On les connaît les écrivains fine fourchette, les Rabelais, Rostand (tartelettes amandines), Charles Perrault (galette de Peau d'Âne), Balzac (timbales de champignons à la milanaise), Roland Barthes (bifteck frites), Jean Cocteau (ballotins d'agneau), Albert Cohen (moussaka), Manuel Vasquez Montalban (gratin de crevettes et d'aubergines), Boris Vian (pâté chaud d'anguille), Pablo Neruda (congre au jus), ou les Marguerite Duras (Outside), Jean Giono (Le Serpent d'étoiles) et Emile Zola (Naïs Micoulin) avec leurs potages plus veloutés les uns que les autres...
Chaque bibliothèque recèle des trésors gourmands mâtinés de littérature, ou l'inverse. Car au pays de la création, la littérature et la cuisine font bon ménage en puisant à cette source commune : les mots. Gestes de cuisines, gestes d'écriture, le langage culinaire préfigure le poème gustatif en préparation.
D'où la tentation de coucher sur le papier le jargon du cordon-bleu, inépuisable presque, qui foisonne de vocables, noms et expressions, mystérieux, désuets, familiers, méconnus, amusants ou complètement oubliés.
Tel est le défi que se sont lancés Emmanuelle Maisonneuve, journaliste gastronomique, et Jean-Claude Renard, journaliste et écrivain, pour concocter un savoureux dictionnaire de cuisine. « Ludique, littéraire et informatif », il se partage en deux tomes où plus de sept cents entrées sont enrichies d'illustrations de Virginie Duquenoÿ et garnies d'une trentaine de recettes originales.
Ganache au chocolat et à la williamine, pizza moulée aux aubergines et à la tomme de Cantal, foie gras de canard mi-cuit parfumé au quatre-épices, nems de sardine, brochettes de sot-l'y-laisse au romarin, coulis de melon ou crème glacée à la pistache : aussi appétissantes que soient ces recettes, le plus fin se niche indéniablement dans les notices.
Bain-Marie
Pas de photos colorées et glacées figurant des publicités retouchées dans ces livres, mais des petits dessins qui aiguisent joyeusement l'appétit. Prendre d'abord le premier tome consacrés aux
« tours de main et matériels », et l'ouvrir à la lettre A comme Aromatiser, « opération laissée à l'appréciation du chef de cuisine et non du convive déjà à table ». Progresser jusqu'en B, comme Bain-Marie, « pratique douce et lente », qui, selon Alexandre Dumas, tient son nom de Marie la juive, laquelle aurait inventé ce « procédé au Ve siècle de l'ère chrétienne ».
Déambuler autour de F, comme Festonner - à ne pas confondre avec festoyer - mot tout droit sorti de l'âge d'or de la gastronomie française au XIXe siècle, et qui signifie « disposer divers ingrédient en feston, telle une guirlande ». Cheminer vers T, comme Tétonner : « terme réservé à la madeleine, quand elle est idéalement confectionnée, dont la forme en coquille présente une protubérance, tel un téton ».
Et s'arrêter pour réaliser qu'en cuisine, tout le monde tapine : « plutôt que de mariner sur le trottoir en attendant de cuisiner un client, on tapine quand on trempe un doigt ou tapote, par curiosité gourmande (ou par souci de contrôler ce qui se fait), une préparation ». Savants, les auteurs de ce dictionnaire ne lésinent pas sur le croustillant, au point d'épater les célèbres toques Michel Bras et Olivier Roellinger qui préfacent chacun un des deux ouvrages.
« Si ces livres pouvaient rendre aux mots de cuisine la noblesse qu'ils ont acquise de l'histoire, des passions ! », s'enthousiasme Michel Bras, « troublé » par les « dérives rencontrées dans l'utilisation du vocabulaire » de cuisine. A mauvais mot, recette ratée ? Le premier volume devrait permettre de prévenir un certain nombre de loupés.
