Le Matin : Quels sont les facteurs qui ont déclenché la violence urbaine que la France connaît depuis deux semaines?
Adil Jazouli : Je tiens à préciser d'abord que ce n'est pas un problème d'immigrés. La violence urbaine a pour origine deux événements. La mort des deux jeunes à Clichy sous Bois le 27 octobre dernier, ceci dans des conditions non encore élucidées, et les bombes lacrymogènes lancées dans la mosquée la veille de l'Aïd, jour de grande affluence. A cela s'ajoutent l'attitude et les paroles du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui n'ont pas aidé à calmer les esprits.
Comment expliquez-vous cette flambée ?
Ces événements sont l'expression d'un malaise beaucoup plus profond. Les banlieues populaires françaises, que l'on désigne officiellement comme «zones urbaines sensibles» (ZUS), constituent un concentré explosif de problèmes sociaux, économiques et urbains. Le taux de chômage des jeunes y est en moyenne de 40 %, avec des pointes à 50 %, voire 60 %. Le chômage des jeunes diplômés y progresse de façon inquiétante ; le chômage des étrangers est le double de celui des Français. Par ailleurs, les quartiers sont trop souvent «enclavés», mal desservis au niveau des transports, mal équipés en services publics ou de proximité.
Ce sont des quartiers où le nombre de policiers a diminué d'un tiers depuis cinq ans ; plus de la moitié d'entre eux ne dispose pas d'équipes d'éducateurs ni de prévention. Voilà le paysage général qui peut expliquer en grande partie le désarroi et la colère de bon nombre de personnes qui y habitent, notamment les jeunes. Il ne s'agit nullement d'excuser les actes graves et parfois criminels de ces derniers jours, mais cela permet de comprendre ce qui peut advenir dans ces quartiers.
Qu'en est-il, alors,
de la «politique de la ville» ?
Malgré une politique de la ville qui essaie, depuis près de 25 ans, avec ses modestes moyens, d'apporter un mieux vivre, force est de constater que ces quartiers ne sont pas traités à pied d'égalité par les autres départements ministériels «régaliens» : l'éducation nationale, la santé, la justice, l'emploi, le logement etc.. Tout se passe comme si ces ministères avaient «confié» à «la politique de la ville» la gestion de ces quartiers et de sa population. Cette politique ne peut être efficace que si elle arrive en complément des politiques publiques classiques. Initialement additive, elle est, de fait, devenue substitutive. L'Etat et les services publics ne sont pas représentés comme il se doit et les écarts avec les autres quartiers des villes et agglomérations ne cessent de se creuser à tous les niveaux.
Que devraient faire les responsables politiques dans ces «zones urbaines sensibles» ?
Compte tenu des handicaps sociaux et économiques communs aux ZUS, les efforts doivent être plus importants qu'ailleurs, alors qu'aujourd'hui on est en dessous de ce qui se fait ailleurs. Les zones urbaines concernées sont extrêmement sensibles à la conjoncture quand celle-ci va mal. Ainsi, lorsque le chômage augmente d'un point au plan national, il y augmente de 2. Par contre, elles sont moins sensibles aux embellies. Quand, en 1997 et 2001, la situation nationale de l'emploi s'est améliorée, l'amélioration a été moindre dans ces quartiers. Quand la France tousse, les banlieues attrapent la grippe, quand la France va mieux, elles entament à peine leur convalescence.
Personnellement, quels remèdes préconisez-vous ?
Depuis plus de quinze ans j'appelle à un véritable «Plan Marshall» concentré sur une période de dix ans, avec des moyens considérables tant humains que financiers. Ceci pour, à la fois, rénover les quartiers au niveau urbain de fond en comble et pour investir massivement sur la promotion sociale et économique des personnes qui y vivent. En effet, il faut agir sur l'urbain et le social en même temps. Malheureusement les politiques publiques des gouvernements successifs, malgré des avancées réelles, n'ont pas pris la véritable mesure de la gravité du problème. Nous avons assisté, depuis la création du ministère de la Ville, en 1990, à une succession de dispositifs qui se sont empilés les uns sur les autres et ont fini par devenir illisibles.
