Film événement en Allemagne, où il a attiré plus de cinq millions de spectateurs à sa sortie en septembre, La Chute de Oliver Hirschbiegel a suscité une polémique qui a rebondi en France en janvier. Autour d'un sujet sensible : les dernières heures de Hitler (interprété par Bruno Ganz), La Chute agglomère une série de questions relatives tant à l'histoire qu'au cinéma. Comment présenter Hitler ? Quel visage lui donner ? Comment montrer le système nazi derrière le portrait du dictateur ? Qu'est-ce que La Chute dit du regard porté sur le passé de l'Allemagne et qu'est-ce que la réception de ce film dit de la relation des Allemands à leur passé ?
“ Avons-nous le droit de faire le portrait d'un homme responsable de la mort de 40 millions de personnes ? ”, s'est demandé le quotidien berlinois Tagesspiegel à la sortie du film. La question centrale étant : La Chute ne montre t-elle pas Hitler sous un visage “ trop ” humain ? Selon un sondage paru dans le magazine Stern, 69% des Allemands ont approuvé le fait que le film montre Hitler sous un jour aussi humain, et 26% ont désapprouvé.
L'ancien chancelier allemand Helmut Kohl a estimé que “ ce film devait être tourné ”, en espérant qu'il serait “ vu par le plus grand nombre possible de gens ”. Le réalisateur Oliver Hirschbiegel a soutenu, pour sa part, qu'il y avait un plus grand danger à conserver de Hitler l'image irréelle d'un monstre, qu'à le restituer dans ses traits d'homme. “ C'est une insulte aux victimes de prétendre qu'il n'était pas un être humain (...) Il a su exactement ce qu'il faisait à chaque moment de sa vie, et, avec lui, tous ceux qui le suivaient (...) Si vous le trouvez sympathique, c'est que vous n'écoutez pas ”.
Oliver Hirschbiegel montre le dictateur à l'intérieur de son bunker assiégé et l'observe dans des scènes de la vie quotidienne, courtois avec ses secrétaires, échangeant un baise avec Eva Braun, ou signant l'arrêt de mort de centaines de milliers de civils en refusant de capituler. “ Quand on voit Hitler dans ce film, on veut l'approcher, on veut le comprendre (mais) il ne faut pas s'amuser à comprendre ces gens-là. Les crimes commis par cet homme excèdent toutes les raisons qu'on peut en donner ”, s'est exaspéré Claude Lanzmann, réalisateur du célèbre Shoah. La Chute se base essentiellement sur deux témoignages écrits : celui, lucide et critique, de la secrétaire de Hitler, Traudl Junge, qui était très jeune à l'époque.
Et celui d'un journaliste historien, Joachim Fest, qui a écrit un fresque et un essai politique sur la chute du Troisième Reich. En s'appuyant sur ces documents, le film vise la précision et prétend à une certaine objectivité. “ Si ce film a une valeur, c'est qu'il ne porte pas de jugement de valeur ”, a revendiqué Bernd Eichinger, son producteur. C'est peut-être là que le bât blesse : en France, le réalisateur Wim Wenders s'est précisément insurgé contre le manque de regard de Oliver Hirschbiegel. Son absence de “ vision, d'opinion ”, contribuant, selon lui, à “ édulcorer ” la réalité.
Un intérêt documentaire ?
L'objectivité “ s'opère en limitant la perspective à la vie intérieure du milieu nazi, a expliqué Peter Shoettler, historien spécialiste du troisième Reich, au journal Libération. Le film reproduit les tabous, notamment linguistiques et idéologiques, qui régnaient au sein même du bunker. Mais il ne parle pas de la Shoah, des persécutions politiques, il fait comme s'il s'agissait d'une guerre normale. Un des problèmes de ce film, c'est qu'il ne permet pas de comprendre la haine antisémite de Hitler, ou de son entourage qui était tout aussi antisémite, et qu'il va même plus loin en suggérant que Hitler aurait, à la fin, porté la même haine au peuple allemand.
Je crois que c'est l'un des aspects les plus dangereux du film. ” Même écho dans Le Parisien d'un autre historien, Jean-Pierre Azéma : “ Tous ceux qui estiment qu'on n'en a jamais fait assez sur ce sujet, compte tenu de la spécificité mortifère du nazisme, vont rester sur leur faim et dénoncer, sinon les lacunes du film, du moins la démarche du cinéaste ”.
“ C'est un film, un spectacle, avec parfois des raccourcis, des lourdeurs. Y trouve-t-on pour autant Hitler sympathique ?, s'est demandé Maurice Ulrich dans L'Humanité. Il faudrait y mettre beaucoup de bonne volonté.
