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Les discriminations en question au 11e Maghreb des livres

Les discriminations en question au 11e Maghreb des livres
Le Maghreb des livres a vu sa 11ème édition, qui célébrait la Tunisie le week-end dernier à Paris, marquée par une table ronde sur les discriminations que subissent les Français issus de l'immigration dans le monde du travail. Une question d'intérêt général, ardemment débattue par les intervenants comme par le public.

Cap sur la Tunisie pour la 11ème édition du Maghreb des livres, manifestation
organisée par l'association "Coup de soleil", qui s'est tenue les 5 et 6 février à Paris, dans les salons de l'Hôtel de Ville. « La littérature tunisienne est souvent la grande oubliée des littératures du Maghreb », annonçait, en ouverture, la première table ronde du week-end. Bien décidée, à compenser ce déséquilibre avec l'aide de Tahar Bekri, Khaled Najar et Cécile Oumhani. Le premier, poète tunisien vivant en France, a rappelé les grandes étapes de l'évolution de la littérature tunisienne contemporaine. Le second, poète également mais arabophone, traducteur et fondateur de la maison Tawbad, a précisé que près de 90 % de la littérature tunisienne actuelle était écrite en arabe. Ce qui, ajouté à l'absence d'une politique en faveur de la traduction, et aux problèmes de circulation et de diffusion du livre, explique peut-être le manque de notoriété de la production littéraire du pays. La troisième, auteur de poèmes, de romans et enseignante à l'université à Paris, a témoigné du sens que revêtait le fait d'écrire « d'ici sur là-bas ». Les frontières littéraires ne sont pas superposables aux frontières politiques, ont-ils tous assuré. Reste qu'en dehors de leurs interventions, la littérature tunisienne n'a pas vraiment réussi à faire parler d'elle pendant la manifestation. Comme souvent au Maghreb des livres, l'actualité politique et sociale a occupé le devant de la scène.
Pour preuve : l'affluence record de la dernière table ronde organisée dimanche après midi sur le thème « L'emploi des jeunes d'origine étrangère : discriminations et réussites. » Comment refonder le projet républicain français et faire qu'il tienne sa promesse d'égalité ? Quelle proportion de réussites et d'échecs chez les français issus de l'immigration, et comment interroger ces notions dans un contexte d'exception et d'exclusion ? Quelles discriminations à l'embauche ? Que penser de la discrimination positive ? Et des catégories ? Autant de points soumis par Philippe Bernard, journaliste au Monde, à de solides intervenants devant une salle partagée entre intérêt manifeste et besoin de réagir.

