Clint Eastwood avait été l'un des grands oubliés du palmarès du Festival de Cannes 2003. Pour des raisons mystérieuses, son dernier film, Mystic River - que la rumeur comptait parmi les favoris - n'avait pas décroché la moindre petite palme. Mais – conséquence de remords tardifs ? – le film a décroché ces dernières semaines le César 2004 du meilleur film étranger en France deux Oscars et deux Golden Globe aux Etats-Unis. Des récompenses particulièrement bienvenues à l'heure de sa sortie sur les écrans marocains.
Depuis le formidable Minuit dans le jardin du bien et du mal en 1997, Clint Eastwood avait tourné le dos aux œuvres personnelles pour réaliser des films de commande ultra calibrés. Dont l'intérêt, outre la présence charismatique de la star, se réduisait bien souvent à renseigner sur l'évolution de son bulletin de santé (Jugé Coupable, Créance de sang).
Mystic River marque le retour de Clint Eastwood au film d'auteur. Son projet comportait deux points essentiels : adapter le roman policier éponyme de Dennis Lehane et ne pas apparaître comme interprète. Autant dire que les studios hollywoodiens ont dû rechigner avant de se laisser convaincre (sur ses vingt-trois films avant celui-ci, trois seulement ne font pas apparaître Clint Eastwood). Mais le réalisateur arrivait avec un quatuor de choc : Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon et Laurence Fishburne. Des talents que le jury des Oscar a souhaité saluer en attribuant ses statuettes de «meilleur rôle masculin» et « meilleur second rôle» à Sean Penn et Tim Robbins. Ce qui est relativement injuste à l'égard de Kevin Bacon, pivot plus évident de Mystic River.
D'abord, parce que le comédien interprète le rôle que Clint Eastwood aurait pu jouer lui-même s'il avait eu vingt ans de moins. Ensuite, parce que son personnage est dans et hors l'histoire, à la fois acteur et spectateur de ce drame. Enfin, parce que le jeu de Kevin Bacon, tout de densité retenue et d'expressivité discrète, contraste avec le sur-jeu de ses comparses.
Palette sombre
Ils étaient trois garnements à jouer dans la ruelle de leur quartier. Quand une grosse voiture noire s'est approchée doucement, ouvrant la portière et emmenant l'un d'eux, Dave. Des policiers ou des ravisseurs ? La stupeur des gamins et l'atmosphère noire qui s'impose immédiatement font pencher vers l'option la plus dramatique.
On les retrouve trente ans plus tard. Dave (Tim Robbins) est un père au chômage, pantelant et torturé, soutenu par une femme qui a l'air d'avoir les épaules trop chargées. Jimmy (Sean Penn), ex-caïd et ex-taulard qui s'est rangé, affiche un rôle de parfait chef de famille. Bon père, bon croyant et bon travailleur, il tient une épicerie dans ce quartier dont il est une figure incontournable. Le troisième larron, Sean (Kevin Bacon), a quitté le quartier et est devenu flic. Deux raisons qui l'ont coupé un certain temps de ses anciens compagnons de jeu. Jusqu'à ce qu'il soit chargé d'enquêter sur la mort de l'aînée de Jimmy.
La jeune adolescente vient d'être retrouvée mutilée dans la Fosse aux Ours, un terrain vague sordide. Devant cet événement qui doit lui rappeler de mauvais souvenirs, Dave perd la tête. Mais sa conduite indéchiffrable en fait le principal suspect. Ivre de douleur, Jimmy récupère ses anciens réflexes de malfrat et s'apprête à faire la loi lui-même, même si s'il doit, pour cela, s'opposer à ses camarades d'enfance. Quant à Sean, il doit dessiner la ligne de conduite, de conscience et de semblant de justice dans cette communauté aux abois qui lui est devenue relativement étrangère.
Noirceur et désespoir sont les atouts de ce film à ranger plutôt dans le genre noir qu'au rayon action. Clint Eastwwod s'est d'ailleurs appliqué à développer son réalisme en tournant sur les lieux même de l'action, -au bord de la Mystic River à Boston -, en ne reculant devant aucune scène de larmes, et en offrant à des personnages de chair et de sang toute une cartographie psychologique palpable. Fragmentation d'une communauté et destins individuels frappés par des traumatismes insurmontables, ce sont les douleurs humaines qui font les fulgurances de Mystic River. Une tragédie moderne qui s'allonge en western urbain, remarquablement filmé.
Mais elle coule trop lentement cette jolie rivière pour recouvrir ses pesanteurs.
La mise en scène joue l'exagération plus que la suggestion, faisant perdre pied aux comédiens dans un pathos qui leur sied peu. Et son mysticime qui remonte en charriant bien et mal, pêché et rédemption, finit par étouffer la complexité des déchirures de l'âme. La surprenante fin jongle d'ailleurs avec plusieurs interprétations : brusque revers puissamment immoral ou jeu de chat et souris, avec l'enfer dans le rôle du chat ? L'écriture, la palette graphique et les thèmes tragiques de Mystic River l'apparentent aux classique à l'ancienne, et le propulsent sur le podium eastwoodien. Un rang que ce film aurait atteint plus franchement sans tout ce surpoids métaphysique qui bloque son amplitude.
