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Pré- et protohistoire au Sahara marocain : Des gravures à l'épreuve du temps

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Ce domaine est une contrée désertique qui s'étire depuis l'embouchure du Draa au nord jusqu'à la baie de Oued Ed-Dahab (Rio de Oro) au sud. Il se compose d'un ensemble de plaines côtières et de plateaux intérieurs. La zone côtière, généralement rectiligne et de basse altitude, est séparée de la Gaada (plateau intérieur) par la plaine atlantique de Tarfaya et de Laayoune.

Cette plaine est constituée de formations continentales dont le substratum, principalement carbonaté, est riche en dépôts phosphatés. En revanche, à l'est, la région comprend les terrains cristallins anciens d'Ouled Dlim au sud, les relief appalachiens du Zemmour au nord, et la chaîne de Dlou qui est relié à l'Anti-Atlas occidental à l'ouest. (Ortlieb1983 ; Pique 1984).

Les zones riches en art pré- et protohistorique sont réparties, en majorité, autour de l'Oued Seguiet el Hamra et son réseau hydrographique, ainsi que dans la région de Oued Eddahab-Lagouira, notamment dans le désert de Tiris et dans l'Adrar Soutouf. Ces zones sont restées inexplorées depuis le départ des Espagnols en 1975.

Mais, entre la fin des années 1990 et le début de l'an 2000, nous avons décidé la reprise des travaux de prospections et d'inventaire dans cette région du Sahara atlantique marocain. En effet, deux missions ont été organisées dans la vallée de la Seguiet el Hamra et dans l'Adrar Soutouf (Oued Eddahab). Au cours de ces missions, en plus du travail de prospections, nous avons relevé, respectivement, les figurations des sites de Lumat de Asli et de Maatallah.

Nous étions tentés de redécouvrir les abris peints signalés par Nowak & Ortner (1975) dans la région d'Aousserd. Mais des problèmes liés notamment à la présence des mines (anti-personnel et anti-chars) et à la situation de ces sites près du mur de sécurité, ont amené les militaires à nous persuader de renoncer à cette aventure.

Les zones d'art rupestre du bassin de la Seguiet el Hamra et du massif de Zemmour ont livré à ce jour plus de 37 stations de gravures et de peintures. Parmi les sites majeurs de gravures, nous citons: Ras Lentareg, Puits de Mecaitab, El Farsia, El Aslein Bukart, Udei Asli Bukerch, et Lumat de Asli dans les environs de la ville de Smara (Almagro Basch 1944, 1946 ; Mateu 1948).

Les thèmes de gravures représentés ne diffèrent pas beaucoup de ceux de l'aire présaharienne. Il y a, entres autres, des gravures d'animaux sauvages, comme des rhinocéros, des éléphants, des girafes, des antilopes et des autruches ainsi que des gravures d'animaux domestiques, notamment des bovinés. En outre, il est à noter la présence de figurations représentant des formes géométriques, des anthropomorphes, des armes de jet et des inscriptions libyques.

Les styles et les techniques employés pour la réalisation de ces sujets sont presque identiques à ceux décrits précédemment dans le Présahara. En effet, la présence du trait poli dit "tazinien", l'emploi des techniques du poinçonnage et d'incision confirment ce constat. Ainsi, nous serons amenés à considérer la région nord atlantique du Sahara, surtout pour ce qui est des gravures, comme une extension naturelle et culturelle du domaine présaharien.

En revanche, les sites de peintures rupestres, dont on connaît une quinzaine seulement dans toute la zone saharienne, sont loin d'être nombreux et riches. Le Bassin de la Seguiet-el- Hamra et le massif du Zemmour ont fourni quelques abris peints. En effet, un abri situé à proximité des Puits d'el Farsia renfermerait des pétroglyphes, et des caractères de type dit libyco-berbère ou des marques de tribus peintes en couleur rouge. La station de Uad Ymal serait localisée au sud-est de la ville de Smara.

Elle se présenterait sous forme d'un abri dont le sol est creusé de cuves polies circulaires. Les peintures qui s'y trouvent seraient réalisées en teinte rouge claire pour les représentations d'anthropomorphes stylisées, et sombre pour les anthropomorphes naturalistes. Des images peintes du secteur de Tifariti furent publiés en 1998 par les soins de F. Soleilhavoup. D'après l'auteur, ses prises de vue proviennent de plusieurs abris sous roche qui ont fait l'objet d'une reconnaissance en 1995.

