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«La vocation touristique de notre pays nous incite à aménager le littoral en évitant les erreurs de nos voisins du Nord»

Le Maroc n'a toujours pas de texte spécifique régissant les zones sensibles.
Le pays est même en retard par rapport à la Tunisie qui dispose d'une agence de protection et d'aménagement du littoral. Entretien avec Youssef Slaoui, coordonateur du projet

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Le Matin : Aujourd'hui, les côtes marocaines sont menacées par la pollution et les projets immobiliers. Quel est l'état actuel de la protection du littoral et des zones humides ?

Youssef Slaoui : Les zones côtières (ZC) marocaines sont aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises en matière d'aménagement urbain et touristique et sa gestion doit faire l'objet d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics. La vocation touristique de notre pays doit nous inciter à aménager le littoral en évitant de commettre les erreurs de certains de nos voisins du Nord chez qui des centaines de kilomètres de côtes ont été bétonnées depuis les années 60 en détruisant toutes les zones naturelles côtières. Il en est de même pour les zones humides (ZH) dont les fonctions écologiques et biologiques sont souvent sacrifiées au profit d'une urbanisation effrénée et non réfléchie.

Selon vous, le littoral et les zones humides doivent être protégées différemment par rapport aux autres milieux naturels. Pourquoi ?

Les zones côtières et humides de notre pays sont en danger. Nous n'avons pas au Maroc de texte spécifique régissant ces zones sensibles, comme certains pays européens où coexistent une loi sur le littoral et une stratégie nationale pour la sauvegarde de ces régions fragiles.

Nous sommes même en retard par rapport à un pays comme la Tunisie qui dispose d'une agence de protection et d'aménagement du littoral.
Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe rien : beaucoup de chantiers sont ouverts et depuis longtemps comme la signature par le Maroc de la Convention Ramsar pour la protection des zones humides depuis 1971 ! De même, un projet de loi sur les aires protégées développé par le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification (HCEFLCD) est actuellement à l'étude au Secrétariat général du gouvernement, et le ministère de l'Aménagement du Territoire de l'Eau et de l'Environnement (MATEE) étudie actuellement un projet de loi sur le littoral.

Mais les délais d'adoption d'une loi dans notre pays sont très longs, même si ces textes sont adoptés au Parlement, encore faut-il attendre les décrets d'application et rester vigilants quant au respect de cette loi sur le terrain.

En effet, les ZC et les ZH concernent plusieurs départements ministériels comme le Tourisme (aménagements), l'Equipement (routes et ports), les Pêches Maritimes, l'Intérieur et beaucoup d'autres qu'il s'agit de mettre d'accord sur un texte qui souvent est considéré comme strictement restrictif, voire comme une entrave au développement (touristique par exemple)

La communauté internationale s'est engagée à travers la Convention de RAMSAR à protéger les zones humides. Quelles sont les fonctions de ces territoires ?

La communauté internationale a depuis longtemps pris conscience de l'importance et de la fragilité de ces zones et s'attache depuis au moins 1971 à encourager les pays signataires à adopter des textes de lois les protégeant et les régissant.
Aujourd'hui au Maroc, nous avons plus de vingt sites classés dans la liste de RAMSAR, c'est-à-dire répondant à certains critères de richesse en biodiversité que le Maroc s'engage en vertu de cet accord à préserver.

L'inscription sur cette liste nous donne le droit à l'accès à certaines sources de financement mais il est évident que si nous ne remplissons pas nos obligations, nous ne sommes pas à l'abri d'une déclassification.

Les fonctions des ZH sont multiples et primordiales parmi lesquelles je voudrais citer :

- la fonction de réservoir génétique : là où il y a de l'eau se développe la vie et la diversité biologique qui alimente ensuite toute la région : les lagunes, les marécages représentent autant de maillons de la chaîne de vie qui assure le maintien de processus aussi vitaux que celui de l'eau par exemple,
- la fonction de lutte contre la désertification qui est un fléau dans notre pays, surtout aujourd'hui avec le phénomène des changements climatiques,
- la fonction de remparts contre les catastrophes naturelles comme les inondations par exemple,
- la fonction récréative qui prend chez nous de plus en plus d'importance avec le développement du niveau de vie et des loisirs : quoi de plus agréable et de reposant qu'une promenade le dimanche autour d'un lac ?

Vous dites qu'il faut faire attention quand il s'agit de construire sur les embouchures des fleuves et les zones humides. Quels sont les risques encourus par les promoteurs immobiliers ?

Remblayer une zone humide et l'aménager en zone urbaine n'est pas sans risques : nous savons bien aujourd'hui par des exemples désolants que tôt ou tard la nature reprend ses droits (Mohammedia, Ourika) et il s'ensuit des catastrophes humaines sans parler des coûts de réparation.

Il faut donc absolument et pour toutes ces raisons protéger définitivement les ZH contre les constructions, ce qui ne veut pas dire ne pas les utiliser : rien n'empêche de développer un pôle urbain aux abords d'une zone humide, à condition de prendre toutes les mesures nécessaires à sa protection en termes d'assainissement et d'interdiction de construire ainsi qu'en termes de capacité de charge : nous avons longtemps pensé que les mers et les océans avaient une capacité illimitée d'absorption de nos rejets domestiques et voyez où nous en sommes aujourd'hui.

