L'imbrication des différents facteurs qui caractérisent aujourd'hui la société marocaine nécessite une nouvelle approche.
D'un côté la culture arabo-amazighe, dans sa dimension islamique, toujours profonde et agissante, et de l'autre l'influence toujours grandissante de la culture moderne mais dont l'impact reste en général superficiel. Aujourd'hui nous avons le sentiment de nous trouver à un tournant de l'Histoire, mais une fois la société appréhendée dans sa profondeur la vision des choses s'embrouille, car nous ne sommes pas encore en mesure de cerner les signes de ce changement.
L'analyse de cette situation doit être fondée sur le principe de la clarification des rapports entre un passé arabo-islamique glorifié, à juste titre d'ailleurs, mais dont les réminiscences restent confinées dans un atavisme immobile et un présent complexe dont les aspects modernes au sens épistémologique du terme restent en grande partie soit ignorés soit réfutés.
Pour faciliter la jonction entre notre passé et le présent, la société devrait faire l'objet d'une critique sans équivoque des multiples tabous qui la rongent, laquelle critique doit engendrer une conscience accrue des transformations sociales qui nous affectent, tout en contribuant à leur accélération surtout dans le domaine politique, culturel, voire celui de l'exégèse des textes religieux.
Ces transformations doivent répondre aux exigences d'une culture qui respecte certes le spirituel dans sa profondeur mais qui défend aussi la raison dans sa plénitude. Certaines de nos traditions séculaires qui ne répondent plus aux exigences de la vie moderne ne doivent pas hypothéquer notre avenir.
L'impact de notre passé sur notre présent est obnubilé par l'influence négative des différents mythes qui contribuent à développer l'obtusion qui caractérise notre société. Certes les valeurs du passé sont dans leur grande partie sécurisantes et aseptisées mais leur symbiose avec celles de la modernité peut réguler la tension qui existe entre l'élan innovateur nécessaire à tout développement et l'immobilisme qui l'entrave.
A l'heure de la mondialisation jamais nous ne sommes sentis aussi cloisonnés à tout ce qui touche notre identité, mais le rapport dialectique de l'identique et de l'altérité s'impose à nous d'une manière ou d'une autre. Nous avons besoin d'un culte identitaire face à la mondialisation lorsque le référentiel est sans éthique, mais nous devrions adopter tout ce qui peut participer à l'épanouissement de notre société sans avoir le sentiment de galvauder notre culture. Celle-ci ne doit pas être seulement la mémoire de tout ce qui est figé dans le temps.
Elle doit être en quête d'un projet nouveau cohérent qui va à l'encontre de la perte des normes et de l'affadissement des convictions. Elle devrait avoir la vocation du futur tout en supportant les aléas du changement. La culture se situe en général au cœur du changement social, l'interaction qui les lie s'opère surtout au niveau des valeurs qui imprègnent la société. Nos valeurs spirituelles ne doivent pas rester captives de l'exégèse des textes sacrés d'un Ibn Taymiya par exemple.
Le rationalisme qui fait partie aussi de nos traditions doit constituer la base de toute réflexion autour des problèmes qui nous préoccupent, ceci dans l'esprit de la rigueur d'un Ibn Rochd et celui de l'innovation tous azimuts de la modernité. Il ne faut pas entendre la culture seulement comme cet ensemble complexe qu'est la littérature, la connaissance, les mœurs, la musique, l'art et toutes les aptitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société, mais aussi comme projection vers l'avenir.
L'action culturelle doit procéder à des perspectives et non à des rétrospectives, le nouveau ne doit pas forcement être semblable à l'ancien.
Nos discours dogmatiques ressassés sans cesse ne produisent rien qui puisse mobiliser la société autour d'un projet socio - culturel d'avenir. Notre société souffre d'antinomies fondamentales entre le savoir et l'ignorance, entre l'épanouissement de la personne et son aliénation. Les œillères qui nous empêchent d'élargir notre champ de vision sont confectionnées à partir de ces antinomies. Notre point de repère est figé dans un coin à l'antipode de l'autre.
L'aversion au changement n'est que l'apanage de ceux qui ne font pas de différence entre le mythe et l'histoire. Les discours lénifiants sur les crises qui nous affectent ne font que consolider une situation qui perdure. Les inhibitions qui caractérisent la société marocaine, ne permettent pas une réflexion libre sur des concepts qui se veulent éternels. Elles permettent toute forme d'opportunisme, de populisme et d'incantation religieuse loin des principes innovateurs de l'Islam.
