Le Matin : On vous voit de plus en plus souvent au Maroc, alors que dans le passé, vous sembliez refuser de revenir.
Fouad Laroui : Pendant longtemps j'ai eu un rapport problématique avec le Maroc. J'en ai fait des romans, et quantité d'articles dans la presse, mais puisque le Maroc change, je me dois de changer ! Ce qui était vrai il y a quinze ans ne l'est plus aujourd'hui, beaucoup de choses ont été réalisées.
D'autant plus que je ne cultive pas une rancune particulière ou un quelconque ressentiment. Je ne voudrais pas non plus me trouver dans la posture de dire du bien de tout le monde, je suis un homme libre ! Tout ne va évidemment pas pour le mieux mais ce n'est pas particulier au Maroc, même la Suisse a ses problèmes ! Mais je dis tout de même que c'est le rôle de l'artiste, de l'intellectuel, du journaliste de garder un équilibre entre l'éloge et le dénigrement.
Au bout du compte seul l'objectivité prime. Pour cela, je multiplie mes visites au Maroc parce que je prétends qu'on ne peut le comprendre sans le vivre.
Lors d'une conférence à Marrakech, on m'a même contesté le « droit» de parler de mon pays ! Ce droit, je le prends ! De la même manière que nous prenons des positions tranchées sur le conflit israélo-palestinien alors que nous n'appartenons à aucune des parties en guerre. La vraie question se trouve plus dans l'efficacité de l'analyse, et la justesse du propos. Pour preuve, il y a des gens qui n'ont jamais quitté le Maroc et en ont pourtant une vision complètement «allumée» !
Mais le fait d'analyser de l'extérieur ne vous fait-il pas courir le risque d'être trop théorique ?
Justement, durant ce séjour qui a duré plus de quatre semaines, je n'ai rencontré aucun officiel, je suis allé à la rencontre des gens. Par exemple, au lieu de rester à Marrakech, je suis allé à Tahannaout, j'ai bavardé avec les gens. Je n'ai pas voulu avoir le point de vue officiel du pays non pas par refus mais du fait qu'il soit connu. Je voulais avoir d'autres points de vue qui ne peuvent qu'améliorer mes outils d'analyse.
Ce que je constate, aujourd'hui, c'est que les Marocains ont compris qu'il fallait se prendre soi-même en charge. Dans le passé, les gens avaient peur de parler, et ceux qui avaient le courage de parler, avaient tendance à rejeter toute la faute sur l'autre, ce qui biaise un peu l'approche de la réalité.
On vous a souvent reproché votre dérision vis-à-vis de la réalité marocaine.
Il faut savoir d'abord une chose importante, il existe une différence entre la dérision et le mépris. Ma manière ironique de toucher les problèmes du pays reste dans la sphère de l'efficacité. J'estime que le pamphlet ou l'attaque frontale sont plus blessants que mon approche. D'ailleurs je ne m'éloigne pas de cette culture marocaine dont l'humour est souvent une façon agréable de remettre en question ce qui ne va pas.
Est-ce dû à une limitation au niveau de la liberté d'expression ?
On m'a reproché d'avoir une vue « trop rose» du vécu marocain car on ne peut pas tout dire. Cependant, dans tous les pays du monde, la loi encadre la liberté d'expression. A titre d'exemple, en France la remise en question de l'holocauste est réprimée par le code pénal. Il est indéniable que certaines lois tendent à étouffer cette liberté, mais j'estime que l'évolution du Maroc dans ce domaine est un constat de fait !
La diaspora marocaine est souvent perçue comme une source de devises et non pas forcement un générateur d'idées, de savoir, de culture…
Il est vrai que l'importance économique de cette diaspora est incontournable. Cependant, j'ai une impression que la vie culturelle (hors de Rabat et Casablanca) n'est pas ce qu'elle devrait être. Une manière de la stimuler serait d'intégrer ces artistes, ces intellectuels, ces producteurs de culture afin de provoquer des réactions d'imitation ou d'émulation qui n'ajouteraient que plus de dynamisme pour un pays qui a toute cette histoire. C'est important d'accueillir des euros et des dollars mais c'est aussi important d'accueillir les idées.
Au Maroc, il existe une tendance à reproduire ce qui se fait en France excepté dans l'industrie culturelle…
Cela me fait penser à ce que disait Jack Lang lorsqu'il était ministre dans les années 80 «…il n'y a pas un seul ministère de la culture mais quarante!» pour répondre à une erreur profonde qui consiste à croire que la culture est secondaire dans l'ordre des priorités d'un pays. En effet, la culture est et sera toujours au premier plan. Il faut dire que c'est aussi une industrie qui produit des emplois et de la richesse, d'autant plus qu'elle revient souvent moins cher que d'autres types de richesse. Si au Maroc il y a une prise de conscience que la culture est primordiale, on aura fait un grand pas.
