Tonalité russe pour la vingt-cinquième édition du Salon du livre de Paris, qui se déroulait du 18 au 23 mars. Ce qui a conféré à cette opération, la plus grande manifestation culturelle européenne accessible au public, un dynamisme singulier. Si la littérature russe contemporaine est assez mal connue, elle a remporté, ces jours derniers à Paris, un certain succès populaire. Conférences, débats, émissions de radio et de télévision : 18.000 livres (dont un quart en russe) ont été vendus sur le stand de la Russie, un immense pavillon niché symboliquement au coeur d'une forêt de bouleaux.
Et Andreï Guelassimov, un des auteurs les plus en vue pendant la manifestation, a obtenu le prix Grand public du Salon pour son roman La soif, qui relate la difficile ré-acclimatation d'un soldat revenu défiguré de Tchétchénie.
En dépit des contingences diplomatiques, un débat sur la Tchétchénie a été organisé par les éditions Autrement, La Découverte et Paris-Méditerranée en collaboration avec le Comité Tchétchénie. Il a réuni des spécialistes et des auteurs comme Zamboulat Idiev ou Soultan Iachourkaev.
Justement en visite à Paris le 18 mars, le président russe Vladimir Poutine a tenu à rencontrer un groupe d'écrivains de son pays. Mais, craignant d'éventuels altercations avec des militants des droits de l'homme ou des opposants sur les lieux du Salon du livre, Porte de Versailles, il a préféré recevoir une délégation d'écrivains à l'Elysée, en compagnie du Jacques Chirac. “ C'est un grand signe: Poutine ne veut pas arriver devant un public non filtré.
Cela lui fait peur ”, a commenté Alexandre Tcherkassov, un responsable de l'association russe de défense des droits de l'homme, Memorial. Il ne veut pas voir les éditeurs qui n'ont pas été invités par le ministère de la Culture, ni le public parisien qui a ses propres opinions sur la Russie ”, a t-il ajouté. “ Ce qui se passe en Tchétchénie est impossible à imaginer, il faut le voir, a souligné pour sa part l'écrivain tchétchène Sultan Iachourkaiev, réfugié à Bruxelles depuis 2000. Il faut écrire pour ne pas oublier. Le destin de notre peuple, c'est une tragédie. On n'a pas le droit de ne pas l'écrire. ” Avec d'autres, il a participé à la publication d'un recueil, Des nouvelles de Tchétchénie, paru chez Paris-Méditerranée.
De son côté, le stand marocain a tenu à assurer une représentation conséquente de ses auteurs et de ses maisons d'édition. S'étaient déplacés des écrivains comme Zakya Daoud (Travailleurs marocains en France, Abdelkrim, le héros du Rif), Abdellatif Laâbi (Fragment d'une genèse oubliée, Comment Nassima a mangé sa première tomate), Abdelaziz Mourid (On affame bien les rats), Mohamed Serghini (Fès de la plus haute cime des ruses), Zakia Zouanat (Dans le jardin de Hawaa) et Mohamed Berrada (Le Jeu de l'oubli, Comme un été qui ne reviendra pas).
Au programme des signatures également, Fouad Laroui (La meilleure façon d'attraper les choses) ou Rita El Khayat (Le somptueux Maroc des femmes. Outre le ministère de la Culture, les maisons d'éditions Tarik, Yomad, Post Modernité, Marsam, La Porte, Librairie nouvelle, La Croisée des chemins, Malika, Le Fennec, Nouiga et Eddif étaient représentées.
“ Ce fut un Salon de grande qualité, particulièrement agréable à fréquenter pour ceux qui sont venus ”, a résumé le président du Syndicat national de l'édition (SNE), Serge Eyrolles. Dès avant la fermeture, mercredi soir, les organisateurs déploraient pourtant une baisse sensible de la fréquentation en 2005. Quelques 165.000 visiteurs ont été recensés, contre 185.000 l'an passé (soit une baisse supérieure à 10%). Deux raisons à cela : le très beau temps enregistré le week-end dernier à Paris, et une bonne situation générale de l'édition. Rien d'alarmant donc. Pour marquer cette édition, en attendant la suivante qui sera consacrée à la littérature francophone, voici une petite sélection d'écrivains russes contemporains à retenir.