Car même si le film n'a pas de positionnement - ce qui reste à démontrer -, les spectateurs, eux, ne sont pas dans l'incertitude. (...) Et ce qui nous est proposé là, avec les moyens du cinéma (...), c'est bien un regard sur l'agonie d'un régime criminel et de ceux qui le dirigèrent, une réflexion sur les dernières heures de “ la bête immonde ” ”. Critique au Figaro, Marie-Noëlle Tranchant a trouvé que Bruno Ganz campait “ un Hitler étonnamment crédible dans son incohérence, tantôt lucide et tantôt délirant, plus complexe que le Goebbels monolithique d'Ulrich Matthes. ” Selon Gérard Delorme dans le magazine de cinéma Première, “ le plus grand reproche vient de ce que le film ne montre pas : la mort d'Hitler est suggérée comme si le réalisateur avait respecté la volonté du dictateur de ne pas offrir son corps en spectacle ”. Pour le journaliste Jacques Mandelbaum du Monde, La Chute pourrait au contraire répondre à la volonté de représenter ce mystère : “ la mort des bourreaux qui ont échappé au procès de l'Histoire ”. D'après lui, le problème majeur soulevé par le film se situe dans la place dérisoire qu'il attribue à Traudl Junge dans sa dramaturgie.
La secrétaire de Hitler se trouvant réduite à une “ astuce scénaristique permettant à l'auteur de régler, à bon compte, la question de la responsabilité civile. ”
Du point de vue cinématographique, Les Cahiers du cinéma ont conclu à une “ succession de tableaux où absolument rien n'advient (…) où l'exécution d'un programme d'illustration des inévitables facettes de la fin du IIIe Reich aurait pu être scénarisée par un ordinateur robot programmé avec des scènes de films de guerre américains de troisième catégorie. ” “ Racoleur et bruyant ” a tranché ce magazine spécialisé. Tous n'ont pas été de cet avis : Télérama a salué le réalisme du film, qui fait à la fois “ sa force et sa limite ”. “ Car son souci de véracité historique l'entrave sans doute ”, a nuancé l'hebdomadaire qui a pourtant trouvé le film “ juste et concret ”. Paris Match a quant, à lui, applaudi sa dimension documentaire, “ grâce à l'extraordinaire performance de Bruno Ganz. (...) D'une durée de deux heures trente, ce film continue longtemps à hanter le spectateur comme un spectre dont, dorénavant, on discerne les traits ”. A voir donc l'œil critique et averti.
A moins de préférer revoir la pastiche magistrale de Hitler par Charlie Chaplin dans Le Dictateur, réalisé en 39-40.
La Chute (Der Untergang), film allemand de Oliver Hirschbiegel, avec Bruno Ganz, Juliane Kohler, Alexandra Maria Lara. Sortie en France : 5 janvier. Sortie au Maroc : 20 avril. Durée : 2h30.
“ Avons-nous le droit de faire le portrait d'un homme responsable de la mort de 40 millions de personnes ? ”, s'est demandé le quotidien berlinois Tagesspiegel à la sortie du film. La question centrale étant : La Chute ne montre t-elle pas Hitler sous un visage “ trop ” humain ? Selon un sondage paru dans le magazine Stern, 69% des Allemands ont approuvé le fait que le film montre Hitler sous un jour aussi humain, et 26% ont désapprouvé.
L'ancien chancelier allemand Helmut Kohl a estimé que “ ce film devait être tourné ”, en espérant qu'il serait “ vu par le plus grand nombre possible de gens ”. Le réalisateur Oliver Hirschbiegel a soutenu, pour sa part, qu'il y avait un plus grand danger à conserver de Hitler l'image irréelle d'un monstre, qu'à le restituer dans ses traits d'homme. “ C'est une insulte aux victimes de prétendre qu'il n'était pas un être humain (...) Il a su exactement ce qu'il faisait à chaque moment de sa vie, et, avec lui, tous ceux qui le suivaient (...) Si vous le trouvez sympathique, c'est que vous n'écoutez pas ”.
Oliver Hirschbiegel montre le dictateur à l'intérieur de son bunker assiégé et l'observe dans des scènes de la vie quotidienne, courtois avec ses secrétaires, échangeant un baise avec Eva Braun, ou signant l'arrêt de mort de centaines de milliers de civils en refusant de capituler. “ Quand on voit Hitler dans ce film, on veut l'approcher, on veut le comprendre (mais) il ne faut pas s'amuser à comprendre ces gens-là. Les crimes commis par cet homme excèdent toutes les raisons qu'on peut en donner ”, s'est exaspéré Claude Lanzmann, réalisateur du célèbre Shoah. La Chute se base essentiellement sur deux témoignages écrits : celui, lucide et critique, de la secrétaire de Hitler, Traudl Junge, qui était très jeune à l'époque.