Parfois il y a une tendance à faire l'amalgame entre culture et folklorisme…
Justement, il faut éviter à tout prix de tomber dans ce piège qui a un effet pervers sur la valeur des traditions, de l'architecture, de la poésie, de la musique, de la littérature et j'en passe. Au risque d'y perdre son identité.
Malgré le déracinement, la fibre patriotique reste présente pour chaque Marocain. Que faites-vous pour la satisfaire et promouvoir l'image de votre pays ?
Aux Pays-Bas, où j'habite et enseigne, je suis confronté au problème de l'ignorance totale de notre pays. Pour ma part, je multiplie les articles, les plateaux de télévision et les conférences pour d'abord faire connaître notre histoire, parfois même notre géographie ! Je m'évertue à empêcher la paresse intellectuelle ambiante de succomber aux clichés qui dévient la réalité. Mon effort c'est celui de l'information, pour dépasser les préjugés qui ne peuvent être que nuisibles.
Avec les vents de la mondialisation, les cultures authentiques auraient plus tendance à disparaître dans cette culture standardisée. Quelle alternative proposez-vous ?
La mondialisation est un fait irréversible, et tout passéisme serait aberrant. Cependant il est important de conserver son identité sans pour autant se positionner en dehors du processus. A mon avis, nous devrions nous inscrire dans ces changements planétaires avec notre identité plurielle, qui continuera de nous distinguer. Pour schématiser, il vaut mieux s'ouvrir aux vents du large mais surtout avoir les pieds bien plantés au sol.
En dehors de tout cela, qu'écrivez-vous en ce moment ?
Depuis un an, je n'ai plus écrit de fiction pour me consacrer à un grand essai qui traite (curieusement !) de l'islamisme. Il est à paraître, en octobre prochain à Paris ; j'y oppose un islam mystique, individuel voire «convivial» que le Maroc a toujours connu, à un autre islam qui porte un regard étriqué et obtus sur la vie, la foi et l'autre ; cependant, je pense reprendre l'écriture créative qui me donne plus de liberté, en ce sens que c'est le récit qui passe au premier plan, non l'écrivain. Or dans l'essai, c'est l'auteur qui se met en avant, chose que j'ai trouvé prétentieuse. De plus, dans un roman on peut toujours s'abriter derrière le narrateur où les personnages!
Fouad Laroui : Pendant longtemps j'ai eu un rapport problématique avec le Maroc. J'en ai fait des romans, et quantité d'articles dans la presse, mais puisque le Maroc change, je me dois de changer ! Ce qui était vrai il y a quinze ans ne l'est plus aujourd'hui, beaucoup de choses ont été réalisées.
D'autant plus que je ne cultive pas une rancune particulière ou un quelconque ressentiment. Je ne voudrais pas non plus me trouver dans la posture de dire du bien de tout le monde, je suis un homme libre ! Tout ne va évidemment pas pour le mieux mais ce n'est pas particulier au Maroc, même la Suisse a ses problèmes ! Mais je dis tout de même que c'est le rôle de l'artiste, de l'intellectuel, du journaliste de garder un équilibre entre l'éloge et le dénigrement.
Au bout du compte seul l'objectivité prime. Pour cela, je multiplie mes visites au Maroc parce que je prétends qu'on ne peut le comprendre sans le vivre.
Lors d'une conférence à Marrakech, on m'a même contesté le « droit» de parler de mon pays ! Ce droit, je le prends ! De la même manière que nous prenons des positions tranchées sur le conflit israélo-palestinien alors que nous n'appartenons à aucune des parties en guerre. La vraie question se trouve plus dans l'efficacité de l'analyse, et la justesse du propos. Pour preuve, il y a des gens qui n'ont jamais quitté le Maroc et en ont pourtant une vision complètement «allumée» !
Mais le fait d'analyser de l'extérieur ne vous fait-il pas courir le risque d'être trop théorique ?
Justement, durant ce séjour qui a duré plus de quatre semaines, je n'ai rencontré aucun officiel, je suis allé à la rencontre des gens. Par exemple, au lieu de rester à Marrakech, je suis allé à Tahannaout, j'ai bavardé avec les gens. Je n'ai pas voulu avoir le point de vue officiel du pays non pas par refus mais du fait qu'il soit connu. Je voulais avoir d'autres points de vue qui ne peuvent qu'améliorer mes outils d'analyse.
Ce que je constate, aujourd'hui, c'est que les Marocains ont compris qu'il fallait se prendre soi-même en charge. Dans le passé, les gens avaient peur de parler, et ceux qui avaient le courage de parler, avaient tendance à rejeter toute la faute sur l'autre, ce qui biaise un peu l'approche de la réalité.