Qu'en est-il de la modernité qui impose de plus en plus une nouvelle vision du monde à toutes les sociétés ?
Quel rôle pourrait t'elle jouer dans notre société ?
Naturellement tout ce qui est engendré par la mondialisation sur le plan culturel, n'est pas à prendre ipso facto. L'Occident, dont la culture reste influente au niveau mondial ne s'enivre plus de l'idéologie du progrès comme se fut le cas pendant le 19e siècle. La culture occidentale est marquée aujourd'hui par un cartésianisme fatigué, voire étriqué. Certes l'Occident a accompli sur le plan de la rationalité un progrès démiurgique, mais le mythe d'un progrès dans l'absolu est mort.
L'idée du progrès de l'humanité seulement par le savoir scientifique et par le pouvoir technologique est une «idéologie» dans la mesure où elle contient une part de la vérité et une part de l'illusion. Dans tous les domaines, le projet de vouloir les maîtriser seulement d'une manière rationnelle a créé des milieux
exosmotiques qui déclinent en partie les valeurs que la civilisation du progrès a réalisé. Une nouvelle approche de la raison s'impose.
D'ailleurs le culturalisme bariolé qui se développe en Occident augure bien entre autres de cette approche. Dorénavant la raison ne sera plus conviée à comprendre la religion par exemple comme un phénomène historique élaboré par un imaginaire mais bel et bien comme composante de la connaissance engendrée par l'imagination.
En général l'Occident a perdu les promesses des temps modernes, non seulement l'homme connaît aujourd'hui les limites de son pouvoir, mais il découvre de plus en plus que la civilisation rationnelle et technologique crée de nouveaux problèmes qui paraissent d'une manière générale être sans solutions. Les lumières qui délivrent aujourd'hui l'homme d'un mal le précipitent dans un autre.
Néanmoins ils faut souligner que l'Occident tout en remettant en question certains de ses concepts, reste à l'affût d'une nouvelle dialectique de la raison et de la foi. C'est justement ce qui pourrait nous inciter aussi à chercher une certaine osmose entre le rationnel et le spirituel. La foi ne doit pas déraisonner la raison, et celle-ci ne doit pas vouloir à tout prix maîtriser la nature.
* Ouarar Bouchaïb, Centre interdisciplaire pour le développement humain.
D'un côté la culture arabo-amazighe, dans sa dimension islamique, toujours profonde et agissante, et de l'autre l'influence toujours grandissante de la culture moderne mais dont l'impact reste en général superficiel. Aujourd'hui nous avons le sentiment de nous trouver à un tournant de l'Histoire, mais une fois la société appréhendée dans sa profondeur la vision des choses s'embrouille, car nous ne sommes pas encore en mesure de cerner les signes de ce changement.
L'analyse de cette situation doit être fondée sur le principe de la clarification des rapports entre un passé arabo-islamique glorifié, à juste titre d'ailleurs, mais dont les réminiscences restent confinées dans un atavisme immobile et un présent complexe dont les aspects modernes au sens épistémologique du terme restent en grande partie soit ignorés soit réfutés.
Pour faciliter la jonction entre notre passé et le présent, la société devrait faire l'objet d'une critique sans équivoque des multiples tabous qui la rongent, laquelle critique doit engendrer une conscience accrue des transformations sociales qui nous affectent, tout en contribuant à leur accélération surtout dans le domaine politique, culturel, voire celui de l'exégèse des textes religieux.
Ces transformations doivent répondre aux exigences d'une culture qui respecte certes le spirituel dans sa profondeur mais qui défend aussi la raison dans sa plénitude. Certaines de nos traditions séculaires qui ne répondent plus aux exigences de la vie moderne ne doivent pas hypothéquer notre avenir.
L'impact de notre passé sur notre présent est obnubilé par l'influence négative des différents mythes qui contribuent à développer l'obtusion qui caractérise notre société. Certes les valeurs du passé sont dans leur grande partie sécurisantes et aseptisées mais leur symbiose avec celles de la modernité peut réguler la tension qui existe entre l'élan innovateur nécessaire à tout développement et l'immobilisme qui l'entrave.
A l'heure de la mondialisation jamais nous ne sommes sentis aussi cloisonnés à tout ce qui touche notre identité, mais le rapport dialectique de l'identique et de l'altérité s'impose à nous d'une manière ou d'une autre. Nous avons besoin d'un culte identitaire face à la mondialisation lorsque le référentiel est sans éthique, mais nous devrions adopter tout ce qui peut participer à l'épanouissement de notre société sans avoir le sentiment de galvauder notre culture. Celle-ci ne doit pas être seulement la mémoire de tout ce qui est figé dans le temps.