Iouri BOUÏDA
Son nom signifie “ conteur, menteur, fabulateur ”. Autant dire que la faculté d'inventer lui a été donnée dans le berceau. Iouri Bouïda se définit comme un affabulateur d'histoires. Travaillant comme rewriter dans des journaux, il n'est devenu pleinement écrivain qu'en 1991. Il est né en 1954 en Prusse orientale, un territoire proche de Kaliningrad où “ les ombres et les secrets appartenaient à un autre monde qui avait sombré dans le néant ”. Comme il n'arrivait pas à retrouver l'histoire réelle de sa région natale, successivement occupée par les Russes et les Allemands, pétrie de secrets mais amnésique, Iouri Bouïda l'a imaginée.
D'où ces nouvelles qui paraissent actuellement sous le titre La fiancée prussienne (traduites du russe par Sophie Benech). Un magnifique manège qui creuse un sillon entre la mort et l'oubli, les contes et les mémoires, recomposant les singulières destinés de “ figures ” d'une petite ville de Prusse orientale. Ces histoires, Iouri Bouïda les a portées pendant vingt ans. Leur publication a été précédées n France par deux romans Le train zéro et Yermo, biographie imaginaire d'un écrivain russe exilé en Amérique qu'on a dite inspirée de Nabokov. Mais Iouri Bouïda préfère des auteurs comme Shakespeare ou Céline, et les atmosphères mentales capables de lui faire écrire : “ Mais quelle langue faut-il pour raconter cette vérité et ne pas en mourir ? Quelle langue, hein ? Celle de cieux ? De la terre ? Une langue vivante ? Morte ? Belle comme la musique ou effroyable comme la musique ? ”.
Andreï GUELASSIMOV
Lauréat 2005 du prix du Grand public du Salon du livre de Paris pour son roman La Soif (voir Le Matin du 31 décembre), Andreï Guelassimov a fait figure de favori dans la délégation d'auteurs russes invités par la France cette année. On lui prête un côté “ occidental ”, dans ses influences littéraires en tout cas, puisqu'il se revendique grand lecteur de Hemingway, Fitzgerald, Salinger. “ Je ne me suis pas mis à l'anglais pour communiquer mais pour les lire ”, a-t-il confié au journal Libération. Né à Irkoutsk en 1965, il a grandi à Yakoutsk où il a souffert de l'absence totale de liberté intérieure et extérieure qui y régnait.
D'où, la nuit, le froid, la peur et la vodka, des éléments très présents dans ses romans. Après des études d'anglais, il est devenu professeur et s'est attelé à une thèse sur les influences orientales d'Oscar Wilde. Il n'a rejoint Moscou qu'en 1998. “ Ce n'est pas si terrible que ça de mourir... ”, déclare Octobrine Mikhaïlovna dans la nouvelle intitulée “ L'Age tendre ”. Allergique à la spiritualité russe, Andreï Guelassimov crée des personnages qui subissent ou se sacrifient. Marqués par un malheur âpre, la guerre, la misère, ils campent de doux dépressifs non exempts d'ironie amère.
Comme nombreux de ses compatriotes écrivains, Andreï Guelassimov ne vit pas de sa plume mais de scénarii pour la télévision. Le titre de son dernier recueil de nouvelles, Fox Mulder a une tête de cochon (traduit du russe par Joëlle Dublanchet), lui aurait été inspiré par un commentaire de sa fille qui regardait la série américaine X-Files à la télévision.
Fox Mulder a une tête de cochon (Actes Sud, 2005), Dina (Fayard, 2005), La Soif ( Actes Sud, 2004), Les Dieux de la steppe (Actes Sud-Cnl, 2004).
