«Ceux d'entre nous qui ont vécu dans la république islamique d'Iran savent que la cruauté à laquelle nous étions soumis était à la fois tragique et absurde. Nous devions, pour continuer à vivre, tourner notre malheur en dérision…L'art et la littérature nous sont devenus si essentiels non pas un luxe, mais une nécessité. Ce que Nobokov a su saisir de la vie dans une société totalitaire était sa texture même, cette solitude complète au sein d'un monde illusoire et rempli de fausses promesses où il vous devient impossible de faire la différence entre celui qui vous sauve et celui qui vous exécute».
Avec des mots simples, dans un style limpide, Azar Nafisi tisse des liens intenses entre des livres, des héros de fiction et les sept Iraniennes qu'elle avait choisi pour suivre son séminaire clandestin. Chacune de ces étudiantes avait un parcours atypique, l'une avait fait de la prison pour ses idées progressistes, l'autre appartenait à un milieu religieux conservateur, celle-ci était mariée à un homme maladivement jaloux, celle-là a vu son frère exécuter, telle autre était issue d'un univers laïc…
Des passionnées de littérature
Mais toutes étaient passionnées de littérature, adoraient lire et ne se lassaient pas de décortiquer les œuvres occidentales, jugées par la censure locale comme «décadentes» et donc interdites.
D'où aussi le choix de romans, tels que Lolita de Nobokov, Gatsby le Magnifique de Fitzgerld, Daisy Miller et Washington Square de Henry James ou encore Orgueils et préjugés de Jane Austen. Des œuvres qui étaient autant de bouées de sauvetage auxquelles les jeunes femmes s'accrochaient instinctivement pour ne pas sombrer, définitivement, dans la négation de soi.
Dans l'univers douillet du salon de Azar Nafisi, les jeunes étudiantes avaient commencé à se dépouiller de ce voile sombre imposé par les Mollahs. Elles ont dévoilé les couleurs écarlates de leur tee-shirt, leur jean moulant, leur magnifiquechevelure…
Entre femmes, loin des regards inquisiteurs et accusateurs des gardiens de la «révolution», elles découvrent les clefs qui donnent accès à un univers où la sensualité et la liberté ne sont pas frappées d'interdit, un monde où la tyrannie et l'arbitraire n'ont pas droit de cité, un monde où elles peuvent, elles aussi, se raconter, pour exprimer clairement que «le réel est l'expression d'une intolérable fiction. Tandis que la vie, la vraie, ne se rencontre que dans la littérature». Avec grâce et talent, Azar Nafisi tisse un récit autobiographique où les souvenirs de lecture sont liés aux convulsions de la République islamique.
Elle initie aussi ses étudiantes «aux dilemmes des héroïnes jamesiennes et aux passions feutrées des personnages d'Austen». Elle leur permet, surtout de lire Lolita, un roman frappé de l'opprobre et interdit à l'université et qui illustre, de façon magistrale la confiscation de l'identité et le vol d'une vie.
Les armes de la dérision
Mais quel lien peut-il exister entre les héroïnes de Jane Austen par exemple qui coulent des jours paisibles au fin fond de l'Amérique et les Iraniennes dont on a nié et gommé l'existence ? En fait, ici comme là-bas, aucune n'a choisi la vie qu'elle mène. La dérision et l'ironie revendiquées par l'auteur américain dans ses différents romans semblent convenir parfaitement à la situation vécue par les femmes en Iran. Ce sont, en fait, des revanches de femmes impuissantes sur leur destin.
A travers les différents romans étudiés dans cet atelier clandestin, les jeunes femmes se réapproprient leur vie, renouent avec les plaisirs simples de la vie, apprennent les significations profondes des mots liberté, identité et choix personnel.
Pendant deux ans, les protagonistes de ce cercle des lectrices ont réussi à oublier cette chape d'ombres et de mépris qui pesaient lourdement sur leurs frêles épaules. Pendant deux ans, Azar Nafisi a réellement exaucé son vœu : enseigner comme elle le désirait tous ces livres frappés d'interdiction et prendre sa revanche sur ses illusions perdues. Revenue à Téhéran au lendemain de la chute du Shah, Azar Nafisi a dû faire face à l'oppression totalitaire des mollahs, à l'arbitraire de leur jugement.
Sa démission de l'université où elle enseignait devait être l'un des actes déterminants de ce refus de continuer à se soumettre et à accepter que l'interprétation littéraire soit soumise au vote à main levée. Le dernier acte de cette volonté de mener, jusqu'au bout, ce combat pour la liberté et la dignité fut le séminaire animé dans son propre appartement à Téhéran.