Les peintures seraient réalisées à l'ocre rouge et représenteraient en abondance des mains positives, souvent associées à des girafes, et d'autres animaux, sauvages ou domestiqués, ainsi que des anthropomorphes qui évoqueraient, par leur style, des sites sahariens, notamment ceux du Sahara central. Ce lien supposé auparavant avec le Sahara Central est plutôt à rechercher dans plusieurs abris peints découverts en 2001 dans la région de la ville de Tan Tan par une famille de nomades.

Ces abris sont situés de part et d'autre d'un oued asséché, à une cinquantaine de kilomètres au sud de la localité de l'M'Seied. En effet, selon les premières descriptions fournies par R. Letan (rapport interne) et par Searight et Martinet (2002), les sujets peints sont variés et probablement de styles et d'époques différentes. Les figures peintes à l'entrée et à l'intérieur, sur le plafond, se distingueraient de celles des panneaux dessinés au fond de l'abri principal. Parmi les thèmes représentés, on y trouve des chars, des archers, des anthropomorphes et des zoomorphes.

La teinte utilisée est le rouge dans la plupart des cas. Les anthropomorphes sont caractérisés par des fesses prononcées et des cuisses larges. Par ailleurs, la zone d'art rupestre de Oued Eddahab a livré une vingtaine de stations, dont d'importants abris sous-roche peints. Parmi les stations à gravures rupestres connues, on y trouve celles d'Aousserd, de Bu Lariah, de Gleibat Ensur, de Gleibat el Musdar, de Maatallah, de Lajwad et de l'Adrar Soutouf (Nowak & Ortner 1975 ; Nowak 1976).

Les thèmes gravés sont dominés par les animaux, notamment les bovidés, les antilopes et les girafes. Les formes géométriques sont également bien représentées. Les inscriptions libyques sont signalées dans cinq sites, particulièrement à Maatallah et Gleibat el Musdar. Les anthropomorphes sont présents dans les sites de Lajwad. La majorité des figurations aurait été exécuté par la technique du poinçonnage.

Pour ce qui est des stations de peintures, d'importants abris sous roche peints sont signalés sur les flancs de la montagne de Lajwad, à 40 km environ à l'est-sud-est du village d'Aousserd dans le désert de Tiris. Le premier abri, dénommé Cueva del Diablo ou Cueva del Viento, renfermerait des négatifs de mains, des zoomorphes, ainsi que des peintures abstraites de couleur rouge. Le second grand abri fut dénommé Cueva Pintada. On y trouverait des peintures en teinte rouge et noire.

Les motifs représentés seraient des quadrupèdes et des caractères de type libyque. Le troisième abri serait plus petit que les précédents. Les peintures de quadrupèdes qui y furent signalées seraient de couleur rouge, mais mal conservées. La station dite Lajwad V est formée de trois abris superposés, dénommés respectivement, du bas en haut, abri A, B, et C. L'abri inférieur (A) renfermerait des peintures bien conservées au plafond.

Elles représenteraient des girafes et des gazelles de couleur rouge et blanche. Le style serait de type naturaliste. Dans le second abri (B), les peintures seraient de différentes teintes rouges. Elles seraient moins bien conservées et représenteraient des figurations d'anthropomorphes et de zoomorphes.

En revanche, l'abri supérieur (C) serait complètement détérioré par la desquamation du support rocheux et ne présenterait donc aucune trace de peinture. La station dite Lajwad VI, serait un abri de faible hauteur qui s'ouvre dans un vallon au sud de la Cueva Pintada. Les peintures seraient mal conservées. Parmi les motifs représentés, il y aurait une dizaine d'anthropomorphes de grandes dimensions, et des inscriptions en caractères de type libyque de couleur rouge. Les trois stations de la montagne d'Eiy se trouveraient à 10 km au sud de Lajwad.

La première se présenterait sous forme d'une grotte ornée de nombreux dessins géométriques de couleur rouge et d'un cavalier. Les motifs ressembleraient à ceux de la Cueva Pintada. La deuxième serait une niche située au-dessus de la précédente. Sur la paroi figureraient des dessins fortement schématisés d'anthropomorphes et de cavaliers de couleur rouge et jaune.

La troisième est connue sous le nom de Hassi Eiy. La grotte de Dáraa El Quelba s'ouvrirait dans le versant sud d'un sommet rocheux situé à 10 km à l'ouest de Lajwad. Les peintures rupestres de couleur rouge seraient illisibles en raison de nombreuses inscriptions en caractères arabes qui leur seraient superposées. Ces graffiti sont probablement l'œuvre de nomades qui installent leurs campements autour du point d'eau d'Achguig, non loin de la grotte. La station connue sous le nom d'Abrigo del Capitán Justo est creusée dans le massif de Galb Admar, à 20 km au nord de l'Uad Adecmár, au sud-est de Lajwad.