La lagune de Nador qui est la plus grande lagune de tout le pourtour méditerranéen est dans un tel état qu'elle risque à terme de poser des problèmes de santé publique : le développement rapide de l'agglomération de Nador sans système d'épuration efficace menace cette lagune et les populations qui en vivent.

Vous êtes le coordonnateur du programme MedWestcoast au Maroc et vous menez des expériences pilotes en matière de protection des zones humides. De quoi s'agit-il exactement ?

Le projet MedWetCoast est un projet mis en œuvre par le MATEE et le HCEFLCD depuis 1999. Il a pour ambition la conservation des écosystèmes côtiers et les zones humides des pays méditerranéens. Il est cofinancé par des bailleurs de fonds internationaux sous l'égide du PNUD et de l'AFD au Maroc et couvre en même temps six pays méditerranéens : outre le Maroc, on y trouve la Tunisie, l'Egypte, le Liban, les Territoires Palestiniens et l'Albanie.

Il a trois objectifs principaux :
- promouvoir des politiques nationales pour lutter contre la dégradation de la biodiversité dans ces zones,
- réaliser des actions urgentes de conservation de la biodiversité et d'élimination des causes et menaces sur cinq sites pilotes choisis en méditerranée,
- contribuer à la mise en œuvre d'une politique méditerranéenne de protection et de gestion durable des zones côtières et humides par échange d'expériences et de savoirs entre les pays concernés.

Les cinq sites pilotes identifiés au Maroc sont des Sites d'Intérêt Biologique et Ecologique (SIBE) situés dans la région de l'Oriental : le Massif des Beni-Snassen, l'embouchure de la Moulouya, la Lagune de Nador, le Mont Gourougou et le Cap des Trois Fourches.

Des actions pilotes de protection et d'aménagement de ces sites sont actuellement mises en œuvre avec les départements concernés mais aussi avec la société civile, les autorités provinciales et les instances élues.

Nous avons pour charge de doter ces zones de plans de gestion participatifs de ces zones sensibles, en identifiant des actions de soutien aux populations dans la gestion durable de ces sites. De grands efforts de sensibilisation envers les populations locales y sont développés pour faire prendre conscience que les ressources naturelles sont rares et fragiles et qu'une exploitation effrénée accélère leur disparition rapide.

Pour ne citer qu'un exemple, l'embouchure de la Moulouya est probablement une des zones humides les plus riches en biodiversité du pays mais aussi l'un des sites balnéaires les plus en vue : le tourisme balnéaire y fait des ravages chaque été à cause de la présence sur les lieux d'un grand nombre voitures tout terrain qui endommagent les dunes et provoquent la destruction des habitats les plus fragiles.

Il ne s'agissait pas pour nous de fermer ce site : bien au contraire, nous pensons que ce site appartient à tous les Marocains et doit être mis à leur disposition, mais nous avons simplement développé des aménagements réglementant les pistes d'accès, les stationnements et les usages.

Parallèlement des actions de régénération des habitats fragiles ont été entreprises et une large sensibilisation est développée toute l'année : aujourd'hui, la plage s'étalant entre Saidia et le Cap de l'Eau est toujours aussi belle et l'arrière-pays l'est encore plus grâce à nos actions : les estivants profitent toujours de leur plage et peuvent admirer une nature riche et variée et profiter de spectacles de vols d'oiseaux d'eau parmi les plus beaux au Maroc. Il faut à tout prix doter cette zone d'un statut juridique de protection afin de pérenniser cette merveille qui est, en plus, l'un des points de passage privilégié pour les oiseaux migrateurs.

Cette protection devrait à terme aussi générer des revenus nouveaux par de nouvelles activités liées à l'écotourisme ou le développement de l'artisanat local, sans oublier le développement de gîtes ruraux : je suis sûr que les futurs propriétaires du gigantesque projet touristique développé aujourd'hui par la société espagnole FADESA seront heureux de se promener dans une zone naturelle, verdoyante et pleine d'oiseaux rares et remarquables après une bonne matinée de plage !

Quels sont vos objectifs en matière de protection du littoral marocain ?

Notre objectif est que les techniques de préservation et de gestion développées sur ces sites pilotes soient dupliquées dans les autres sites sensibles du Maroc, bénéficiant ainsi de l'expérience acquise.
Mais au-delà, nous avons l'ambition de doter notre pays d'une politique spécifique de gestion durable de ces zones sensibles. Ainsi, une Cellule du littoral a été créée au sein du MATEE depuis deux ans : elle est opérationnelle et multiplie les réunions interministérielles et les études afin de nous proposer dans les plus brefs délais une stratégie de gestion intégrée des zones côtières appuyée en cela par tout l'arsenal juridique nécessaire : une loi sur le littoral est aujourd'hui rédigée et circule auprès des autres départements concernés pour recueillir leurs avis.

Une importante journée a été organisée par cette cellule en mars 2005 pour donner naissance à un projet de stratégie qui continuera à se développer tout au long de l'année 2006.
De même, l'année 2006 sera aussi l'année où nous proposerons une stratégie nationale pour les zones humides.

Tout un travail de terrain (diagnostic) et de réflexion (réunions multisectorielles) sera développé et se conclura par une vision globale de protection et d'aménagement de ces zones sensibles, mais rien de tout cela ne pourra se faire sans l'appui actif des populationslocales et des usagers que nous invitonsvivement à adopter une réflexion en termes de développement durable de ces zones.
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