Depuis le formidable Minuit dans le jardin du bien et du mal en 1997, Clint Eastwood avait tourné le dos aux œuvres personnelles pour réaliser des films de commande ultra calibrés. Dont l'intérêt, outre la présence charismatique de la star, se réduisait bien souvent à renseigner sur l'évolution de son bulletin de santé (Jugé Coupable, Créance de sang).
Mystic River marque le retour de Clint Eastwood au film d'auteur. Son projet comportait deux points essentiels : adapter le roman policier éponyme de Dennis Lehane et ne pas apparaître comme interprète. Autant dire que les studios hollywoodiens ont dû rechigner avant de se laisser convaincre (sur ses vingt-trois films avant celui-ci, trois seulement ne font pas apparaître Clint Eastwood). Mais le réalisateur arrivait avec un quatuor de choc : Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon et Laurence Fishburne. Des talents que le jury des Oscar a souhaité saluer en attribuant ses statuettes de «meilleur rôle masculin» et « meilleur second rôle» à Sean Penn et Tim Robbins. Ce qui est relativement injuste à l'égard de Kevin Bacon, pivot plus évident de Mystic River.
D'abord, parce que le comédien interprète le rôle que Clint Eastwood aurait pu jouer lui-même s'il avait eu vingt ans de moins. Ensuite, parce que son personnage est dans et hors l'histoire, à la fois acteur et spectateur de ce drame. Enfin, parce que le jeu de Kevin Bacon, tout de densité retenue et d'expressivité discrète, contraste avec le sur-jeu de ses comparses.
Palette sombre
Ils étaient trois garnements à jouer dans la ruelle de leur quartier. Quand une grosse voiture noire s'est approchée doucement, ouvrant la portière et emmenant l'un d'eux, Dave. Des policiers ou des ravisseurs ? La stupeur des gamins et l'atmosphère noire qui s'impose immédiatement font pencher vers l'option la plus dramatique.
On les retrouve trente ans plus tard. Dave (Tim Robbins) est un père au chômage, pantelant et torturé, soutenu par une femme qui a l'air d'avoir les épaules trop chargées. Jimmy (Sean Penn), ex-caïd et ex-taulard qui s'est rangé, affiche un rôle de parfait chef de famille. Bon père, bon croyant et bon travailleur, il tient une épicerie dans ce quartier dont il est une figure incontournable. Le troisième larron, Sean (Kevin Bacon), a quitté le quartier et est devenu flic. Deux raisons qui l'ont coupé un certain temps de ses anciens compagnons de jeu. Jusqu'à ce qu'il soit chargé d'enquêter sur la mort de l'aînée de Jimmy.
La jeune adolescente vient d'être retrouvée mutilée dans la Fosse aux Ours, un terrain vague sordide. Devant cet événement qui doit lui rappeler de mauvais souvenirs, Dave perd la tête. Mais sa conduite indéchiffrable en fait le principal suspect. Ivre de douleur, Jimmy récupère ses anciens réflexes de malfrat et s'apprête à faire la loi lui-même, même si s'il doit, pour cela, s'opposer à ses camarades d'enfance. Quant à Sean, il doit dessiner la ligne de conduite, de conscience et de semblant de justice dans cette communauté aux abois qui lui est devenue relativement étrangère.
Noirceur et désespoir sont les atouts de ce film à ranger plutôt dans le genre noir qu'au rayon action. Clint Eastwwod s'est d'ailleurs appliqué à développer son réalisme en tournant sur les lieux même de l'action, -au bord de la Mystic River à Boston -, en ne reculant devant aucune scène de larmes, et en offrant à des personnages de chair et de sang toute une cartographie psychologique palpable. Fragmentation d'une communauté et destins individuels frappés par des traumatismes insurmontables, ce sont les douleurs humaines qui font les fulgurances de Mystic River. Une tragédie moderne qui s'allonge en western urbain, remarquablement filmé.
Mais elle coule trop lentement cette jolie rivière pour recouvrir ses pesanteurs.
La mise en scène joue l'exagération plus que la suggestion, faisant perdre pied aux comédiens dans un pathos qui leur sied peu. Et son mysticime qui remonte en charriant bien et mal, pêché et rédemption, finit par étouffer la complexité des déchirures de l'âme. La surprenante fin jongle d'ailleurs avec plusieurs interprétations : brusque revers puissamment immoral ou jeu de chat et souris, avec l'enfer dans le rôle du chat ? L'écriture, la palette graphique et les thèmes tragiques de Mystic River l'apparentent aux classique à l'ancienne, et le propulsent sur le podium eastwoodien. Un rang que ce film aurait atteint plus franchement sans tout ce surpoids métaphysique qui bloque son amplitude.