Les motifs peints se limiteraient aux figurations d'anthropomorphes stylisés et aux caractères de type libyque de couleur rouge. Des inscriptions en caractères arabes et des marques de tribus en couleur noire seraient superposées aux peintures. La grotte de Legteitira recèlerait des peintures rupestres de petites dimensions. Les sujets peints seraient l'arrière train d'un boviné de type naturaliste et deux anthropomorphes avec attributs.

Il est loin de nous de prétendre accomplir un travail de synthèse générale sur l'art pré- et protohistorique du Maroc. C'est seulement une tentative dont le but initiale est d'exposer la situation actuelle des recherches sur cette composante du patrimoine archéologique marocain. L'historique et le nombre de publications relatives à l'étude des aires rupestres nous montrent le caractère ponctuel d'une grande partie de ces travaux et recherches.

Ceux qui se sont avérés méthodiques n'ont souvent pas eu de suite. Des facteurs comme l'immensité géographique de ces aires et leur diversité, en raison de leur répartition spatiale sur des régions bioclimatiques variées, ainsi que la qualité et la quantité de la documentation publiée n'ont permis jusqu'à ce jour aucun inventaire exhaustif ni une analyse approfondie de cet art. Seuls et d'une manière superficielle, les aspects déscriptifs ou symboliques ont été retenus.

L'étude de l'emplacement topographique des sites et leur répartition géographique a montré que les deux composantes de l'art pré- et protohistorique marocain, à savoir les gravures et les peintures rupestres, présentent une certaine complémentarité dans leur distribution spatiale.

Le rapport entre cet art et son contexte archéologique, notamment la présence des tumulus pré-islamiques dans l'environnement immédiat des stations reste à établir. Les thèmes, ils sont dominés, dans le domaine des gravures, par la faune en général, sauvage ou domestique selon les aires.

Dans celles du Bas Dra et du Dra moyen, les bovinés sont prépondérants respectivement 80 et 85% des représentations (Noubel 1995). Ces derniers statistiques établies par Noubel sont corroborés par le nombre considérable de figurations de bovinés parmi les nouvelles gravures découvertes par nos soins dans la région. La faune sauvage est plutôt dominante dans le sud du de Jbel Saghro.

Les anthropomorphes, seuls ou avec attributs (armes ou autres) sont relativement bien représentés dans plusieurs aires, notamment dans le Haut Atlas. Les signes et formes géométriques sont aussi bien représentés dans presque toutes les aires.

En revanche, dans le domaine des peintures, ce sont les motifs abstraits qui dominent et qui sont disposés, pour la plupart, selon un ordre non établi. Il s'agit surtout de pointillés et de lignes qui apparaissent dans la majorité des stations, ainsi que de formes géométriques. En dépit de leur mauvais état de conservation, quelques sujets abstraits furent identifiables.

Dans le domaine des motifs figuratifs, et abstraction faite des empreintes de mains, il semble que les dessins zoomorphes soient plus répandus que les anthropomorphes. Pour ce qui est des couleurs des dessins, les teintes rouges ou oranges sont plus abondamment présentes que les teintes blanches ou grises. En outre, les inscriptions en caractères de type libyque sont relativement bien représentées. Avant de pouvoir les dater, il serait nécessaire de procéder à une étude comparative des textes et à compléter les corpus existants.

L'état des recherches actuelles sur l'art pré- et protohistorique au Maroc exige d'entreprendre un travail qui consiste, d'abord, à établir un cadre théorique mettant en rapport cet art avec son milieu naturel et son contexte culturel. La conception de ce cadre nécessiterait évidemment le concours des autres disciplines et l'apport des données de nature extra-archéologique.

La grande répartition géographique des aires rupestres du Maroc et l'ancienneté des travaux disponibles et leur caractère sporadique n'ont pas encore permis de cerner d'une manière globale les probalématiques liées à cet art au Maroc, en dépit d'une reprise des recherches, encore à ses débuts, dans la frange méridionale de l'Anti-Atlas et dans le Moyen Atlas.

Reste à résoudre notamment la question de ses relations avec les monuments funéraires préislamiques, son cadre chronologique, les liens probables des aires rupestres atlasiques et rifaines avec le monde méditérranéen, l'apparition, le développement et la diffusion de la métallurgie et les rapports éventuels des aires rupestres pré-sahariennes et sahariennes marocaines avec le Sahara central.
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