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la Guedra sous le regard du peintre Richemont

Voyageant beaucoup avec son mari dans le Sud du Maroc en 1964, Madame de Richemont découvrit Goulimime, la porte du Sahara et en tomba amoureuse. Dressée sur la berge de Oued Noun, la capitale des hommes bleus abritait un marché aux esclaves jusqu'à l'ab

la Guedra sous le regard du peintre Richemont
Les mouvements des torses et des bras accompagnés par un rythme musical profondément répétitif est aussi distinctif et gracieux que délibérément provocant et érotique.

Captivée par le spectacle, Mme de Richemont réagit en artiste. Elle s'efforça de capturer l'érotisme et le mouvement, la richesse des costumes, les battements de mains frénétiques et la tension sexuelle de l'instant, dans une série d'aquarelles rapidement exécutées ainsi que dans des dessins à l'encre ou à la sépia d'une beauté et une sobriété remarquables.

Les peintures, qui en résultèrent, impressionnèrent tellement son ami Vincent Monteil, de culture arabo-française, auteur de « l'Islam noir» et de «Musulmans soviétiques», qui la pressa de publier cette série de peintures et écrivit lui-même le texte d'accompagnement. C'était une époque où les connaisseurs appréciaient pleinement de tels ouvrages. Jacques Majorelle avait publié son magnifique «Les casbahs du Maroc» en 1930 et Jean Besancenot son chef-d'œuvre ethnologique «Costumes du Maroc», en 1940.

Les deux publications avaient connu un immense succès et, puisque Majorelle s'était uniquement consacrée à capturer la beauté de l'architecture traditionnelle entourée de superbes paysages et Besancenot celle des costumes et des bijoux des autochtones, la publication projetée de la Richemont aurait été complémentaire, constituant, par la même, un événement culturel.

Mais il était écrit que cet ouvrage ne verrait pas le jour, du moins à ce moment-là. La fin de la Seconde Guerre mondiale finit par provoquer la chute des empires du vieux monde. Les Britanniques quittèrent l'Inde, puis abandonnèrent plus progressivement leurs colonies en Afrique. Les Français quittèrent l'Indochine, beaucoup plus tard l'Algérie, et entre temps, avec davantage d'à-propos, ils renoncèrent à leur protectorat sur le Maroc. Pour diverses raisons, quelques-unes politiques, car son mari s'était opposé à l'exil du Sultan Mohammed V en 1953, l'ouvrage de Madame de Richemont, sorte de relique d'une période disparue, ne fut pas publié.

La plus horrible des époques était apparue, celle qui consacrerait le chewing-gum et les hamburgers comme grande cuisine, qui remplacerait les costumes traditionnels par des jeans, la musique live par des juke-boxes faisant tournoyer des disques de plastique noir – époque au cours de laquelle ce qui passait pour la de la danse pouvait être facilement confondu avec une crise d'épilepsie. Mais, paradoxalement, durant une régression culturelle aussi durable et une explosion de laideur aussi implacable, la Guedra de Richemont est devenue intemporelle, grâce à sa vérité et à sa beauté.

Les décennies passèrent et Madame de Richemont continua sa carrière artistique, exposant notamment à la Mamounia, le palace de Marrakech (1946), à la Galerie Marhaba de Casablanca (1947), au musée d'Ethnographie de Neuchâtel, en Suisse (1948), au musée Picasso d'Antibes (1959) et à la galerie Dion de Paris (1969). Revenue vivre au Maroc en 1998, elle présenta en 2000 une exposition rétrospective qui connut un grand succès à la galerie Lawrence Arnott de Tanger, parrainée par feue la Princesse Lalla Fatima Zohra. Peu après, encouragée par les directeurs de la galerie Lawrence Arnott, elle se décida à publier la Guedra, pas seulement comme preuve de son indiscutable talent, mais en tant que document qui, en un certain sens, peut être considéré comme un mémorial célébrant l'énergie, la vivacité et les talents des nombreux artistes de génie qui constituèrent l'école franco-marocaine de Lyautey.

Publiée par les éditions PM et les galeries d'Art Lawrence-Arnott, la Guedra est joliment présentée dans une édition limitée à 2000 exemplaires, sous forme de portfolio dans une boîte toilée. Chacune des 20 planches de teinte est authentifiée et estampillée du cachet de l'atelier de Madame de Richemont. L'auteur marocain, de renommée internationale, Tahar Benjelloun a composé une préface et le texte original de Vincent Monteil, écrit en 1946, a finalement été publié après une soixantaine d'années.

Omblyne de Richemont, qui vit maintenant dans la Casbah de Tanger, dans une maison qui a vu passer Eugène Delacroix, représente quelque chose de rare : un lien avec une époque depuis longtemps disparue. Si sa peinture présente des ressemblances étonnantes avec celles de Majorelle, de Besancenot, c'est parce qu'elle était leur contemporaine et leur égale dans le domaine de l'art.

Omblyne de Richemont nous a accordé le privilège unique de voir, presque de vivre une période du passé comme elle l'a elle-même vécue lors d'un été, il y a soixante ans. Son merveilleux pinceau représente l'unique guerrier telle qu'elle était alors exécutée par les belles Touaregs pour leurs virils guerriers, c'est-à-dire une danse sensuelle et érotique qui durait de nombreuses heures, mais qui, hélas, est aujourd'hui devenue une attraction touristique d'une trentaine de minutes.

Il ne fait aucun doute que la Guedra de Richemont aura autant de succès que les «Casbahs du Maroc» de Majorelle (1930) et les «Costumes du Maroc» de Jean Besancenot (1940). C'est, à coup sûr, une dernière occasion pour les collectionneurs d'acquérir le portfolio d'une grande artiste, édition limitée authentifiée datant de ce que beaucoup d'experts considèrent, sans hésitation, comme l'âge d'or de l'art franco-marocain.
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