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Michel Gevrey, expert en immigration : «L'intégration ne doit pas être un renoncement à l'identité»

«A la campagne, les paysans sont très heureux d'avoir des saisonniers pendant ces quelques mois de l'année où il y a “le coup de feu”, pour récolter les fraises en Bretagne ou cueillir les fruits dans le Languedoc… Mais ces mêmes paysans n'aimeraient pas

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Ce membre du Conseil économique et social, cette instance qui a publié en 2003, un énorme pavé consacré aux «défis de l'immigration future», est intarissable sur l'histoire de l'immigration, qui dit-il, s'est enrichie d'apports successifs «sans jamais le vivre comme un enrichissement».

Maire adjoint de Sarcelles, il explore des pistes de réflexion sur l'intégration. Elle passe, explique-t-il, par la mixité sociale, l'éducation et la culture et ne saurait être «un renoncement à ce qu'on fût».

Ce membre du Conseil économique et social est intarissable sur l'histoire de l'immigration en terre française. Maire adjoint de Sarcelles, il livre ici quelques pistes de réflexion sur l'intégration. Elle passe par la mixité sociale, l'éducation et la culture et ne saurait être “ un renoncement à ce qu'on fût ”.

Le Matin : On vous dit intarissable sur l'histoire de l'immigration en France….

Michel Gevrey : La France s'est constituée par des apports successifs qui n'ont jamais été perçus comme des enrichissements au moment où ils se produisaient. Il y a deux réactions complètement contradictoires. La première est celle que je nommerais le “ lepénisme ” et donc l'extrême droite.

Sous couvert d'un nationalisme ultra, c'est l'Autre que l'on met en cause. C'est pour cela que l'on retrouve chez ces gens-là des formes d'intégrisme que l'on reproche à d'autres.

Dans le même temps, on peut aussi assister à des tensions sociales et des réactions de grandes centrales ouvrières pendant des années qui se sont longtemps confrontées à un problème, celui de l'ouvrier français qui voyait dans l'immigré celui qui lui prenait son pain et son boulot. L'ouvrier français se refusait d'admettre que l'étranger venait d'abord pour les boulots dont lui ne voulait pas.

Vous êtes le rapporteur du rapport sur l'immigration en France publié en 2003 par le Conseil économique et social . Pensez-vous avoir été entendu ?

Je crois que beaucoup de gens ont lu ce rapport. En tout cas, je peux vous dire que les auditoires sont intéressés. Quand vous dites à un auditoire parisien, qui assurerait sa voirie s'il n'y avait pas des subsahariens qui soient venus massivement se faire embaucher comme éboueurs à Paris, eh bien cet auditoire prête plus attentivement l'oreille.

Et il est surpris d'apprendre que Paris n'a jamais logé ces personnes dont je parle ! Et souvent, ils ont été très mal logés. J'ajoute en passant que ces gens représentaient souvent un apport économique considérable à leur pays d'origine. En fait, ils ont été eux-mêmes leurs propres agents de co-développement.
Les réactions populaires que j'évoquais précédemment existent toujours.

A la campagne, les paysans sont très heureux d'avoir des saisonniers pendant ces quelques mois de l'année où il y a “ le coup de feu ”, pour récolter les fraises en Bretagne ou cueillir les fruits dans le Languedoc… Mais ces mêmes paysans n'aimeraient pas que cette population de saisonniers s'installe. Il y a également de grandes réticences quand deux critères viennent s'ajouter au racisme et à la crainte de perdre son travail.

D'abord le fait que certains confondent immigration et criminalité. Quand on étudie des statistiques solides, comparant la criminalité entre immigrés et Français –j'entends par immigrés ceux qui sont toujours étrangers- on s'aperçoit qu'il n'y a pas un pourcentage de criminalité plus élevé dans la catégorie “ immigrés ”.

L'important en la matière n'est pas de s'attaquer à ceux qui fabriquent la criminalité et en tirent profit. Il y a des mafias organisées, souvent venues d'Albanie, de Roumanie, ou de Tchétchénie dans des domaines de la prostitution ou du vol. S'attaquer à la criminalité, ce n'est pas prendre pour cible des gens qui ont été amenés à des conditions d'existence déplorables. Le deuxième point très important concerne le cadre de vie.

Force est de constater qu'il n'y a pas eu dans ce sens de projets véritables, et on a laissé se constituer à la périphérie des villes, des blocs ethniques, communautaires ou “ affinitaires ”. Résultat, il n'y a pas eu de vie collective harmonieuse et surtout plus de mixité sociale. A Sarcelles, ma ville, on a logé des immeubles complets par des familles venues des mêmes régions d'immigration.

Ce faisant, les conditions étaient réunies pour qu'il n'y ait pas finalement d'intégration. A Sarcelles toujours, une ville de 60 000 habitants, il existe 43 groupes scolaires ou écoles. Quand je tombe, en ma qualité de maire adjoint en charge de l'éducation, sur quatre enfants de “ souche française ” dans une classe de 25 enfants, je me dis que c'est la totalité de la classe qui est dans de mauvaises conditions pour réussir.