Refonder le projet républicain

Les différents témoignages dans le public suffisaient à faire prendre conscience de l'importance du sujet. « Halte aux catégories, a lancé un jeune français-algérien. Suis-je directeur de centre de loisirs français ou comédien algérien ? Je suis tout cela à la fois et ne suis bon qu'en mêlant toutes mes identités ». L'identité, la question incontournable dès lors qu'il s'agit de discriminations. « Le vrai problème, ce sont les inégalités scolaires, a estimé une jeune franco-algérienne étudiante en médecine. Ma chance, c'est d'avoir suivi ma scolarité dans un lycée de centre-ville. Il faut être honnête, les classes de ZEP (zone d'éducation prioritaire) ne préparent pas aux études de médecine. Comment croire à l'école de la République ? ».
Convaincues et convaincantes, les interventions individuelles venaient alimenter un débat déjà bien lancé par la tribune. Le processus d'intégration est-il en panne ? « L'intégration a lieu avec ou sans le politique, et elle continuera », a défendu avec optimisme Khadidja Bourcart, conseiller vert chargée de l'intégration à la Mairie de Paris. « Les jeunes générations doivent aujourd'hui s'intégrer dans une société qui subit une période de chômage inédite, a souligné Patrick Weil, chercheur au CNRS et spécialiste de l'immigration. Mais il faut distinguer les questions raciales des questions sociales ». Les difficultés des jeunes d'origines étrangères viendraient d'avantage de problèmes liés à leurs lieux de vie et leur scolarité. « On peut s'en sortir en mouillant un peu sa chemise », a martelé Kamal Rida, patron d'hypermarché et fondateur de l'association Les jeunes entrepreneurs du Mantois. Pas certain que cela suffise : Amirouche Laïdi milite, au sein du club Averroès, pour une meilleure visibilité des minorités dans les médias et un rééquilibrage du message les concernant. « Notre ambition, c'est de sortir de l'exception », a-t-il résumé. Même écho du côté de la journaliste Laurence Méhaignerie, co-auteur du rapport « Les oubliés de l'égalité des chances », et initiatrice de la « Charte pour la diversité » dans les entreprises : « Le problème en France, c'est que l'on croit tellement en l'égalité qu'on ne dispose pas des outils pour lutter contre les inégalités. »
Comment mesurer, quantifier, les discriminations, alors que l'indifférenciation est un principe bien ancré ? « Il ne faudrait pas remettre ce principe en cause ! », a mis en garde Patrick Weil, en rappelant qu'une catégorisation réalisée dans de bonnes intentions pouvait se transformer en dangereux fichage. Comme ce fut le cas, par exemple, pour les arabo-américains auto-déclarés comme tels, qui ont été poursuivis après le 11 septembre aux Etats-Unis. Mieux vaudrait, selon le chercheur, appliquer les lois sur l'égalité jusqu'au bout - comme celle votée en novembre 2001 permettant d'incriminer des discriminations - plutôt que de céder à cette mesure extrême consistant à « compter les gens par couleur ». D'autant qu'entre couples mixtes et doubles identités, ce « comptage » même parait absurde… « La justice suffira t-elle ? », a interrogé Laurence Méhaignerie, rappelant que la méthode des quotas est déjà effective en France, en faveur dans femmes en politique par exemple (la parité) ou de la place des handicapés au travail. « Il serait temps d'interroger l'hypocrisie de notre concept d'égalité », a ajouté Patrick Weil. Hypocrisie que la salle entière pouvait illustrer par des expériences vécues, même si elle semblait préférer les termes de « difficultés » et « inégalités » à ceux de « discriminations » et « actes racistes ».

Langue française, terre d'asile

L'autre table ronde dimanche, si elle a moins attiré les foules, n'en était pas moins intéressante, en dépit d'un intitulé peu problématisé : « L'évolution du rôle des médias dans le Maghreb contemporain ». Après avoir exprimé leur solidarité à leurs différents confrères, dont Florence Aubenas et Hussein Hanoun al-Saadi, retenus en otages en Irak, Akram-Ellyas Belkaod, journaliste algérien réfugié en France et Zyad Krichen, rédacteur en chef tunisien, se sont pourtant bien pliés à l'énoncé. Akram-Ellyas Belkaïd a expliqué que des deux menaces qui pesaient sur la presse - terroriste et étatique -, la deuxième avait pris le pas sur la première en actionnant notamment le levier juridique. Le gouvernement algérien faisant preuve d'hypocrisie en jugulant la presse indépendante tout en l'utilisant à l'étranger comme preuve de démocratie. Zyad Krichen, a, pour sa part, questionné l'idée d'une presse maghrébine, en rappelant que les pays du Maghreb s'échangent très peu leurs journaux et que les téléspectateurs regardent surtout les chaînes européennes et moyen-orientales. Il a d'ailleurs mis à mal la réputation d'Al-Jazira, la chaîne du Quatar : « C'est une école, mais la liberté y est très relative ». Tous deux ont confirmé l'arabisation des titres de presse dans leur pays ainsi que l'émergence d'une presse indépendante de qualité, en particulier dans la presse hebdomadaire marocaine. Mais pas d'intervenant marocain pour développer sur ce point, celui qui était prévu brillant par son absence.

Seul événement vraiment littéraire du week-end, en dehors des séances de signatures organisées dans la grande librairie : la remise du Prix Beur FM. C'est Yasmina Khadra, écrivain algérien installé en France, qui l'a emporté cette année pour son roman policier La part du mort (Julliard), devançant Abdelkader Djemai pour Le Nez sur la vitre (Seuil) et Zakya Daoud pour Zaynab reine de Marrakech (éditions de l'Aube). « L'apport de tous les auteurs qui ont choisi d'explorer la langue française est toujours un privilège pour une maison spécialisée en littérature française contemporaine, a commenté Bernard Barrault, l'éditeur de Yasmina Khadra venu recevoir le Prix Beur FM en l'absence de l'écrivain. Signe que la langue française est peut-être une meilleure terre d'asile que la nation qui la porte ».
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