Comment sortir de l'impasse actuelle ?
Il faut revenir aux principes qui ont fondé la politique de la ville, à savoir mener des actions spécifiques dans ces quartiers afin de les mettre à niveau, en y renforçant la présence de services publics de droit commun. Ces principes ont été oubliés en cours de route au profit d'une gestion différenciée et menée au coup par coup, répondant aux crises successives qu'ont connu ces quartiers depuis vingt cinq ans.
Il faut «mettre le paquet» sur l'emploi et la lutte contre le chômage par de véritables mobilisations nationales de la part des pouvoirs publics comme du secteur privé. Sans cela, aucun dispositif, aussi sophistiqué soit-il, ne peut être opérationnel. Une jeunesse sans espoir est une jeunesse prête à tout le désespoir. Enfin, il faut rétablir l'équilibre entre rénovation urbaine et développement social.
En fait, ces dernières années, beaucoup de moyens, et avec raison, ont été affectés à la démolition, la reconstruction et la réhabilitation des logements, mais ceci s'est fait au détriment des actions de développement social, de médiation et d'encouragement de la vie associative. Les événements actuels en apportent la preuve. Tout le monde constate l'absence et la faiblesse de ces corps intermédiaires extrêmement nécessaires au maintien du dialogue et du dialogue social. Visiblement le gouvernement en a pris acte et le Premier ministre a annoncé récemment le rétablissement et l'augmentation des moyens consacrés à cette dimension sociale et humaine.
Après une explosion aussi violente, y a-t-il encore un espoir de redresser la situation dans les banlieues françaises ?
Les événements qui se déroulent en France sont graves mais ni dramatiques ni irréparables. Les banlieues populaires en ont vécu d'autres et elles s'en sont remises. Cela sera le cas cette fois encore si de bonnes orientations politiques sont apportées et si la mobilisation des acteurs est au rendez-vous.
Adil Jazouli : Je tiens à préciser d'abord que ce n'est pas un problème d'immigrés. La violence urbaine a pour origine deux événements. La mort des deux jeunes à Clichy sous Bois le 27 octobre dernier, ceci dans des conditions non encore élucidées, et les bombes lacrymogènes lancées dans la mosquée la veille de l'Aïd, jour de grande affluence. A cela s'ajoutent l'attitude et les paroles du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui n'ont pas aidé à calmer les esprits.
Comment expliquez-vous cette flambée ?
Ces événements sont l'expression d'un malaise beaucoup plus profond. Les banlieues populaires françaises, que l'on désigne officiellement comme «zones urbaines sensibles» (ZUS), constituent un concentré explosif de problèmes sociaux, économiques et urbains. Le taux de chômage des jeunes y est en moyenne de 40 %, avec des pointes à 50 %, voire 60 %. Le chômage des jeunes diplômés y progresse de façon inquiétante ; le chômage des étrangers est le double de celui des Français. Par ailleurs, les quartiers sont trop souvent «enclavés», mal desservis au niveau des transports, mal équipés en services publics ou de proximité.
Ce sont des quartiers où le nombre de policiers a diminué d'un tiers depuis cinq ans ; plus de la moitié d'entre eux ne dispose pas d'équipes d'éducateurs ni de prévention. Voilà le paysage général qui peut expliquer en grande partie le désarroi et la colère de bon nombre de personnes qui y habitent, notamment les jeunes. Il ne s'agit nullement d'excuser les actes graves et parfois criminels de ces derniers jours, mais cela permet de comprendre ce qui peut advenir dans ces quartiers.
Qu'en est-il, alors,
de la «politique de la ville» ?