Comment vivez-vous justement l'intégration ? Est-ce un vœu pieux ou quelque chose de possible ?

L'intégration existe et il y a même des réussites en la matière.

De telles réussites ne sont-elles pas finalement trop vite brandies parce que ce sont des cas isolés ?

Quand on brandit un cas, cela signifie que l'on a rien d'autre à brandir. Quand on brandit un cas, et un cas seul dont on fait un argument de bête de société, je me méfie. De tels cas peuvent servir d'alibi. Pour moi, il y a réussite quand dans un quartier donné, c'est toute une population qui est portée vers le haut par l'intégration. Je vais de nouveau prendre l'exemple de Sarcelles : lorsque le directeur de l'école Jean Jaurès s'appelle Ahmed Touabi et que son père a débarqué illettré en France, je dis que ce jeune aujourd'hui directeur d'un établissement scolaire a été tiré vers le haut.

Plus exactement, il s'est tiré vers le haut parce qu'il y a eu tout un environnement qui le lui a permis. J'étais en phase avec un ancien secrétaire d'Etat français d'origine togolaise qui avait une conception de l'intégration faite de dialogue et de réciprocité. Quand il a créé dans son village breton un conseil des Anciens, il s'était inspiré directement de son pays d'origine.

«La loi sur le voile était inopportune»

Donc pour vous, l'intégration passe d'abord par la mixité sociale ?

Par la mixité sociale mais aussi par d'autres critères. On ne s'intégrera pas s'il n'y pas de réponse au plan de l'emploi. Posons-nous la question de savoir quelle est la situation de ces centaines de milliers d'immigrés en situation illégale en France. Ils n'ont pas accès au travail valorisant, donnant des droits.

Autre critère important, l'intégration par l'éducation. Il nous faut une vraie révolution à l'intérieur du système éducatif pour que le français soit présenté comme une langue étrangère à ces enfants qui débarquent dans l'Hexagone, une langue étrangère qu'ils devront s'approprier.

Troisième élément déterminant, celui du cadre de vie. Il faut que les gens vivent dans des lieux décents où ils vont pouvoir se frotter au mode de vie du pays où ils résident. Le plus beau foyer du monde, le plus bel immeuble du monde ne seront pas grand chose, s'il n'y a pas en même temps l'accès facilité au stade, à la bibliothèque, au cinéma, au centre commercial, bref, s'il n'y a pas une immersion possible dans la vie collective à proximité. L'enclavement provoque l'édification de ghettos qui peuvent être non intentionnels.

Autre condition à l'intégration, et ce n'est pas la plus facile, c'est l'intégration par la culture. Celle-ci suppose que la personne qui va s'intégrer à la culture française puisse continuer à vivre les ressources de sa propre culture.

Cela veut dire que la démarche dialectique selon laquelle “ je ne renie pas ce que j'ai été et j'ai envie d'y ajouter autre chose ” doit être adoptée. Il ne s'agit donc pas d'un renoncement à ce qu'on fût. Très souvent, on entend dire à propos des immigrés “ ils n'ont qu'à vivre comme nous ”. Je dis , moi, qu'il faut créer les conditions pour que ces immigrés vivent avec nous, sans renier qu'ils ont des modes de fonctionnement et de cultures, qu'ils soient philosophique, musical, artistique, religieux différents.

La loi sur le voile participe-t-elle à l'intégration ?

Oui et non. Je crois qu'une loi était opportune. Mais je crois que la loi telle qu'elle a été votée est inopportune. Prenons un exemple, la civilisation française n'est pas fondée sur la polygamie. On ne peut pas accepter que se développent en France des familles polygames. De même nous récusons l'excision comme une mutilation conformément à la Convention des droits de l'enfant et celle des droits de l'Homme. De telles traditions ne sont pas importables.

En tant que citoyen français et sans juger de ce qui se passe dans d'autres pays, j'ai le droit de le dire à des gens qui veulent partager le droit du sol et un jour le droit du sang. Dans le même temps, il est important qu'il y ait compréhension de la culture de l'autre et tout ce qui est conforme à la Constitution française puisse être partagé.

Quand dans les écoles de Sarcelles, les mamans marocaines viennent faire un repas traditionnel où sont invités les mamans et les gosses des autres communautés, et que la semaine suivante c'est au tour d'une maman vietnamienne de lancer l'invitation, je dis bravo. Tout le monde découvre les pratiques de l'autre et elles ne gênent personne !

Revenons à la question du voile. Je vis à Sarcelles où 25% de la population est de confession israélite. Ce qui s'est d'abord posé comme problème dans ma ville, c'était la kipa des garçons au lycée et pas le voile des filles.

Une jeune fille arabe n'avait pas à s'affirmer parce que le gamin juif portait la kipa comme une sorte de provocation. Même si nous avons incontestablement des filles qui mettent le voile quand elles sont à l'extérieur.

La loi telle que présentée, parfois par la presse même, est apparue comme une loi visant les personnes de confession musulmane.
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