Valery ZALOTOUKHA
Travaillant pour le cinéma et la télévision, Valery Zalotoukha s'est fait connaître en France avec Le dernier communiste, satire tragi-comique d'un pays passé brutalement du communisme au libéralisme échevelé qui lui a valu d'être nominé au Booker Price en 2000. Ce roman le plaçait dans la lignée d'un des grands maîtres de la littérature russe : Nicolas Gogol. Une influence que Valery Zalotoukha prolonge dans son dernier roman traduit en fran
çais (par Catherine Guetta et Macha Zonina), Le Musulman. Il y reprend une technique de son digne prédécesseur : provoquer l'irruption d'un événement incongru dans un paysage donné pour dresser un tableau social et faire ressortir la vérité des caractères. L'événement, c'est le retour au village de Kolka Ivanov, un fils du pays porté disparu en Afghanistan depuis sept ans. Le soldat revient de la guerre musulman. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes à sa petite
société rurale natale où tout - retour, médaille, décès - se célèbre une bouteille de vodka à la main. Refus des normes en vigueur, droit à la différence, la religion musulmane sert d'étalon moral à Valery Zalotoukha pour brosser les vices du campagnard russe à l'heure où le culte du dollar a remplacé toute forme de croyance. Dans ce tableau social volontiers burlesque, l'écrivain satisfait aux mythes gogoliens jusqu'à dans ses échappées mystiques. Mais c'est dans la peinture des types, le réalisme corrosif des dialogues, la solidité de la trame narrative et du ton qu'il est le plus convaincant.
Vassili AXIONOV
C'est avec un conte philosophique et libertin que Vassili Axionov a fait parler de lui lors de la 25ème édition du Salon du livre. Lauréat du Booker Price 2004, À la Voltaire (traduit par Lily Denis) est présenté par l'auteur en sous-titre comme un roman “à l'ancienne”. Soit un récit picaresque dans lequel l'écrivain imagine le voyage qu'effectue Voltaire en Russie pour rencontrer la tsarine Catherine II. Historiquement amie des Lumières, celle-ci a subi l'influence du philosophe et a correspondu avec lui plusieurs années.
Mais leur rencontre est une fantasmagorie à laquelle Vassili Axionov se livre avec toute l'inventivité épique et langagière qui convient. S'il aborde les amours malheureuses du grand homme, la vérité sur l'affaire Calas, l'importance des pigeons voyageurs en temps de guerre, ou la question du servage en Russie, il célèbre avant tout l'idée voltairienne de la tolérance. Banni de son pays en 1981 pour avoir publié sans autorisation Almanach Métropole, Vassili Axionov vit actuellement entre Biarritz et Moscou. Né à Kazan en 1932, il a passé son enfance en Sibérie avant d'entreprendre des études de médecine à Leningrad. Son premier roman, Confrères, paru en 1960, lui a offert une gloire immédiate.
Parmi ses œuvres les plus connues : Les Oranges du Maroc et Une saga moscovite. Cet écrivain se caractérise par sa façon de renouveler totalement son “ dispositif romanesque ”, dans chaque roman. Ce qui lui vaut d'être considéré comme un des plus grands écrivains russes actuels.
À la Voltaire (Actes Sud, 2005), La Prunelle de ses yeux, (nouvelles, Fayard, 2005), Les Oranges du Maroc, (Actes Sud 2003), Une saga moscovite (Gallimard, 1997), L'Oiseau d'acier (1980).
Ludmila OULITSKAÏA
Prix Médicis en 1996 pour son Sonietchka, un bel éloge de la lecture, Ludmila Oulitskaïa entremêle, de livre en livre, les fils ténus de chaque existence avec ceux de l'Histoire. Elle n'a commencé à être publiée dans son pays qu'après la fin du communisme. Mais le Booker Prize russe attribué à son roman Le Cas du Dr Koukotski, a largement contribué à lui gagner les faveurs du grand public. Née en 1943 en Bachkirie, dans l'Oural, où ses parents avaient été évacués pendant la Guerre, Ludmila Oulitskaïa est généticienne de formation. Elle a d'abord été collaboratrice au Théâtre musical juif, puis a fait partie du collectif d'auteurs de Claustrophobia, le mythique spectacle de Lev Dodine. Elle vit aujourd'hui à Moscou, traduit de la poésie, écrit des pièces pour des théâtres de marionnettes et des scénarii de dessins animés et s'est mise récemment aux ouvrages pour la jeunesse.