Carpaccio
Pour Olivier Roellinger, la lecture du second volume, dévolu aux « préparations et ingrédients », est « une balade dans le monde merveilleux, enchanteur et rêveur de la cuisine et des cuisiniers». Car, rappelle le grand chef, dans chaque vocable de cuistot « se trouvent une histoire, une aventure, un accident, une rencontre, une émotion, une similitude, une image, une vraie culture ». Il n'y a qu'à goûter pour voir.
« Fin hachis de champignon de Paris et d'échalotes étuvés au beurre », « duxelles », expliquent Emmanuelle Maisonneuve et Jean-Claude Renard, pourrait devoir son nom « au marquis d'Uxelles qui eut le bon goût d'employer à son service François Pierre dit La Varenne (1618-1678), auteur du Cuisinier françois fort de 700 recettes, où les sauces acides, jusqu'alors très en vogue, refluent au profit des sauces grasses et des bouquets aromatiques. »
Le carpaccio, plat estival italien bien connu, aurait été créé au Harry's bar de Venise et devrait son nom à son produit central, le boeuf, dont le rouge pourpre rappelle les nuances des draperies du peintre vénitien Vittore Carpaccio.
La mousse, « met de nature insipide et grossière au XIXe siècle », se veut « légère et soufflée, mixée ou fouettée, à l'avènement de la Nouvelle Cuisine dans les années 1970», précise le dictionnaire. « Elle devient particulièrement onctueuse, aérienne et voluptueuse même, baptisée espuma selon ses origines espagnoles, sortie d'un siphon à l'orée des années 1990, sous l'impulsion de Ferran Adrià, casseroleur catalan jonglant entre science et magie au piano, physique et chimie ».
On se cultive et on salive en parcourant cette double ration de vocabulaire vivant. On apprend à savoir ce que l'on fait et avec quoi l'on fait, puis l'on joue des mots pour faire valser les saveurs, parfums, couleurs, régions et bestiaires, traditions et nouveautés, outils et manies, et bien sûr secrets de fabrication…
Un festin tel que seul un sot l'y laisserait, comme le sot (mangeur) laisse ce morceau de volaille « fin et délicat » qui, « toujours disponible en double exemplaire sur la bête, (il) se blottit au creux des os, placés au-dessus et en avant du croupion».
Mots de cuisine : Tours de main et matériels, Préparations et ingrédients, deux volumes en un coffret, par Emmanuelle Maisonneuve et Jean-Claude Renard, illustrations de Virginie Duquenoÿ, Buchet Chastel, 120 p. et 132 p., 25 euros.
Chaque bibliothèque recèle des trésors gourmands mâtinés de littérature, ou l'inverse. Car au pays de la création, la littérature et la cuisine font bon ménage en puisant à cette source commune : les mots. Gestes de cuisines, gestes d'écriture, le langage culinaire préfigure le poème gustatif en préparation.
D'où la tentation de coucher sur le papier le jargon du cordon-bleu, inépuisable presque, qui foisonne de vocables, noms et expressions, mystérieux, désuets, familiers, méconnus, amusants ou complètement oubliés.
Tel est le défi que se sont lancés Emmanuelle Maisonneuve, journaliste gastronomique, et Jean-Claude Renard, journaliste et écrivain, pour concocter un savoureux dictionnaire de cuisine. « Ludique, littéraire et informatif », il se partage en deux tomes où plus de sept cents entrées sont enrichies d'illustrations de Virginie Duquenoÿ et garnies d'une trentaine de recettes originales.
Ganache au chocolat et à la williamine, pizza moulée aux aubergines et à la tomme de Cantal, foie gras de canard mi-cuit parfumé au quatre-épices, nems de sardine, brochettes de sot-l'y-laisse au romarin, coulis de melon ou crème glacée à la pistache : aussi appétissantes que soient ces recettes, le plus fin se niche indéniablement dans les notices.
Bain-Marie
Pas de photos colorées et glacées figurant des publicités retouchées dans ces livres, mais des petits dessins qui aiguisent joyeusement l'appétit. Prendre d'abord le premier tome consacrés aux
« tours de main et matériels », et l'ouvrir à la lettre A comme Aromatiser, « opération laissée à l'appréciation du chef de cuisine et non du convive déjà à table ». Progresser jusqu'en B, comme Bain-Marie, « pratique douce et lente », qui, selon Alexandre Dumas, tient son nom de Marie la juive, laquelle aurait inventé ce « procédé au Ve siècle de l'ère chrétienne ».
