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Abdelkader El Badaoui se prépare à célébrer ses 60 ans de carrière

Le verbe haut, la démarche toujours assurée, Abdelkader El Badaoui défend les mêmes idées. Il a toujours les mêmes convictions. Presque soixante ans après ses débuts sur les planches, le fondateur de la troupe Badaoui garde au fond de son œil la flamme de

Abdelkader El Badaoui se prépare à célébrer ses 60 ans de carrière
BADAOUI
Mais si la passion est intacte, l'homme est amer. Alors que sous d'autres cieux, le théâtre Badaoui est considéré comme une institution, une école de formation pour les étudiants, au Maroc, on semble ne pas reconnaître l'apport indéniable de celui qui a jeté les bases du théâtre marocain. "Des universités prestigieuses à travers le monde font appel à moi pour partager, avec leurs élèves, mes connaissances et mon expérience. Le théâtre Badaoui fait l'objet d'études et de thèses de doctorats. Cela est réjouissant et nous réconforte", avoue Abdelkader El Badaoui.

Le doyen du théâtre national qui aurait amplement mérité d'avoir son propre "théâtre" doit, à chaque fois, faire de l'équilibrisme financier pour assurer la survie de sa troupe. Mais cela n'entame en rien sa combativité. On dirait que ce sont les obstacles qui insufflent à El Badaoui la volonté et le désir de continuer à défendre l'idéal d'un théâtre indépendant, un théâtre de bonne facture, ni avili, ni méprisé.

Le théâtre El Badaoui, celui qui n'a pas changé d'un iota depuis les débuts est un théâtre qui respecte le spectateur. C'est aussi un théâtre qui offre un miroir grossissant de la société, avec ses tares et ses vices, qui force les traits de tous les corrompus, les administratifs véreux, les politiciens démagogues, les médecins mercantiles. Assister à une pièce de Badaoui signifie regarder, sans détours et crûment, la réalité de la société marocaine.

Considéré comme le père du théâtre militant, Abdelkader El Badaoui a été le premier comédien à se servir de cet art pour en faire une tribune de mobilisation et de combat pour la libération du pays. "La voix de la conscience" ou encore "Les jeunes travailleurs" illustraient déjà la démarche d'un homme qui avait fait du théâtre une merveilleuse plate-forme de revendications.

Ce rôle de "mobilisateur" se renforcera après l'indépendance. El Badaoui estime que son théâtre doit contribuer au développement humain et culturel. Les pièces montées au cours de cette étape cruciale dans la vie du Maroc expriment les attentes, les espoirs, les peurs et les craintes des Marocains. El Badaoui restera toujours fidèle à cette vocation de militant et de syndicaliste. Il en fera son cheval de bataille. Sa marque de fabrique.

En 1972, El Badaoui entame un autre tournant dans son parcours artistique. Il développe le théâtre estudiantin. Une formidable innovation qui permet à la troupe de monter des œuvres d'excellente qualité et de jouer un rôle certain dans cette ouverture des jeunes vers d'autres cultures. C'est au cours de cette période qu'El Badaoui jette les bases du Festival du théâtre d'Ifrane. Un évènement qui permet toujours aux habitants de cette cité et aux enfants des colonies de vacances de jouir de moments uniques en compagnie d'une troupe qui ne cesse d'innover.

Au cours de cette période, Abdelkader El Badaoui se rappelle que sa troupe avait offert aux Casablancais leur premier festival. "Pendant le Ramadan, nous avons donné chaque soir une représentation et à chaque fois avec une pièce différente. Vous imaginez tout ce que cela suppose en terme d'organisation, de changement de décors", explique le doyen du théâtre national.

Pendant les années 70, l'engagement et le militantisme de la troupe El Badaoui allaient encore se concrétiser avec une participation exemplaire à la Marche Verte. La troupe avait, en effet, effectué, à titre gracieux, trois tournées au Sahara Marocain. "Notre objectif était de servir le pays", raconte aujourd'hui Abdelkader El Badaoui.

Tout au long des années 80, la troupe El Badaoui n'a cessé de combattre pour préserver son indépendance tout en présentant des pièces qu'il estime essentiel pour le développement de cet art. Mais la crise du théâtre était latente et les années 90 allaient dévoiler la lente agonie de ce mode d'expression.