Sincèrement vôtre, Chourik (Gallimard, 2005), Système corridor (Nouvelles, Fayard, 2005), Le Court-Circuit, (Actes Sud-Cnl, 2004), Un si bel amour (Gallimard, 2003)
Marina VICHNEVETSKAÏA
“ Je ne sais pas si elle écrira un jour un roman (...), mais, en tout cas, elle démontre, avec quelques autres, combien le genre de la nouvelle est encore riche d'un potentiel esthétique et éthique. ”, écrivait André Nemzer, le grand critique russe, à propos de Marina Vichnevetskaïa. Il aura suffi à cet écrivain de deux nouvelles, Y a-t-il du café après la mort ? et Les Moineaux (traduites du russe par Joëlle Dublanchet), pour imposer sa vision du monde. Une vision noire et désespérée où l'être humain atteint le plus profond de la déréliction.
Dans la première nouvelle, un homme qui a pris l'habitude de jouer la comédie de la mort à sa femme reste à terre, pendant que celle-ci s'échappe par le balcon, croyant à une énième mise en scène. Dans la deuxième, une jeune femme à laquelle on a retiré ses deux enfants, part le matin se prostituer. Pas de pathos mais une écriture de la précision pour décrire les trajets intérieurs comme l'humaine condition. Marina Vichnevetskaïa est née à Kharkov en 1955, puis elle allée à Moscou poursuivre des études de scénariste à l'Institut cinématographique. Elle a publié son premier livre La lune est sortie du brouillard, en 1999, après vingt ans dans le cinéma d'animation et le documentaire. Elle compte aujourd'hui parmi les meilleures représentantes de la nouvelle littérature russe.
Y-a-t-il du café après la mort ? (Actes Sud, 2005), L'Architecte et le sourd-muet (Fayard, 2005).
Et Andreï Guelassimov, un des auteurs les plus en vue pendant la manifestation, a obtenu le prix Grand public du Salon pour son roman La soif, qui relate la difficile ré-acclimatation d'un soldat revenu défiguré de Tchétchénie.
En dépit des contingences diplomatiques, un débat sur la Tchétchénie a été organisé par les éditions Autrement, La Découverte et Paris-Méditerranée en collaboration avec le Comité Tchétchénie. Il a réuni des spécialistes et des auteurs comme Zamboulat Idiev ou Soultan Iachourkaev.
Justement en visite à Paris le 18 mars, le président russe Vladimir Poutine a tenu à rencontrer un groupe d'écrivains de son pays. Mais, craignant d'éventuels altercations avec des militants des droits de l'homme ou des opposants sur les lieux du Salon du livre, Porte de Versailles, il a préféré recevoir une délégation d'écrivains à l'Elysée, en compagnie du Jacques Chirac. “ C'est un grand signe: Poutine ne veut pas arriver devant un public non filtré.
Cela lui fait peur ”, a commenté Alexandre Tcherkassov, un responsable de l'association russe de défense des droits de l'homme, Memorial. Il ne veut pas voir les éditeurs qui n'ont pas été invités par le ministère de la Culture, ni le public parisien qui a ses propres opinions sur la Russie ”, a t-il ajouté. “ Ce qui se passe en Tchétchénie est impossible à imaginer, il faut le voir, a souligné pour sa part l'écrivain tchétchène Sultan Iachourkaiev, réfugié à Bruxelles depuis 2000. Il faut écrire pour ne pas oublier. Le destin de notre peuple, c'est une tragédie. On n'a pas le droit de ne pas l'écrire. ” Avec d'autres, il a participé à la publication d'un recueil, Des nouvelles de Tchétchénie, paru chez Paris-Méditerranée.