Elle doit être en quête d'un projet nouveau cohérent qui va à l'encontre de la perte des normes et de l'affadissement des convictions. Elle devrait avoir la vocation du futur tout en supportant les aléas du changement. La culture se situe en général au cœur du changement social, l'interaction qui les lie s'opère surtout au niveau des valeurs qui imprègnent la société. Nos valeurs spirituelles ne doivent pas rester captives de l'exégèse des textes sacrés d'un Ibn Taymiya par exemple.
Le rationalisme qui fait partie aussi de nos traditions doit constituer la base de toute réflexion autour des problèmes qui nous préoccupent, ceci dans l'esprit de la rigueur d'un Ibn Rochd et celui de l'innovation tous azimuts de la modernité. Il ne faut pas entendre la culture seulement comme cet ensemble complexe qu'est la littérature, la connaissance, les mœurs, la musique, l'art et toutes les aptitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société, mais aussi comme projection vers l'avenir.
L'action culturelle doit procéder à des perspectives et non à des rétrospectives, le nouveau ne doit pas forcement être semblable à l'ancien.
Nos discours dogmatiques ressassés sans cesse ne produisent rien qui puisse mobiliser la société autour d'un projet socio - culturel d'avenir. Notre société souffre d'antinomies fondamentales entre le savoir et l'ignorance, entre l'épanouissement de la personne et son aliénation. Les œillères qui nous empêchent d'élargir notre champ de vision sont confectionnées à partir de ces antinomies. Notre point de repère est figé dans un coin à l'antipode de l'autre.
L'aversion au changement n'est que l'apanage de ceux qui ne font pas de différence entre le mythe et l'histoire. Les discours lénifiants sur les crises qui nous affectent ne font que consolider une situation qui perdure. Les inhibitions qui caractérisent la société marocaine, ne permettent pas une réflexion libre sur des concepts qui se veulent éternels. Elles permettent toute forme d'opportunisme, de populisme et d'incantation religieuse loin des principes innovateurs de l'Islam.
Qu'en est-il de la modernité qui impose de plus en plus une nouvelle vision du monde à toutes les sociétés ?
Quel rôle pourrait t'elle jouer dans notre société ?
Naturellement tout ce qui est engendré par la mondialisation sur le plan culturel, n'est pas à prendre ipso facto. L'Occident, dont la culture reste influente au niveau mondial ne s'enivre plus de l'idéologie du progrès comme se fut le cas pendant le 19e siècle. La culture occidentale est marquée aujourd'hui par un cartésianisme fatigué, voire étriqué. Certes l'Occident a accompli sur le plan de la rationalité un progrès démiurgique, mais le mythe d'un progrès dans l'absolu est mort.
L'idée du progrès de l'humanité seulement par le savoir scientifique et par le pouvoir technologique est une «idéologie» dans la mesure où elle contient une part de la vérité et une part de l'illusion. Dans tous les domaines, le projet de vouloir les maîtriser seulement d'une manière rationnelle a créé des milieux
exosmotiques qui déclinent en partie les valeurs que la civilisation du progrès a réalisé. Une nouvelle approche de la raison s'impose.
D'ailleurs le culturalisme bariolé qui se développe en Occident augure bien entre autres de cette approche. Dorénavant la raison ne sera plus conviée à comprendre la religion par exemple comme un phénomène historique élaboré par un imaginaire mais bel et bien comme composante de la connaissance engendrée par l'imagination.
En général l'Occident a perdu les promesses des temps modernes, non seulement l'homme connaît aujourd'hui les limites de son pouvoir, mais il découvre de plus en plus que la civilisation rationnelle et technologique crée de nouveaux problèmes qui paraissent d'une manière générale être sans solutions. Les lumières qui délivrent aujourd'hui l'homme d'un mal le précipitent dans un autre.
Néanmoins ils faut souligner que l'Occident tout en remettant en question certains de ses concepts, reste à l'affût d'une nouvelle dialectique de la raison et de la foi. C'est justement ce qui pourrait nous inciter aussi à chercher une certaine osmose entre le rationnel et le spirituel. La foi ne doit pas déraisonner la raison, et celle-ci ne doit pas vouloir à tout prix maîtriser la nature.
* Ouarar Bouchaïb, Centre interdisciplaire pour le développement humain.
