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Ahmed ben Yessef, un esthète engagé

La Société générale, engagée dans la préservation du patrimoine culturel et artistique marocain, qu'elle soutient, enrichit et valorise à travers l'acquisition d'œuvres, l'organisation d'expositions, a choisi, pour cette année de célébrer le talent de deu

Ahmed ben Yessef, un esthète engagé
Je m'y engage avec un plaisir particulier car je suis conscient de l'honneur qui m'échoit a travers la rédaction de cette Préface. Ces lignes sont tout d'abord l'expression d'une longue et bien sincère amitié qui me lie a ce grand artiste ainsi que le témoignage de l'admiration que j'ai pour ses oeuvres et son oeuvre.

Il s' agit donc essentiellement d'une appréciation subjective de la créativité de l'artiste, de son imaginaire et de la maîtrise de son geste, de la subtilité de son pinceau, le perfectionnement de ses techniques sans parler de la foi qu'il a dans la peinture en tant que force de méditation et de communication.

Voici donc un témoignage qui part du coeur et des vibrations que celui-ci perçoit a partir des fresques d'un artiste dont l'oeuvre est un hymne au beau - «Dieu aime le beau». Ben Yessef est un homme de conviction et sa peinture une profession de foi.

Je tiens a préciser que l'on ne trouvera pas ici une critique d' art professionnelle car je ne suis guère qualifie pour un tel exercice. En outre, il existe deja de très nombreuses critiques entreprises par des specialistes de grand renom. Ben Yessef est un produit authentique de son œuvre. Une œuvre qui prend ses sources dans les lumières de Tetouan et dans les ombres de ses ruelles, dans le mouvement, le langage et la musique de ses habitants, dans le rire de ses enfants, les parfums de ses plantes et l'envol de ses pigeons. Une ville qui a tant donne sur le plan culturel durant sa longue histoire. La première ville a avoir enfante une «école des beaux-arts» laquelle a été la seule a donner vie a une "école de peinture" connue a travers le monde et dont une des antennes les plus représentatives est celle de Ben Yessef a Séville.

De pareilles institutions ne se créent pas par un simple groupement d'étudiants et d'enseignants et la fourniture de matériaux de travail. Elles sont le produit d'un dévouement collectif a la cause de l'art en tant que motivation primordiale a un épanouissement ou la quête de l'absolu devient un objectif artistique. Cette démarche est une des caractéristiques des artistes de l'école de Tetouan.
J'ai toujours été admiratif de ce que cette école a pu produire avec des moyens bien réduits mais avec une détermination de former des amoureux de l'art - un art qui est a la fois communication et compassion. Une école que Sa Majesté Mohamed V, que Dieu bénisse son âme, visita en 1957 pour marquer l'importance de l'esthétique dans la vie d'un pays.

L'Ecole des Beaux Arts de Tetouan peut s'enorgueillir d'un Ben Yessef comme ce dernier peut être fier d'être passe pas ses bancs. Les deux sont indissociables dans mon esprit et je tiens a rendre un hommage, celui d'un admirateur, a cette grande institution et a tous ceux qui ont contribue a son éclat. Je saisis ainsi cette occasion pour témoigner de tout ce que Si Mekki Meghara, un des piliers et des fondateurs de cette école, m'a apporte comme éclaircissements - a travers ses paroles comme a travers les phrases percutantes de ses tableaux qui m'accompagnent dans ma vie quotidienne depuis plus de vingt ans.

Ahmed Ben Yessef ne m'aurait pas pardonne si j'avais omis de me référer a Mekki Meghara ou a Saad Cheffaj - deux de ses compagnons de la premiere heure. Une pensee s'impose egalement a la memoire de Bertuchi, fondateur de l'ecole et Mohamed Serghini, qui en fut le premier directeur marocain, il s'agit d'une école de la mémoire et de la solidarité dans l'art et pour l'art.

Ben Yessef dérange pour deux principales raisons. La première est qu'il est difficile sinon impossible de l'identifier a une école de peinture déterminée ou lui accoler un style quelconque car il a pratique tous les genres afin de maîtriser l'expression artistique dans sa diversité et préserver sa liberté créatrice. La seconde raison pour laquelle il dérange est également liée a la liberté mais cette fois-ci en tant que finalité. C'est un peintre qui trouve la liberté dans la peinture qui devient a son tour source de liberté. D'où sa passion des grandes causes. Un très sérieux critique d'art, Khalil M'rabet, resume cela en ces termes,
«Emporte par son émotivité, il s'implique et prend position pour la lutte des peuples, contre la répression, le racisme et sous-développement, pour une paix juste et durable sur la terre...»
L'ayant fréquente non seulement dans les galeries d'art mais également dans les salles de colloques nationaux et internationaux, je puis confirmer cette appréciation sans aucune hésitation. L'engagement a toujours accompagne les grands créateurs. Andre Malraux disait que l'objectif de l'art était d'«ouvrir les yeux du peuple a la beauté comme aux liens entre l'art et la liberté». Je pense que Si Ahmed Ben Yessef s'est acquitté de cette tache fort honorablement. Il s'est même permis le luxe d'y ajouter un ingredient essentiel - l'humour.

Un humour qui est implicite dans l'ensemble de son oeuvre car quand on aime la liberté, on prend la liberté de ne pas se prendre au sérieux. Son humour devient plus qu'explicite lorsqu'il intitule des tableaux : «sourire», «rire» ... Cela ne fait que donner plus d'envergure a son double engagement : celui de l'art et celui de son attachement aux grandes valeurs de l'humanité. Ce double engagement se réduit a un seul lorsqu'il y a amour du beau. Telle est la symbiose qui se dégage de l'oeuvre de Si Ahmed Ben Yessef si on est assez subjectif pour l'apprécier objectivement.

Une oeuvre destinée a la communication entre l'artiste et son public se dispense fort bien d'analyses telles que celle que vous venez de parcourir. Interviewez une seule de ses toiles et elle vous dira des choses cent fois plus pertinentes sur ce militant de l'esthétique dont l'engagement pour les grandes causes est en soi une oeuvre d'art. Le talent de Ben Yessef est grave dans la mémoire des milliers de visiteurs des 75 expositions qu'il a organisées a travers le monde au cours des 33 dernières années.

Laissons a Si Ahmed le mot de la fin avec une phrase qui nous dit l'essentiel : «Je suis venu dans ce monde deja peintre, et s'il plaît a Dieu, je le quitterai toujours peintre.» («Ben Yessef par Ben Yessef" dans "Ben Yessef», p. 58, Velazquez et Nadar, Séville , 1995). C'est cela l'esthète engagé.
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