De son côté, le stand marocain a tenu à assurer une représentation conséquente de ses auteurs et de ses maisons d'édition. S'étaient déplacés des écrivains comme Zakya Daoud (Travailleurs marocains en France, Abdelkrim, le héros du Rif), Abdellatif Laâbi (Fragment d'une genèse oubliée, Comment Nassima a mangé sa première tomate), Abdelaziz Mourid (On affame bien les rats), Mohamed Serghini (Fès de la plus haute cime des ruses), Zakia Zouanat (Dans le jardin de Hawaa) et Mohamed Berrada (Le Jeu de l'oubli, Comme un été qui ne reviendra pas).
Au programme des signatures également, Fouad Laroui (La meilleure façon d'attraper les choses) ou Rita El Khayat (Le somptueux Maroc des femmes. Outre le ministère de la Culture, les maisons d'éditions Tarik, Yomad, Post Modernité, Marsam, La Porte, Librairie nouvelle, La Croisée des chemins, Malika, Le Fennec, Nouiga et Eddif étaient représentées.
“ Ce fut un Salon de grande qualité, particulièrement agréable à fréquenter pour ceux qui sont venus ”, a résumé le président du Syndicat national de l'édition (SNE), Serge Eyrolles. Dès avant la fermeture, mercredi soir, les organisateurs déploraient pourtant une baisse sensible de la fréquentation en 2005. Quelques 165.000 visiteurs ont été recensés, contre 185.000 l'an passé (soit une baisse supérieure à 10%). Deux raisons à cela : le très beau temps enregistré le week-end dernier à Paris, et une bonne situation générale de l'édition. Rien d'alarmant donc. Pour marquer cette édition, en attendant la suivante qui sera consacrée à la littérature francophone, voici une petite sélection d'écrivains russes contemporains à retenir.
Iouri BOUÏDA
Son nom signifie “ conteur, menteur, fabulateur ”. Autant dire que la faculté d'inventer lui a été donnée dans le berceau. Iouri Bouïda se définit comme un affabulateur d'histoires. Travaillant comme rewriter dans des journaux, il n'est devenu pleinement écrivain qu'en 1991. Il est né en 1954 en Prusse orientale, un territoire proche de Kaliningrad où “ les ombres et les secrets appartenaient à un autre monde qui avait sombré dans le néant ”. Comme il n'arrivait pas à retrouver l'histoire réelle de sa région natale, successivement occupée par les Russes et les Allemands, pétrie de secrets mais amnésique, Iouri Bouïda l'a imaginée.
D'où ces nouvelles qui paraissent actuellement sous le titre La fiancée prussienne (traduites du russe par Sophie Benech). Un magnifique manège qui creuse un sillon entre la mort et l'oubli, les contes et les mémoires, recomposant les singulières destinés de “ figures ” d'une petite ville de Prusse orientale. Ces histoires, Iouri Bouïda les a portées pendant vingt ans. Leur publication a été précédées n France par deux romans Le train zéro et Yermo, biographie imaginaire d'un écrivain russe exilé en Amérique qu'on a dite inspirée de Nabokov. Mais Iouri Bouïda préfère des auteurs comme Shakespeare ou Céline, et les atmosphères mentales capables de lui faire écrire : “ Mais quelle langue faut-il pour raconter cette vérité et ne pas en mourir ? Quelle langue, hein ? Celle de cieux ? De la terre ? Une langue vivante ? Morte ? Belle comme la musique ou effroyable comme la musique ? ”.
La fiancée prussienne et autres nouvelles (Gallimard, 2005), Le train zéro (Gallimard, 1998), Yermo (Gallimard, 2002).
