intelligente Charlotte Pryce (Constance) dont Bruno tombe éperdument amoureux.
Une équipée humaniste
De cette transposition fidèle on pourrait craindre un aspect fabriqué. Ce serait compter sans le génie de Martin Winckler. S'il réinvente le roman de Alexandre Dumas, ce n'est pas tant pour l'histoire que pour sa dimension épique. D'avortements clandestins en affrontements avec les défenseurs de la hiérarchie, des bizutages sauvages de la première année à la pêche au cadavre dans une piscine de formol, d'idylles entre soignants aux partages de petits plats préparés par Maman avec ses compères serrés dans une chambre du foyer, le tout sur fond de revendications sociales post-soixante-huitardes : chez Martin Winckler les écrasantes études de médecine se métamorphosent en une grande aventure initiatique semée de défis et d'embûches où le savoir est mis au service d'un humanisme triomphateur.
Porté par son enthousiasme, l'écrivain n'évite pas tout à fait l'autre écueil qui lui pendait au nez : engourdir ses héros avec une complaisance un peu manichéenne, mélange d'innocence, de naïveté et d'angélisme qui entraîne une certaine idéalisation de la médecine. Du reste, son écriture polyphonique extrêmement riche en styles, en témoignages d'étudiants, de soignants, de patients, et en documents sur l'histoire et l'enseignement de la médecine souffre d'une fragmentation qui, tout en nourrissant sa singularité, fait de la lecture elle-même un parcours. Au moins le lecteur est-il embarqué dans l'équipée. Non, le roman d'aventures n'est pas resté figé dans des temps anciens. Non, toutes les idéologies ne sont pas mortes.
Et oui, il reste des combats à mener. Via Les Trois Médecins, Martin Winckler continue à défendre, plume à la main, l'abolition des privilèges, l'accès aux soins pour tous, un enseignement de la médecine qui s'appuie sur l'examen clinique et l'écoute du patient pour affronter les réalités premières que sont la souffrance, la maladie et la mort. S'il campe quelques médecins en héros, il n'en fait pas des surhommes mais plutôt des résistants. Vers une autre idée de la médecine, avec un fameux souffle littéraire.
Les Trois Médecins, de Martin Winckler
P.O.L, 528 p.
Lesquels se succédaient donc dans le cabinet du docteur Sachs et confiaient, à tour de rôle et à la première personne, leur mal ici, leur douleur là, et leurs observations concernant leur soignant. Martin Winckler - Marc Zaffran de son vrai nom, né en Algérie en 1955 - imposait alors Bruno Sachs, un personnage inspiré d'un camarade de fac disparu, et devenu son double littéraire. A ce médecin de province établi, il fallait une vie, un passé, une éducation, une initiation qui puisse éclairer ses prises de positions actuelles. D'où ce nouveau roman : Les Trois Médecins, ou La Formation de Sachs.
Avec, de nouveau, un parti pris narratif : calquer les études de médecine de Bruno Sachs sur la trame des Trois Mousquetaires de Alexandre Dumas. “ Parce que faire médecine, ça dure dix ans, à une âge charnière, c'est donc une sorte de roman d'aventures, d'amour, de formation, une histoire d'amitié, un itinéraire politique et moral ” a confié l'écrivain à l'hebdomadaire Les Inrockuptibles.
Bruno est donc D'Artagnan, un jeune fils de médecin qui débarque, après deux années d'études en Australie, à l'université de Tourmens (bourgade imaginaire) en 1973. Il n'a pas mis les pieds en cours qu'il s'est déjà fait emboutir la voiture de Papa par un malotru qui a pris la fuite.
C'est en poursuivant le fuyard à la sortie d'un amphi qu'il bouscule Christophe Gray (Athos), Basile Bloom (Porthos) et André Solal (Aramis). Pour s'excuser, il leur donne rendez-vous au Petit Café, zone franche qui deviendra le quartier général de ces quatre jeunes mousquetaires. “ Militants de la lutte contre tous les pouvoirs et d'un accès aux soins aussi large que démocratique ”, ils prêtent serment, jurant de défendre la Médecine Générale de toutes leurs forces et toute leur âme, au cri nouveau de “ Un pour tous et tous pour elle ”. Face à eux : les internes arrogants et autres futurs spécialistes partisans d'une médecine de classes et de privilèges, gonflés d'ambition et avides de fortune personnelle.
Deux camps retranchés donc, dans une faculté de médecine régie selon des lois féodales comparables à celle de la Cour du roi chez Dumas. Soit aussi le Professeur Vargas (M. de Tréville) qui fait figure de mentor, le doyen Fiessinger (Louis XIII) grand patron velléitaire, le Vice-doyen Le Riche (Richelieu), un arriviste sournois, sans oublier deux chefs de cliniques aussi ambitieux que dangereux Max Budd (Rochefort) et Mathilde Hoffmann (Milady) et bien entendu la belle et intelligente Charlotte Pryce (Constance) dont Bruno tombe éperdument amoureux.
Une équipée humaniste
De cette transposition fidèle on pourrait craindre un aspect fabriqué. Ce serait compter sans le génie de Martin Winckler. S'il réinvente le roman de Alexandre Dumas, ce n'est pas tant pour l'histoire que pour sa dimension épique. D'avortements clandestins en affrontements avec les défenseurs de la hiérarchie, des bizutages sauvages de la première année à la pêche au cadavre dans une piscine de formol, d'idylles entre soignants aux partages de petits plats préparés par Maman avec ses compères serrés dans une chambre du foyer, le tout sur fond de revendications sociales post-soixante-huitardes : chez Martin Winckler les écrasantes études de médecine se métamorphosent en une grande aventure initiatique semée de défis et d'embûches où le savoir est mis au service d'un humanisme triomphateur.
Porté par son enthousiasme, l'écrivain n'évite pas tout à fait l'autre écueil qui lui pendait au nez : engourdir ses héros avec une complaisance un peu manichéenne, mélange d'innocence, de naïveté et d'angélisme qui entraîne une certaine idéalisation de la médecine. Du reste, son écriture polyphonique extrêmement riche en styles, en témoignages d'étudiants, de soignants, de patients, et en documents sur l'histoire et l'enseignement de la médecine souffre d'une fragmentation qui, tout en nourrissant sa singularité, fait de la lecture elle-même un parcours. Au moins le lecteur est-il embarqué dans l'équipée. Non, le roman d'aventures n'est pas resté figé dans des temps anciens. Non, toutes les idéologies ne sont pas mortes.
Et oui, il reste des combats à mener. Via Les Trois Médecins, Martin Winckler continue à défendre, plume à la main, l'abolition des privilèges, l'accès aux soins pour tous, un enseignement de la médecine qui s'appuie sur l'examen clinique et l'écoute du patient pour affronter les réalités premières que sont la souffrance, la maladie et la mort. S'il campe quelques médecins en héros, il n'en fait pas des surhommes mais plutôt des résistants. Vers une autre idée de la médecine, avec un fameux souffle littéraire.
Les Trois Médecins, de Martin Winckler
P.O.L, 528 p.