Déambuler autour de F, comme Festonner - à ne pas confondre avec festoyer - mot tout droit sorti de l'âge d'or de la gastronomie française au XIXe siècle, et qui signifie « disposer divers ingrédient en feston, telle une guirlande ». Cheminer vers T, comme Tétonner : « terme réservé à la madeleine, quand elle est idéalement confectionnée, dont la forme en coquille présente une protubérance, tel un téton ».
Et s'arrêter pour réaliser qu'en cuisine, tout le monde tapine : « plutôt que de mariner sur le trottoir en attendant de cuisiner un client, on tapine quand on trempe un doigt ou tapote, par curiosité gourmande (ou par souci de contrôler ce qui se fait), une préparation ». Savants, les auteurs de ce dictionnaire ne lésinent pas sur le croustillant, au point d'épater les célèbres toques Michel Bras et Olivier Roellinger qui préfacent chacun un des deux ouvrages.
« Si ces livres pouvaient rendre aux mots de cuisine la noblesse qu'ils ont acquise de l'histoire, des passions ! », s'enthousiasme Michel Bras, « troublé » par les « dérives rencontrées dans l'utilisation du vocabulaire » de cuisine. A mauvais mot, recette ratée ? Le premier volume devrait permettre de prévenir un certain nombre de loupés.
Carpaccio
Pour Olivier Roellinger, la lecture du second volume, dévolu aux « préparations et ingrédients », est « une balade dans le monde merveilleux, enchanteur et rêveur de la cuisine et des cuisiniers». Car, rappelle le grand chef, dans chaque vocable de cuistot « se trouvent une histoire, une aventure, un accident, une rencontre, une émotion, une similitude, une image, une vraie culture ». Il n'y a qu'à goûter pour voir.
« Fin hachis de champignon de Paris et d'échalotes étuvés au beurre », « duxelles », expliquent Emmanuelle Maisonneuve et Jean-Claude Renard, pourrait devoir son nom « au marquis d'Uxelles qui eut le bon goût d'employer à son service François Pierre dit La Varenne (1618-1678), auteur du Cuisinier françois fort de 700 recettes, où les sauces acides, jusqu'alors très en vogue, refluent au profit des sauces grasses et des bouquets aromatiques. »
Le carpaccio, plat estival italien bien connu, aurait été créé au Harry's bar de Venise et devrait son nom à son produit central, le boeuf, dont le rouge pourpre rappelle les nuances des draperies du peintre vénitien Vittore Carpaccio.
La mousse, « met de nature insipide et grossière au XIXe siècle », se veut « légère et soufflée, mixée ou fouettée, à l'avènement de la Nouvelle Cuisine dans les années 1970», précise le dictionnaire. « Elle devient particulièrement onctueuse, aérienne et voluptueuse même, baptisée espuma selon ses origines espagnoles, sortie d'un siphon à l'orée des années 1990, sous l'impulsion de Ferran Adrià, casseroleur catalan jonglant entre science et magie au piano, physique et chimie ».
On se cultive et on salive en parcourant cette double ration de vocabulaire vivant. On apprend à savoir ce que l'on fait et avec quoi l'on fait, puis l'on joue des mots pour faire valser les saveurs, parfums, couleurs, régions et bestiaires, traditions et nouveautés, outils et manies, et bien sûr secrets de fabrication…
Un festin tel que seul un sot l'y laisserait, comme le sot (mangeur) laisse ce morceau de volaille « fin et délicat » qui, « toujours disponible en double exemplaire sur la bête, (il) se blottit au creux des os, placés au-dessus et en avant du croupion».
Mots de cuisine : Tours de main et matériels, Préparations et ingrédients, deux volumes en un coffret, par Emmanuelle Maisonneuve et Jean-Claude Renard, illustrations de Virginie Duquenoÿ, Buchet Chastel, 120 p. et 132 p., 25 euros.