Malgré une politique de la ville qui essaie, depuis près de 25 ans, avec ses modestes moyens, d'apporter un mieux vivre, force est de constater que ces quartiers ne sont pas traités à pied d'égalité par les autres départements ministériels «régaliens» : l'éducation nationale, la santé, la justice, l'emploi, le logement etc.. Tout se passe comme si ces ministères avaient «confié» à «la politique de la ville» la gestion de ces quartiers et de sa population. Cette politique ne peut être efficace que si elle arrive en complément des politiques publiques classiques. Initialement additive, elle est, de fait, devenue substitutive. L'Etat et les services publics ne sont pas représentés comme il se doit et les écarts avec les autres quartiers des villes et agglomérations ne cessent de se creuser à tous les niveaux.
Que devraient faire les responsables politiques dans ces «zones urbaines sensibles» ?
Compte tenu des handicaps sociaux et économiques communs aux ZUS, les efforts doivent être plus importants qu'ailleurs, alors qu'aujourd'hui on est en dessous de ce qui se fait ailleurs. Les zones urbaines concernées sont extrêmement sensibles à la conjoncture quand celle-ci va mal. Ainsi, lorsque le chômage augmente d'un point au plan national, il y augmente de 2. Par contre, elles sont moins sensibles aux embellies. Quand, en 1997 et 2001, la situation nationale de l'emploi s'est améliorée, l'amélioration a été moindre dans ces quartiers. Quand la France tousse, les banlieues attrapent la grippe, quand la France va mieux, elles entament à peine leur convalescence.
Personnellement, quels remèdes préconisez-vous ?
Depuis plus de quinze ans j'appelle à un véritable «Plan Marshall» concentré sur une période de dix ans, avec des moyens considérables tant humains que financiers. Ceci pour, à la fois, rénover les quartiers au niveau urbain de fond en comble et pour investir massivement sur la promotion sociale et économique des personnes qui y vivent. En effet, il faut agir sur l'urbain et le social en même temps. Malheureusement les politiques publiques des gouvernements successifs, malgré des avancées réelles, n'ont pas pris la véritable mesure de la gravité du problème. Nous avons assisté, depuis la création du ministère de la Ville, en 1990, à une succession de dispositifs qui se sont empilés les uns sur les autres et ont fini par devenir illisibles.
Comment sortir de l'impasse actuelle ?
Il faut revenir aux principes qui ont fondé la politique de la ville, à savoir mener des actions spécifiques dans ces quartiers afin de les mettre à niveau, en y renforçant la présence de services publics de droit commun. Ces principes ont été oubliés en cours de route au profit d'une gestion différenciée et menée au coup par coup, répondant aux crises successives qu'ont connu ces quartiers depuis vingt cinq ans.
Il faut «mettre le paquet» sur l'emploi et la lutte contre le chômage par de véritables mobilisations nationales de la part des pouvoirs publics comme du secteur privé. Sans cela, aucun dispositif, aussi sophistiqué soit-il, ne peut être opérationnel. Une jeunesse sans espoir est une jeunesse prête à tout le désespoir. Enfin, il faut rétablir l'équilibre entre rénovation urbaine et développement social.
En fait, ces dernières années, beaucoup de moyens, et avec raison, ont été affectés à la démolition, la reconstruction et la réhabilitation des logements, mais ceci s'est fait au détriment des actions de développement social, de médiation et d'encouragement de la vie associative. Les événements actuels en apportent la preuve. Tout le monde constate l'absence et la faiblesse de ces corps intermédiaires extrêmement nécessaires au maintien du dialogue et du dialogue social. Visiblement le gouvernement en a pris acte et le Premier ministre a annoncé récemment le rétablissement et l'augmentation des moyens consacrés à cette dimension sociale et humaine.
Après une explosion aussi violente, y a-t-il encore un espoir de redresser la situation dans les banlieues françaises ?
Les événements qui se déroulent en France sont graves mais ni dramatiques ni irréparables. Les banlieues populaires en ont vécu d'autres et elles s'en sont remises. Cela sera le cas cette fois encore si de bonnes orientations politiques sont apportées et si la mobilisation des acteurs est au rendez-vous.