Mais l'ultime action de Azar Nafisi, pour mettre un terme à cette horrible tragédie vécue par tout un peuple, fut pourtant son départ de l'Iran pour les Etats-Unis où elle continue à enseigner, librement et sans entraves, à ses étudiants ces chef d'œuvres de la littérature mondiale.
«Lire Lolita à Téhéran» de Azar Nafisi, Ed. Plon, 387 pages
Avec des mots simples, dans un style limpide, Azar Nafisi tisse des liens intenses entre des livres, des héros de fiction et les sept Iraniennes qu'elle avait choisi pour suivre son séminaire clandestin. Chacune de ces étudiantes avait un parcours atypique, l'une avait fait de la prison pour ses idées progressistes, l'autre appartenait à un milieu religieux conservateur, celle-ci était mariée à un homme maladivement jaloux, celle-là a vu son frère exécuter, telle autre était issue d'un univers laïc…
Des passionnées de littérature
Mais toutes étaient passionnées de littérature, adoraient lire et ne se lassaient pas de décortiquer les œuvres occidentales, jugées par la censure locale comme «décadentes» et donc interdites.
D'où aussi le choix de romans, tels que Lolita de Nobokov, Gatsby le Magnifique de Fitzgerld, Daisy Miller et Washington Square de Henry James ou encore Orgueils et préjugés de Jane Austen. Des œuvres qui étaient autant de bouées de sauvetage auxquelles les jeunes femmes s'accrochaient instinctivement pour ne pas sombrer, définitivement, dans la négation de soi.
Dans l'univers douillet du salon de Azar Nafisi, les jeunes étudiantes avaient commencé à se dépouiller de ce voile sombre imposé par les Mollahs. Elles ont dévoilé les couleurs écarlates de leur tee-shirt, leur jean moulant, leur magnifiquechevelure…
Entre femmes, loin des regards inquisiteurs et accusateurs des gardiens de la «révolution», elles découvrent les clefs qui donnent accès à un univers où la sensualité et la liberté ne sont pas frappées d'interdit, un monde où la tyrannie et l'arbitraire n'ont pas droit de cité, un monde où elles peuvent, elles aussi, se raconter, pour exprimer clairement que «le réel est l'expression d'une intolérable fiction. Tandis que la vie, la vraie, ne se rencontre que dans la littérature». Avec grâce et talent, Azar Nafisi tisse un récit autobiographique où les souvenirs de lecture sont liés aux convulsions de la République islamique.
Elle initie aussi ses étudiantes «aux dilemmes des héroïnes jamesiennes et aux passions feutrées des personnages d'Austen». Elle leur permet, surtout de lire Lolita, un roman frappé de l'opprobre et interdit à l'université et qui illustre, de façon magistrale la confiscation de l'identité et le vol d'une vie.
Les armes de la dérision
Mais quel lien peut-il exister entre les héroïnes de Jane Austen par exemple qui coulent des jours paisibles au fin fond de l'Amérique et les Iraniennes dont on a nié et gommé l'existence ? En fait, ici comme là-bas, aucune n'a choisi la vie qu'elle mène. La dérision et l'ironie revendiquées par l'auteur américain dans ses différents romans semblent convenir parfaitement à la situation vécue par les femmes en Iran. Ce sont, en fait, des revanches de femmes impuissantes sur leur destin.
A travers les différents romans étudiés dans cet atelier clandestin, les jeunes femmes se réapproprient leur vie, renouent avec les plaisirs simples de la vie, apprennent les significations profondes des mots liberté, identité et choix personnel.
Pendant deux ans, les protagonistes de ce cercle des lectrices ont réussi à oublier cette chape d'ombres et de mépris qui pesaient lourdement sur leurs frêles épaules. Pendant deux ans, Azar Nafisi a réellement exaucé son vœu : enseigner comme elle le désirait tous ces livres frappés d'interdiction et prendre sa revanche sur ses illusions perdues. Revenue à Téhéran au lendemain de la chute du Shah, Azar Nafisi a dû faire face à l'oppression totalitaire des mollahs, à l'arbitraire de leur jugement.
Sa démission de l'université où elle enseignait devait être l'un des actes déterminants de ce refus de continuer à se soumettre et à accepter que l'interprétation littéraire soit soumise au vote à main levée. Le dernier acte de cette volonté de mener, jusqu'au bout, ce combat pour la liberté et la dignité fut le séminaire animé dans son propre appartement à Téhéran.
Mais l'ultime action de Azar Nafisi, pour mettre un terme à cette horrible tragédie vécue par tout un peuple, fut pourtant son départ de l'Iran pour les Etats-Unis où elle continue à enseigner, librement et sans entraves, à ses étudiants ces chef d'œuvres de la littérature mondiale.
«Lire Lolita à Téhéran» de Azar Nafisi, Ed. Plon, 387 pages
