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«Kiffe kiffe demain» de Faïza Guène : Banlieue rose

Vent d'optimisme sur la banlieue : après les militantes des mouvements SOS racisme et Ni putes ni soumises, on l'attendait encore, en France, la nouvelle icône estampillée «femme artiste des cités» qui conjuguerait en mots choisis leurs quotidiens à elles

«Kiffe kiffe demain» de Faïza Guène : Banlieue rose
Il n'était pas sur les étales des libraires que déjà, la jeune beurette-écrivain-des-quartiers faisait parler d'elle. Forcément, c'est une aubaine à l'heure où les « cités qui flambent » se disputent le terrain avec la « discrimination positive ».

Coupables d'avoir stigmatisé la banlieue, les médias n'ont jamais été aussi gourmands de contres modèles. Répondre à une crise de représentativité ? Trouver des Zidane et des Jamel Debbouze au féminin ? Vanter des exemples de réussite à faire mentir tous ceux qui pensent que les quartiers sensibles ne produisent que des voyous ? Devant ce déferlement d'appétences «politiquement correctes », on peut avoir quelques réserves, craindre la récupération, le sur-cottage, l'enthousiasme complaisant et intéressé.

Mais si Faïza Guène n'est tout de même pas la « Sagan des cités » qu'en a fait Le Nouvel Observateur, Kiffe kiffe demain recèle suffisamment d'insolence, d'esprit critique et de sens de la répartie pour lever une bonne part des préjugés positifs et négatifs qui le devançaient.

Le petit phénomène - qui vient de terminer un moyen-métrage - a fait œuvre de création : Faïza Guène ne relate pas sa vie à elle à Pantin, même si elle reconnaît s'en être inspirée, mais les quinze ans de Doria.

Soit une jeune fille de Livry-Gargan (93) qui, nulle à l'école, attend son orientation en CAP coiffure entre sa mère, sa télévision, la supérette du coin et le défilé d'assistantes sociales et de « psys » en tous genres qui se succèdent dans sa petite sphère.
Age ou raison, dans le privé, Doria est plutôt du genre emportée. Pas contre sa mère, qu'elle adore, mais contre l'employeur de sa mère, un vague directeur d'hôtel Formule 1 qui exploite sans vergogne ses employées immigrées.

Contre son père, « le barbu », qui, à sa retraite, est reparti au Maroc comme on prend un taxi, pour trouver une nouvelle épouse, « sûrement plus jeune et plus féconde que ma mère », susceptible de lui donner le fils qu'il n'a pas eu.
Contre le Proviseur de son collège, qui « doit faire partie de ces gens qui croient que l'illettrisme, c'est comme le sida.

Ca n'existe qu'en Afrique. » Et même contre l'assistante sociale dont « on dirait qu'elle a besoin d'être heureuse à la place des autres». Hormis sa mère, toujours l'objet de tendresses, tout le monde en prend pour son grade. Même Hamoudi, le copain de vingt-huit ans qui squatte le hall de son immeuble et lui sert de grand frère en citant (mal) Rimbaud à travers ses dents abîmées de fumeur de shit.

Même Nabil, le petit prodige de la voisine qui l'aide à faire ses devoirs sur le respect ou le droit de vote mais lui vole son premier baiser. Même sa psychologue, qui assène des proverbes chinois édifiants mais sent le Parapoux. Et même elle-même, Doria, qui n'aime pas qu'on la juge mais passe son temps à juger les autres.

La roue de l'infortune

Son problème principal ? Doria n'aime pas sa réalité. Elle rêverait d'un « truc glamour » mais ce qui se dessine, c'est plutôt « kif-kif demain ». Toujours pareil : être traitée comme une assistée et soumise aux « inchallah » - ce joker des mères - tout en étant consciente que son copain Hamoudi change de voiture comme de chemise, que le jeune Youssef a viré fondamentaliste en prison et que la Samra du onzième étage a fugué pour maltraitances. Alors Doria se fait son cinéma depuis son poste de télévision et critique le monde en déshabillant les stars et les émissions du petit écran. Mais en briquant la gazinière avant que l'assistante sociale n'arrive, elle rêve de partir au festival de Cannes présenter un film qu'elle aurait réalisé, et pense à ces filles du quartier qui ont fui leur père ou frère dictateur pour épouser un amoureux «toubab » ou embrasser une carrière d'actrice à la Comédie française.

Même si elles vivent seules et n'ont plus de contact avec leurs familles, quelque part, « elles ont gagné ». Sa victoire à Doria, ce ne serait pas de partir, car sa mère est tout sauf oppressante. Mais de kiffer demain : voire sa mère suivre des cours d'alphabétisation et trouver un autre emploi, sa psy lui donner congé, Hamoudi tomber amoureux, et le CAP de coiffure lui ouvrir les voies de l'élection présidentielle. En bref, voir quelque chose se profiler : «L'avenir ça nous inquiète mais ça ne devrait pas, parce que si ça se trouve, on en a même pas ».

Kiffe kiffe demain dynamise le regard sur la banlieue. On est loin du cocktail explosif violences-misères « vu à la télé », et bien plus proche des âpretés du quotidien des familles, des services d'aide, des vies sans vacances. Si Faïza Guène n'a pas la plume de Sagan, elle déniche de bonnes formules, soutient un rythme vivace, et exploite l'humour, sa meilleure arme, pour passer au crible un univers trop souvent pris entre clichés, commisération et positivisme outrancier. Ou l'esprit critique comme premier gage de libération, voire de liberté.


Kiffe kiffe demain, Faïza Guène, Hachette littérature, 194 pp.
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