Alors que plusieurs centaines de milliers de musulmans viennent de commencer leur pèlerinage à la Mecque, l'anthropologue marocain Abdellah Hammoudi propose une réflexion sur les sens des rituels qui rythment le Hajj en s'appuyant sur son propre témoignage.
Etudier le pèlerinage à la Mecque, tel est le défi que s'est lancé l'anthropologue marocain Abdellah Hammoudi. Son intention : interroger les pratiques et les rituels religieux qui entourent le Hajj en les soumettant à son double regard de pèlerin et de chercheur. Une position qui le place, bien avant son départ, face à un sentiment de malaise.
Comment justifier auprès des autres pèlerins un voyage personnel qu'il conçoit, certes, comme une quête spirituelle et l'accomplissement d'un des cinq piliers de l'Islam, mais aussi comme l'occasion de « rapporter le moindre détail de ce que l'on y faisait et disait » ? Cette question qui le taraude sert de fil rouge à Une saison à la Mecque, ouvrage tiré de cette expérience dont le chercheur ignorait, en partant, jusqu'à l'aboutissement.
Professeur à l'Université de Princeton aux Etats-unis après avoir été enseignant au Maroc de 1972 à 1989, Abdellah Hammoudi a nourri ce projet à l'issue de ses analyses sur le sacrifice et la mascarade, les rituels du pouvoir et le pouvoir rituel : « mon travail serait d'imaginer une vie religieuse au futur, une religion et un projet dont je poursuivrais les traces dans le passé et le présent. » Il est parti pour la Mecque en 1999, soit au printemps de l'année 1419 de l'Hégire, depuis son pays natal et en compagnie d'un couple d'amis.
Très vite, le pèlerinage est devenu son pèlerinage. En découvrant le gouvernement et l'administration du Hajj, le contingent marocain et les quotas par province, les injustices qui entachent les processus d'inscription, les sessions d'exercices préparatoires avec cours théoriques et travaux pratiques, et les conseils donnés avant le départ, le chercheur explique en même temps qu'il s'initie. Tamattu, Ifrad, Quiran, trajet en car et emploi du temps de la ziara à Médine, il ne cesse de faire l'aller retour entre le récit de ce qu'il observe et ses réflexions personnelles.
«Tout le monde, y compris moi-même, partait en quête de traces». En parallèle des séances de prière, circumambulations autour de la Ka'aba, lapidations, et échanges avec ses compagnons de voyage, il témoigne de sa propre expérience mystique aux confins des origines et de l'identité musulmane. « Nous allons créer, chacun pour soi, notre propre corps sacré ». Mais de même qu'il confie son émotion en quittant Médine ou en arrivant à Arafa, il interroge l'accointance entre la corruption et la dévotion, l'irruption du commerce et de la politique dans la démarche religieuse ou les frontières persistant entre des pèlerins qui « se mélangeaient rarement; chacun restaient avec les siens et parlait sa langue.
Nous étions, de toute façon, groupés par nationalité. » De questions pratiques (logement, repas) en questions spirituelles (la maison mythologique, l'universalité d'un credo, le rituel comme forme de langage), l'anthropologue progresse au rythme du voyage. Pour aboutir, sur le chemin du retour, à cette idée : la religion et l'anthropologie pourraient se croiser sur un motif qui ne serait autre que le problème de la mort.
Comme Abdellah Hammoudi n'évite pas de déplacer le sujet de son étude à son aventure personnelle Une saison à la Mecque est une lecture parfois ardue dans son propos. Complexité assumée et entrelacement des regards et des interprétations faisant à la fois la richesse et la difficulté de cet essai. « L'histoire racontée ici, on l'aura compris, provint d'une transformation dont le héros et le narrateur – en raison de cette transformation – ne tiennent ni le début ni la fin. En revanche, l'auteur qui l'écrit tente un dénouement.
Sa seule consolation (…) est que le récit déroule l'histoire et la fait apparaître comme histoire d'une existence possible. Campant sur ce seuil, l'écriture assume la fonction d'un prière appelant ce possible à l'être, et, quand le temps se fait long, d'une incantation magique qui lance des signes vers l'inconnu pour le sommer d'envoyer un signe.»
