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L'Amérique et Israël doivent accepter de négocier avec le Hamas

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Le triomphe du Hamas aux élections palestiniennes a surpris le monde. Pourtant elle n'avait rien de vraiment étonnant. Cette victoire n'est en effet qu'une étape de plus dans un mouvement qui est aujourd'hui la norme dans l'ensemble des pays arabo-musulmans.

En Turquie, il y a maintenant quatre ans que le parti islamiste de la Justice et du Développement a remporté les élections parlementaires et formé un gouvernement qui est toujours au pouvoir. Un mois plus tard, un parti islamiste du même nom, le PJD, terminait troisième des législatives au Maroc.

En décembre 2005, les Frères musulmans, interdits depuis 1954, devenaient le principal mouvement d'opposition face au Parti National démocratique du président Hosni Moubarak. Les Frères musulmans obtenaient 20 % des suffrages et 88 sièges de députés. Le Hezbollah au Liban et les partis chiites en Irak ont également connu le succès dans les urnes.

Mais, en dépit de cet aval démocratique, la plupart des pays occidentaux se montrent réticents à l'idée d'établir des relations avec ces partis et, plus encore, de se préparer à l'arrivée au pouvoir des islamistes via le bulletin de vote. L'ironie est évidente. Les islamistes, qui semblaient voir dans la démocratie un complot occidental, prendrait donc le projet de George W. Bush de démocratiser le Proche Orient plus au sérieux que les autocrates amis des Etats-Unis.

Et peut-être plus au sérieux aussi que Bush lui-même. Dans sa première conférence de presse après la victoire du Hamas, le président américain était visiblement désemparé quand, en réponse à la question d'un journaliste, il s'est contenté d'évoquer un «développement inattendu».

Depuis trois ans, nous avons été plusieurs spécialistes du Proche Orient à évoquer le sujet des islamistes avec les membres du Conseil national de la sécurité de Bush et les diplomates du Département d'Etat. Nous avons insisté sur l'urgence de la définition par Bush d'une stratégie d'engagement à l'égard des islamistes qui acceptent de gouverner dans le respect des principes démocratiques. Ce débat a reçu une large publicité.

L'embarras des Etats-Unis s'explique en partie par la crainte des réactions négatives des régimes autocratiques dont certains sont des partenaires de longe date de Washington. Aujourd'hui, cette crainte se révèle contreproductive car elle n'a pas arrêté la marche des islamistes dans le monde arabe.

Il faut maintenant imaginer une approche aussi neuve qu'audacieuse qui permette de traiter avec toutes les forces politiques en concurrence chez les Arabes du Proche Orient. Premièrement, il est impératif que l'Amérique et l'Occident cessent de soutenir les autocrates en leur fournissant une aide financière, en encourageant les échanges commerciaux, en livrant des armes.

Deuxièmement, il est essentiel d'élargir l'espace offert à l'action des démocrates du monde musulman en favorisant la liberté de la presse et en organisant un système judiciaire indépendant qui soit justement capable de protéger la liberté de la presse. Troisièmement, il faut ouvrir un dialogue avec les islamistes et celui-ci devra se poursuivre et progresser quelque soient les difficultés.

Les Occidentaux seront aussi obligés d'établir des règles claires et invariables pour fixer le cadre de leurs relations avec les islamistes. Il est légitime que la reprise de l'aide au Hamas soit conditionnée par la reconnaissance du droit d'Israël à l'existence et la ratification de tous les accords internationaux signés par l'OLP et l'Autorité palestinienne.

Dans le passé, et pour obtenir d'être officiellement reconnus par la communauté internationale, l'OLP avait été contrainte de remanier sa charte qui appelait à la destruction d'Israël Il n'y a aucune raison que le Hamas se refuse à ce geste si la demande lui en est faite de manière suffisamment pressante. Il arrive toujours un moment où les mouvements de libération se résignent à renoncer à la violence, qu'il s'agisse de l'IRA, en Irlande, des Sandinistes du Nicaragua ou de l'ANP en Afrique du Sud.

Mais Israël devra absolument répondre par des concessions à tout geste de bonne volonté de la part du Hamas. Même si cette réciprocité apparaît aux Israéliens psychologiquement difficile. Ils ne doivent pas oublier qu'en 1947, d'autres « combattants de la liberté », juifs ceux-là, n'avaient pas hésité à faire sauter l'Hôtel King David, tuant des dizaines d'officiers britanniques.

Jusque dans les années soixante-dix, ces guerrilleros sionistes restèrent sur la liste officielle des terroristes recherchés par Scotland Yard. Mais l'un d'eux, Menakhem Begin, finit par devenir le Premier ministre d'Israël et par conclure un traité de paix avec le président égyptien, Anwar Sadat.

D'ailleurs, au temps de la monarchie égyptienne, Sadat aussi avait été condamné pour terrorisme. Il avait participé à l'assassinat d'une haute personnalité politique du pays.

Tout cela n'empêcha pas que Begin et Sadat soient célébrés dans le monde entier pour avoir pris le risque de faire la paix.
Et ils en furent récompensés par le Prix Nobel.

Pour le Hamas autant que pour Israël et l'Amérique, il est futile de regarder en arrière, il est inutile de se complaire dans la colère. Ils devraient tous aller de l'avant pour reprendre à leur compte les éléments positifs des héritages laissés par Sadat et Arafat, Begin, Rabin et même Ariel Sharon.

Puisque ces leaders ont eu le courage de rompre avec leur propre passé de violence et donc de faire progresser les chances de la paix, pourquoi le Hamas ne pourrait-il pas en faire autant.

* Saad Eddin Ibrahim
Est un militant connu des droits de l'home en Egypte. Il est président du Centre Ibn Khaldoun et Professeur de sociologie à l'Université américaine de Beyrouth.
Copyright : Project syndicate 2006.
www.project-syndicate.org
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