Andreï GUELASSIMOV
Lauréat 2005 du prix du Grand public du Salon du livre de Paris pour son roman La Soif (voir Le Matin du 31 décembre), Andreï Guelassimov a fait figure de favori dans la délégation d'auteurs russes invités par la France cette année. On lui prête un côté “ occidental ”, dans ses influences littéraires en tout cas, puisqu'il se revendique grand lecteur de Hemingway, Fitzgerald, Salinger. “ Je ne me suis pas mis à l'anglais pour communiquer mais pour les lire ”, a-t-il confié au journal Libération. Né à Irkoutsk en 1965, il a grandi à Yakoutsk où il a souffert de l'absence totale de liberté intérieure et extérieure qui y régnait.
D'où, la nuit, le froid, la peur et la vodka, des éléments très présents dans ses romans. Après des études d'anglais, il est devenu professeur et s'est attelé à une thèse sur les influences orientales d'Oscar Wilde. Il n'a rejoint Moscou qu'en 1998. “ Ce n'est pas si terrible que ça de mourir... ”, déclare Octobrine Mikhaïlovna dans la nouvelle intitulée “ L'Age tendre ”. Allergique à la spiritualité russe, Andreï Guelassimov crée des personnages qui subissent ou se sacrifient. Marqués par un malheur âpre, la guerre, la misère, ils campent de doux dépressifs non exempts d'ironie amère.
Comme nombreux de ses compatriotes écrivains, Andreï Guelassimov ne vit pas de sa plume mais de scénarii pour la télévision. Le titre de son dernier recueil de nouvelles, Fox Mulder a une tête de cochon (traduit du russe par Joëlle Dublanchet), lui aurait été inspiré par un commentaire de sa fille qui regardait la série américaine X-Files à la télévision.
Fox Mulder a une tête de cochon (Actes Sud, 2005), Dina (Fayard, 2005), La Soif ( Actes Sud, 2004), Les Dieux de la steppe (Actes Sud-Cnl, 2004).
Valery ZALOTOUKHA
Travaillant pour le cinéma et la télévision, Valery Zalotoukha s'est fait connaître en France avec Le dernier communiste, satire tragi-comique d'un pays passé brutalement du communisme au libéralisme échevelé qui lui a valu d'être nominé au Booker Price en 2000. Ce roman le plaçait dans la lignée d'un des grands maîtres de la littérature russe : Nicolas Gogol. Une influence que Valery Zalotoukha prolonge dans son dernier roman traduit en fran
çais (par Catherine Guetta et Macha Zonina), Le Musulman. Il y reprend une technique de son digne prédécesseur : provoquer l'irruption d'un événement incongru dans un paysage donné pour dresser un tableau social et faire ressortir la vérité des caractères. L'événement, c'est le retour au village de Kolka Ivanov, un fils du pays porté disparu en Afghanistan depuis sept ans. Le soldat revient de la guerre musulman. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes à sa petite
société rurale natale où tout - retour, médaille, décès - se célèbre une bouteille de vodka à la main. Refus des normes en vigueur, droit à la différence, la religion musulmane sert d'étalon moral à Valery Zalotoukha pour brosser les vices du campagnard russe à l'heure où le culte du dollar a remplacé toute forme de croyance. Dans ce tableau social volontiers burlesque, l'écrivain satisfait aux mythes gogoliens jusqu'à dans ses échappées mystiques. Mais c'est dans la peinture des types, le réalisme corrosif des dialogues, la solidité de la trame narrative et du ton qu'il est le plus convaincant.
Le Musulman (Actes Sud, 2005), Le dernier communiste (Actes Sud, 2002).
Vassili AXIONOV
C'est avec un conte philosophique et libertin que Vassili Axionov a fait parler de lui lors de la 25ème édition du Salon du livre. Lauréat du Booker Price 2004, À la Voltaire (traduit par Lily Denis) est présenté par l'auteur en sous-titre comme un roman “à l'ancienne”. Soit un récit picaresque dans lequel l'écrivain imagine le voyage qu'effectue Voltaire en Russie pour rencontrer la tsarine Catherine II. Historiquement amie des Lumières, celle-ci a subi l'influence du philosophe et a correspondu avec lui plusieurs années.