On vous a souvent reproché votre dérision vis-à-vis de la réalité marocaine.
Il faut savoir d'abord une chose importante, il existe une différence entre la dérision et le mépris. Ma manière ironique de toucher les problèmes du pays reste dans la sphère de l'efficacité. J'estime que le pamphlet ou l'attaque frontale sont plus blessants que mon approche. D'ailleurs je ne m'éloigne pas de cette culture marocaine dont l'humour est souvent une façon agréable de remettre en question ce qui ne va pas.
Est-ce dû à une limitation au niveau de la liberté d'expression ?
On m'a reproché d'avoir une vue « trop rose» du vécu marocain car on ne peut pas tout dire. Cependant, dans tous les pays du monde, la loi encadre la liberté d'expression. A titre d'exemple, en France la remise en question de l'holocauste est réprimée par le code pénal. Il est indéniable que certaines lois tendent à étouffer cette liberté, mais j'estime que l'évolution du Maroc dans ce domaine est un constat de fait !
La diaspora marocaine est souvent perçue comme une source de devises et non pas forcement un générateur d'idées, de savoir, de culture…
Il est vrai que l'importance économique de cette diaspora est incontournable. Cependant, j'ai une impression que la vie culturelle (hors de Rabat et Casablanca) n'est pas ce qu'elle devrait être. Une manière de la stimuler serait d'intégrer ces artistes, ces intellectuels, ces producteurs de culture afin de provoquer des réactions d'imitation ou d'émulation qui n'ajouteraient que plus de dynamisme pour un pays qui a toute cette histoire. C'est important d'accueillir des euros et des dollars mais c'est aussi important d'accueillir les idées.
Au Maroc, il existe une tendance à reproduire ce qui se fait en France excepté dans l'industrie culturelle…
Cela me fait penser à ce que disait Jack Lang lorsqu'il était ministre dans les années 80 «…il n'y a pas un seul ministère de la culture mais quarante!» pour répondre à une erreur profonde qui consiste à croire que la culture est secondaire dans l'ordre des priorités d'un pays. En effet, la culture est et sera toujours au premier plan. Il faut dire que c'est aussi une industrie qui produit des emplois et de la richesse, d'autant plus qu'elle revient souvent moins cher que d'autres types de richesse. Si au Maroc il y a une prise de conscience que la culture est primordiale, on aura fait un grand pas.
Parfois il y a une tendance à faire l'amalgame entre culture et folklorisme…
Justement, il faut éviter à tout prix de tomber dans ce piège qui a un effet pervers sur la valeur des traditions, de l'architecture, de la poésie, de la musique, de la littérature et j'en passe. Au risque d'y perdre son identité.
Malgré le déracinement, la fibre patriotique reste présente pour chaque Marocain. Que faites-vous pour la satisfaire et promouvoir l'image de votre pays ?
Aux Pays-Bas, où j'habite et enseigne, je suis confronté au problème de l'ignorance totale de notre pays. Pour ma part, je multiplie les articles, les plateaux de télévision et les conférences pour d'abord faire connaître notre histoire, parfois même notre géographie ! Je m'évertue à empêcher la paresse intellectuelle ambiante de succomber aux clichés qui dévient la réalité. Mon effort c'est celui de l'information, pour dépasser les préjugés qui ne peuvent être que nuisibles.
Avec les vents de la mondialisation, les cultures authentiques auraient plus tendance à disparaître dans cette culture standardisée. Quelle alternative proposez-vous ?
La mondialisation est un fait irréversible, et tout passéisme serait aberrant. Cependant il est important de conserver son identité sans pour autant se positionner en dehors du processus. A mon avis, nous devrions nous inscrire dans ces changements planétaires avec notre identité plurielle, qui continuera de nous distinguer. Pour schématiser, il vaut mieux s'ouvrir aux vents du large mais surtout avoir les pieds bien plantés au sol.
En dehors de tout cela, qu'écrivez-vous en ce moment ?
Depuis un an, je n'ai plus écrit de fiction pour me consacrer à un grand essai qui traite (curieusement !) de l'islamisme. Il est à paraître, en octobre prochain à Paris ; j'y oppose un islam mystique, individuel voire «convivial» que le Maroc a toujours connu, à un autre islam qui porte un regard étriqué et obtus sur la vie, la foi et l'autre ; cependant, je pense reprendre l'écriture créative qui me donne plus de liberté, en ce sens que c'est le récit qui passe au premier plan, non l'écrivain. Or dans l'essai, c'est l'auteur qui se met en avant, chose que j'ai trouvé prétentieuse. De plus, dans un roman on peut toujours s'abriter derrière le narrateur où les personnages!
