Récusant une approche passionnelle du continent, l'historien Alain Ricard se propose de renouveler le discours africaniste. Il milite pour une nouvelle discipline, fondée sur un solide savoir et sur le dialogue avec ses intellectuels.
"Tout discours sur l'Afrique, et en particulier l'Afrique noire, ne peut-il relever que de la passion, voire de la compassion?", s'interroge Alain Ricard dans son nouveau livre qu'il a intitulé La Formule Bardey, en référence à Alfred Bardey, négociant lyonnais en soie du 19e siècle. Ce dernier est resté dans les annales pour avoir embauché un certain Arthur Rimbaud pour représenter sa maison sur les plateaux éthiopiens.
Lui-même voyageur inlassable, Bardey parcourait les contrées africaines, sans romantisme, évitant soigneusement les pièges qui conduisirent le président de la Société de géographie de Paris à lui demander s'il avait rencontré en Afrique des "hommes à queue " ! Lucide et peu enclin à courir après les mythes et les théories extravagantes qui coloraient alors la vision du continent noir, le patron du poète des Illuminations recommandait pour sa part aux voyageurs d'aborder l'inconnu avec lucidité et courage, en faisant preuve de "confiance, d'optimisme et de solidarité" à l'égard des autochtones. Formule qu'Alain Ricard fait sienne et qui anime la vingtaine d'articles que compte son nouveau livre consacré, comme le rappelle le sous-titre, aux "voyages africains ".
C'est en effet en voyageur que Ricard aborde l'Afrique, voguant à travers l'espace physique et mental d'un continent qu'il connaît bien.
En tant que spécialiste des langues et cultures africaines, a réuni dans la première partie de son ouvrage des textes évoquant quelques-unes de ses expériences africaines les plus significatives : son séjour à Ibadan dans les années 1970, l'apprentissage du rituel de graissage des pattes des douaniers, les concert-parties au Togo, l'attente déçue de la forteresse flottante de Stanley sur le lac Victoria, le recueillement obligatoire devant le monument de la paix en lisière de la ville de Tombouctou...
Ces expériences, racontées sur le mode initiatique, sont pour l'auteur l'occasion de montrer la diversité et la complexité du vécu africain, irréductible aux idées générales qui continuent de problématiser la vision occidentale de l'Afrique.
Mais complexité n'exclut pas humour, sarcasme, ironie dont sont empreints ces textes, éminemment lisibles et à mille lieux des "essais journalistiques" et autres "pesants traités" que la vie africaine semble susciter, au grand regret d'Alain Ricard. Plus sérieuse, la deuxième partie du livre invite le lecteur à rencontrer les créateurs et écrivains qui ont compté pour l'auteur et qui constituent, selon lui, une voie d'accès précieuse à la connaissance de l'Afrique.
Amos Tutuola, Felix Couchoro, Ebrahim Hussein, Zinsou, la nouvelle génération d'écrivains togolais (Kossi Effoui et Kangni Alem) et bien évidemment Wole Soyinka dont "l'œuvre propose une pensée de la liberté à travers une pratique esthétique et des textes que les concepts d'engagement ou de militantisme ne peuvent pas épuiser", écrit Ricard.
Celui-ci attire également l'attention sur l'accent que le Nobel nigérian a toujours mis sur l'histoire africaine (la traite et le colonialisme).
Il faut lire ce livre dense et lumineux qui nous donne à réfléchir sur notre manière de penser l'autre - africain, en l'occurrence - et nous propose de nouveaux repères pour refonder un africanisme bien mal en point.
La formule Bardey : voyages africains, Alain Ricard. Ed. Confluences, " Traversées de l'Afrique ", 280 pages.
"Tout discours sur l'Afrique, et en particulier l'Afrique noire, ne peut-il relever que de la passion, voire de la compassion?", s'interroge Alain Ricard dans son nouveau livre qu'il a intitulé La Formule Bardey, en référence à Alfred Bardey, négociant lyonnais en soie du 19e siècle. Ce dernier est resté dans les annales pour avoir embauché un certain Arthur Rimbaud pour représenter sa maison sur les plateaux éthiopiens.
Lui-même voyageur inlassable, Bardey parcourait les contrées africaines, sans romantisme, évitant soigneusement les pièges qui conduisirent le président de la Société de géographie de Paris à lui demander s'il avait rencontré en Afrique des "hommes à queue " ! Lucide et peu enclin à courir après les mythes et les théories extravagantes qui coloraient alors la vision du continent noir, le patron du poète des Illuminations recommandait pour sa part aux voyageurs d'aborder l'inconnu avec lucidité et courage, en faisant preuve de "confiance, d'optimisme et de solidarité" à l'égard des autochtones. Formule qu'Alain Ricard fait sienne et qui anime la vingtaine d'articles que compte son nouveau livre consacré, comme le rappelle le sous-titre, aux "voyages africains ".
C'est en effet en voyageur que Ricard aborde l'Afrique, voguant à travers l'espace physique et mental d'un continent qu'il connaît bien.
En tant que spécialiste des langues et cultures africaines, a réuni dans la première partie de son ouvrage des textes évoquant quelques-unes de ses expériences africaines les plus significatives : son séjour à Ibadan dans les années 1970, l'apprentissage du rituel de graissage des pattes des douaniers, les concert-parties au Togo, l'attente déçue de la forteresse flottante de Stanley sur le lac Victoria, le recueillement obligatoire devant le monument de la paix en lisière de la ville de Tombouctou...
Ces expériences, racontées sur le mode initiatique, sont pour l'auteur l'occasion de montrer la diversité et la complexité du vécu africain, irréductible aux idées générales qui continuent de problématiser la vision occidentale de l'Afrique.
Mais complexité n'exclut pas humour, sarcasme, ironie dont sont empreints ces textes, éminemment lisibles et à mille lieux des "essais journalistiques" et autres "pesants traités" que la vie africaine semble susciter, au grand regret d'Alain Ricard. Plus sérieuse, la deuxième partie du livre invite le lecteur à rencontrer les créateurs et écrivains qui ont compté pour l'auteur et qui constituent, selon lui, une voie d'accès précieuse à la connaissance de l'Afrique.
Amos Tutuola, Felix Couchoro, Ebrahim Hussein, Zinsou, la nouvelle génération d'écrivains togolais (Kossi Effoui et Kangni Alem) et bien évidemment Wole Soyinka dont "l'œuvre propose une pensée de la liberté à travers une pratique esthétique et des textes que les concepts d'engagement ou de militantisme ne peuvent pas épuiser", écrit Ricard.
Celui-ci attire également l'attention sur l'accent que le Nobel nigérian a toujours mis sur l'histoire africaine (la traite et le colonialisme).
Il faut lire ce livre dense et lumineux qui nous donne à réfléchir sur notre manière de penser l'autre - africain, en l'occurrence - et nous propose de nouveaux repères pour refonder un africanisme bien mal en point.
La formule Bardey : voyages africains, Alain Ricard. Ed. Confluences, " Traversées de l'Afrique ", 280 pages.