La transmission d'une émission sur la chaîne nationale à laquelle participait El Badaoui, à l'occasion de la célébration de la journée mondiale du théâtre, allait mettre le doigt sur tous les maux dont souffrait le théâtre marocain. Dans une célèbre Lettre royale, S.M. le Roi Hassan II allait redonner espoir à tous ceux qui ne vivent qu'à travers le Théâtre. "Au cours de l'audience que le regretté souverain nous avait accordé en mars 1991, j'étais assis à sa droite.

J'avais été aussi désigné par mes pairs comme le porte-parole des hommes de théâtre. S.M. le Roi Hassan II avait donné ses hautes instructions pour faire changer et évoluer la situation du théâtre. Malheureusement, des ministres n'ont pas jugé bon d'appliquer ces instructions. Le théâtre continue de végéter. On donne aujourd'hui des subventions à des troupes qui font du n'importe pas quoi…", estime El Badaoui.

Toujours entier, n'acceptant de faire aucune concession, Abdelkader El Badaoui peut s'enorgueillir d'avoir donner ses lettres de noblesse au théâtre pour enfants. Il est le seul à avoir offert aux petits un théâtre à leur mesure.
Toujours infatigable, toujours passionné, Abdelkader El Badaoui vient de mettre la dernière main aux "Fuyards" de Sendenberg.

C'est une œuvre qu'il avait monté en 1961 et dans laquelle Souad, la comédienne qu'il avait épousé, tenait le rôle titre. En 2005, c'est Karima El Badaoui, la propre fille de l'homme de théâtre qui campe le rôle de la belle Julia et c'est Mohcine, le fils qui incarne le rôle qu'avait tenu dans les années 60 Abdelkader El Badaoui. "Malgré la situation actuelle du théâtre, j'ai encouragé mes propres enfants à embrasser cette carrière. J'estime qu'il faut assurer la continuité de notre famille qui a dédié toute sa vie à l'univers théâtral", assure fièrement A. El Badaoui. Mohcine El Badaoui vient en effet de décrocher son diplôme de metteur en scène à Bruxelles, Karima est lauréate de l'Institut supérieur de la mise en scène du Caire.

Tout en poursuivant ses études en Egypte, Karima El Badaoui a su s'imposer en tant qu'actrice. Elle tient des rôles dans trois feuilletons diffusés pendant ce Ramadan. Hasna, l'autre sœur, vient pour sa part d'obtenir un doctorat dans une grande université New-yorkaise. Elle assure par ailleurs un programme thérapeutique d'écriture.

Celui qui a su insuffler son amour du théâtre à ses enfants ne baisse pas les bras. Son répertoire se renouvelle et s'enrichit pour accompagner les besoins et les ambitions des nouvelles générations. En 2005 toujours, l'homme de théâtre se prépare à présenter trois œuvres inspirées du répertoire mondial et marocain.

A côté de ce travail, El Badaoui a préparé un feuilleton radiophonique dans lequel il revisite à sa manière des pièces inspirées du répertoire marocain, africain et international. Se disant porteur d'un message à l'adresse d'une société dont il se fait le pourfendeur des injustices et des failles, le doyen du théâtre marocain n'a jamais renié ses intimes convictions. Ses "affaires sociales" en seront la meilleure illustration.

Abdelkader El Badaoui se prépare aussi activement à célébrer, en 2006, ses soixante ans de carrière. "Ce sera une sorte d'adieu à la scène. Nous voulons organiser une tournée dans toutes les provinces du Royaume. J'aspire à ce que S.M. le Roi Mohammed VI puisse entourer cette manifestation de sa haute bienveillance. J'imagine cette tournée comme une immense fête qui démarrera à partir de Casablanca et ira à la rencontre du public du théâtre dans toutes les provinces et les régions du Royaume…", insiste El Badaoui.

Cela ne devrait pas être un vœu pieu d'un homme qui a consacré sa vie au théâtre, mais plutôt l'hommage de toute une nation à un homme entier, qui a posé les jalons d'un théâtre social à la mesure des aspirations d'un pays.
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