Abdellah Hammoudi, Une saison à la Mecque, Seuil, 320 p.
Etudier le pèlerinage à la Mecque, tel est le défi que s'est lancé l'anthropologue marocain Abdellah Hammoudi. Son intention : interroger les pratiques et les rituels religieux qui entourent le Hajj en les soumettant à son double regard de pèlerin et de chercheur. Une position qui le place, bien avant son départ, face à un sentiment de malaise.
Comment justifier auprès des autres pèlerins un voyage personnel qu'il conçoit, certes, comme une quête spirituelle et l'accomplissement d'un des cinq piliers de l'Islam, mais aussi comme l'occasion de « rapporter le moindre détail de ce que l'on y faisait et disait » ? Cette question qui le taraude sert de fil rouge à Une saison à la Mecque, ouvrage tiré de cette expérience dont le chercheur ignorait, en partant, jusqu'à l'aboutissement.
Professeur à l'Université de Princeton aux Etats-unis après avoir été enseignant au Maroc de 1972 à 1989, Abdellah Hammoudi a nourri ce projet à l'issue de ses analyses sur le sacrifice et la mascarade, les rituels du pouvoir et le pouvoir rituel : « mon travail serait d'imaginer une vie religieuse au futur, une religion et un projet dont je poursuivrais les traces dans le passé et le présent. » Il est parti pour la Mecque en 1999, soit au printemps de l'année 1419 de l'Hégire, depuis son pays natal et en compagnie d'un couple d'amis.
Très vite, le pèlerinage est devenu son pèlerinage. En découvrant le gouvernement et l'administration du Hajj, le contingent marocain et les quotas par province, les injustices qui entachent les processus d'inscription, les sessions d'exercices préparatoires avec cours théoriques et travaux pratiques, et les conseils donnés avant le départ, le chercheur explique en même temps qu'il s'initie. Tamattu, Ifrad, Quiran, trajet en car et emploi du temps de la ziara à Médine, il ne cesse de faire l'aller retour entre le récit de ce qu'il observe et ses réflexions personnelles.
«Tout le monde, y compris moi-même, partait en quête de traces». En parallèle des séances de prière, circumambulations autour de la Ka'aba, lapidations, et échanges avec ses compagnons de voyage, il témoigne de sa propre expérience mystique aux confins des origines et de l'identité musulmane. « Nous allons créer, chacun pour soi, notre propre corps sacré ». Mais de même qu'il confie son émotion en quittant Médine ou en arrivant à Arafa, il interroge l'accointance entre la corruption et la dévotion, l'irruption du commerce et de la politique dans la démarche religieuse ou les frontières persistant entre des pèlerins qui « se mélangeaient rarement; chacun restaient avec les siens et parlait sa langue.
Nous étions, de toute façon, groupés par nationalité. » De questions pratiques (logement, repas) en questions spirituelles (la maison mythologique, l'universalité d'un credo, le rituel comme forme de langage), l'anthropologue progresse au rythme du voyage. Pour aboutir, sur le chemin du retour, à cette idée : la religion et l'anthropologie pourraient se croiser sur un motif qui ne serait autre que le problème de la mort.
Comme Abdellah Hammoudi n'évite pas de déplacer le sujet de son étude à son aventure personnelle Une saison à la Mecque est une lecture parfois ardue dans son propos. Complexité assumée et entrelacement des regards et des interprétations faisant à la fois la richesse et la difficulté de cet essai. « L'histoire racontée ici, on l'aura compris, provint d'une transformation dont le héros et le narrateur – en raison de cette transformation – ne tiennent ni le début ni la fin. En revanche, l'auteur qui l'écrit tente un dénouement.
Sa seule consolation (…) est que le récit déroule l'histoire et la fait apparaître comme histoire d'une existence possible. Campant sur ce seuil, l'écriture assume la fonction d'un prière appelant ce possible à l'être, et, quand le temps se fait long, d'une incantation magique qui lance des signes vers l'inconnu pour le sommer d'envoyer un signe.»
Abdellah Hammoudi, Une saison à la Mecque, Seuil, 320 p.