Mais leur rencontre est une fantasmagorie à laquelle Vassili Axionov se livre avec toute l'inventivité épique et langagière qui convient. S'il aborde les amours malheureuses du grand homme, la vérité sur l'affaire Calas, l'importance des pigeons voyageurs en temps de guerre, ou la question du servage en Russie, il célèbre avant tout l'idée voltairienne de la tolérance. Banni de son pays en 1981 pour avoir publié sans autorisation Almanach Métropole, Vassili Axionov vit actuellement entre Biarritz et Moscou. Né à Kazan en 1932, il a passé son enfance en Sibérie avant d'entreprendre des études de médecine à Leningrad. Son premier roman, Confrères, paru en 1960, lui a offert une gloire immédiate.
Parmi ses œuvres les plus connues : Les Oranges du Maroc et Une saga moscovite. Cet écrivain se caractérise par sa façon de renouveler totalement son “ dispositif romanesque ”, dans chaque roman. Ce qui lui vaut d'être considéré comme un des plus grands écrivains russes actuels.
À la Voltaire (Actes Sud, 2005), La Prunelle de ses yeux, (nouvelles, Fayard, 2005), Les Oranges du Maroc, (Actes Sud 2003), Une saga moscovite (Gallimard, 1997), L'Oiseau d'acier (1980).
Ludmila OULITSKAÏA
Prix Médicis en 1996 pour son Sonietchka, un bel éloge de la lecture, Ludmila Oulitskaïa entremêle, de livre en livre, les fils ténus de chaque existence avec ceux de l'Histoire. Elle n'a commencé à être publiée dans son pays qu'après la fin du communisme. Mais le Booker Prize russe attribué à son roman Le Cas du Dr Koukotski, a largement contribué à lui gagner les faveurs du grand public. Née en 1943 en Bachkirie, dans l'Oural, où ses parents avaient été évacués pendant la Guerre, Ludmila Oulitskaïa est généticienne de formation. Elle a d'abord été collaboratrice au Théâtre musical juif, puis a fait partie du collectif d'auteurs de Claustrophobia, le mythique spectacle de Lev Dodine. Elle vit aujourd'hui à Moscou, traduit de la poésie, écrit des pièces pour des théâtres de marionnettes et des scénarii de dessins animés et s'est mise récemment aux ouvrages pour la jeunesse.
Sincèrement vôtre, Chourik (Gallimard, 2005), Système corridor (Nouvelles, Fayard, 2005), Le Court-Circuit, (Actes Sud-Cnl, 2004), Un si bel amour (Gallimard, 2003)
Marina VICHNEVETSKAÏA
“ Je ne sais pas si elle écrira un jour un roman (...), mais, en tout cas, elle démontre, avec quelques autres, combien le genre de la nouvelle est encore riche d'un potentiel esthétique et éthique. ”, écrivait André Nemzer, le grand critique russe, à propos de Marina Vichnevetskaïa. Il aura suffi à cet écrivain de deux nouvelles, Y a-t-il du café après la mort ? et Les Moineaux (traduites du russe par Joëlle Dublanchet), pour imposer sa vision du monde. Une vision noire et désespérée où l'être humain atteint le plus profond de la déréliction.
Dans la première nouvelle, un homme qui a pris l'habitude de jouer la comédie de la mort à sa femme reste à terre, pendant que celle-ci s'échappe par le balcon, croyant à une énième mise en scène. Dans la deuxième, une jeune femme à laquelle on a retiré ses deux enfants, part le matin se prostituer. Pas de pathos mais une écriture de la précision pour décrire les trajets intérieurs comme l'humaine condition. Marina Vichnevetskaïa est née à Kharkov en 1955, puis elle allée à Moscou poursuivre des études de scénariste à l'Institut cinématographique. Elle a publié son premier livre La lune est sortie du brouillard, en 1999, après vingt ans dans le cinéma d'animation et le documentaire. Elle compte aujourd'hui parmi les meilleures représentantes de la nouvelle littérature russe.
Y-a-t-il du café après la mort ? (Actes Sud, 2005), L'Architecte et le sourd-muet (Fayard, 2005).