Et celui d'un journaliste historien, Joachim Fest, qui a écrit un fresque et un essai politique sur la chute du Troisième Reich. En s'appuyant sur ces documents, le film vise la précision et prétend à une certaine objectivité. “ Si ce film a une valeur, c'est qu'il ne porte pas de jugement de valeur ”, a revendiqué Bernd Eichinger, son producteur. C'est peut-être là que le bât blesse : en France, le réalisateur Wim Wenders s'est précisément insurgé contre le manque de regard de Oliver Hirschbiegel. Son absence de “ vision, d'opinion ”, contribuant, selon lui, à “ édulcorer ” la réalité.
Un intérêt documentaire ?
L'objectivité “ s'opère en limitant la perspective à la vie intérieure du milieu nazi, a expliqué Peter Shoettler, historien spécialiste du troisième Reich, au journal Libération. Le film reproduit les tabous, notamment linguistiques et idéologiques, qui régnaient au sein même du bunker. Mais il ne parle pas de la Shoah, des persécutions politiques, il fait comme s'il s'agissait d'une guerre normale. Un des problèmes de ce film, c'est qu'il ne permet pas de comprendre la haine antisémite de Hitler, ou de son entourage qui était tout aussi antisémite, et qu'il va même plus loin en suggérant que Hitler aurait, à la fin, porté la même haine au peuple allemand.
Je crois que c'est l'un des aspects les plus dangereux du film. ” Même écho dans Le Parisien d'un autre historien, Jean-Pierre Azéma : “ Tous ceux qui estiment qu'on n'en a jamais fait assez sur ce sujet, compte tenu de la spécificité mortifère du nazisme, vont rester sur leur faim et dénoncer, sinon les lacunes du film, du moins la démarche du cinéaste ”.
“ C'est un film, un spectacle, avec parfois des raccourcis, des lourdeurs. Y trouve-t-on pour autant Hitler sympathique ?, s'est demandé Maurice Ulrich dans L'Humanité. Il faudrait y mettre beaucoup de bonne volonté.
Car même si le film n'a pas de positionnement - ce qui reste à démontrer -, les spectateurs, eux, ne sont pas dans l'incertitude. (...) Et ce qui nous est proposé là, avec les moyens du cinéma (...), c'est bien un regard sur l'agonie d'un régime criminel et de ceux qui le dirigèrent, une réflexion sur les dernières heures de “ la bête immonde ” ”. Critique au Figaro, Marie-Noëlle Tranchant a trouvé que Bruno Ganz campait “ un Hitler étonnamment crédible dans son incohérence, tantôt lucide et tantôt délirant, plus complexe que le Goebbels monolithique d'Ulrich Matthes. ” Selon Gérard Delorme dans le magazine de cinéma Première, “ le plus grand reproche vient de ce que le film ne montre pas : la mort d'Hitler est suggérée comme si le réalisateur avait respecté la volonté du dictateur de ne pas offrir son corps en spectacle ”. Pour le journaliste Jacques Mandelbaum du Monde, La Chute pourrait au contraire répondre à la volonté de représenter ce mystère : “ la mort des bourreaux qui ont échappé au procès de l'Histoire ”. D'après lui, le problème majeur soulevé par le film se situe dans la place dérisoire qu'il attribue à Traudl Junge dans sa dramaturgie.
La secrétaire de Hitler se trouvant réduite à une “ astuce scénaristique permettant à l'auteur de régler, à bon compte, la question de la responsabilité civile. ”
Du point de vue cinématographique, Les Cahiers du cinéma ont conclu à une “ succession de tableaux où absolument rien n'advient (…) où l'exécution d'un programme d'illustration des inévitables facettes de la fin du IIIe Reich aurait pu être scénarisée par un ordinateur robot programmé avec des scènes de films de guerre américains de troisième catégorie. ” “ Racoleur et bruyant ” a tranché ce magazine spécialisé. Tous n'ont pas été de cet avis : Télérama a salué le réalisme du film, qui fait à la fois “ sa force et sa limite ”. “ Car son souci de véracité historique l'entrave sans doute ”, a nuancé l'hebdomadaire qui a pourtant trouvé le film “ juste et concret ”. Paris Match a quant, à lui, applaudi sa dimension documentaire, “ grâce à l'extraordinaire performance de Bruno Ganz. (...) D'une durée de deux heures trente, ce film continue longtemps à hanter le spectateur comme un spectre dont, dorénavant, on discerne les traits ”. A voir donc l'œil critique et averti.
A moins de préférer revoir la pastiche magistrale de Hitler par Charlie Chaplin dans Le Dictateur, réalisé en 39-40.
La Chute (Der Untergang), film allemand de Oliver Hirschbiegel, avec Bruno Ganz, Juliane Kohler, Alexandra Maria Lara. Sortie en France : 5 janvier. Sortie au Maroc : 20 avril. Durée : 2h30.
