Inerte, Khalid était dans un état grave lorsqu'il fut admis aux urgences. Son corps portait des traces de coups, sur diverses parties, dont certaines semblaient plus anciennes que les autres. Il n'y a pas de doute, toutes ces contusions attestent que ce jeune, la trentaine, avait été victime d'un passage à tabac dans les règles de l'art. Sauf que la nature des traces qu'il portait sur le corps laissait perplexe le personnel soignant.
En effet, le fait que certaines d'entre elles soient plus fraîches que d' autres prouvait que les sévices dont il a été victime n'ont visiblement pas tous été infligés ce jour-là. Bien au contraire, les mauvais traitements dont il porte les marques devaient s'étaler sur une longue période. Les éléments de la police judiciaire présents sur place ont écarté de facto la thèse d'un passage à tabac à la suite duquel il aurait été transporté à l'hôpital.
Le père de Khalid, qui l'avait accompagné aux urgences, sera pris de court par l'avalanche de questions que lui poseront les policiers et qui l'amèneront à se lancer dans un discours prolifique et édifiant à plusieurs égards. Khalid n'était pas un jeune homme comme le commun de ses semblables. A une période de son adolescence, il a commencé à avoir un comportement inhabituel. Ses parents ne comprenaient rien à ce qu'il lui arrivait. Le jeune ado délirait, racontait des histoires à l'incohérence saillante et semblait avoir des hallucinations. On l'aura compris, Khalid souffrait de troubles psychiques rampants, qui allaient s'accentuer jusqu'à atteindre leur paroxysme : la schizophrénie.
Les consultations médicales chez les psychiatres se succèderont à un rythme effréné, sans pour autant donner de résultats. Les divers traitements prescrits par les spécialistes ne semblaient avoir qu'un effet anodin. Le seul bien que dispensaient les pilules de couleurs différentes était de plonger Khalid dans une profonde léthargie.
Les jours couleront ainsi, pour ses parents, puis les années, sur un fond de toile fait de détresse, d'angoisse et de mélancolie. Par moment, le jeune donnait l'air de redevenir normal et semblait reconquérir son équilibre.
Cela réconfortait ses parents, qui pensaient que leur fils avait recouvré sa santé mentale, ignorant que ce n'étaient là que de simples phases de stabilisation, somme toute brèves, que traversent par moment les personnes atteintes de schizophrénie, avant de sombrer à nouveau dans un monde imaginaire qu'elles sont seules à connaître.
Les parents du jeune Khalid ne s'y feront pas pour autant, croyant à chaque fois que leur fils s'en est sorti. Les choses s'inscriront dans la durée et la thèse de la maladie psychique sera écartée petit à petit. Comment se peut-il que leur enfant perde la raison pendant une période, pour la retrouver durant une autre, avant de la perdre à nouveau ? On commença alors à chercher d'autres causes à ce dont souffrait Khalid.
Un malheur n'arrivant jamais seul, durant les moments de doute, un ami de la famille leur proposa une alternative peu probable, mais à laquelle ils s'accrochèrent tel le ferait un naufragé en haute mer à qui l'on tend un bout de quelque chose. C'est lors de moments de détresse que l'on est capable de prendre les décisions les plus fatales.
Miloud, l'ami de la famille, proposa de soumettre Khalid à l'examen d'un fqih à la renommée édifiante. La thèse du paranormal venait ainsi de prendre le dessus sur celle se rapportant à la science.
Le «diagnostic» du fqih était sans appel : le jeune homme est effectivement possédé par un djinn. Le fqih érudit les rassura également, leur garantissant que l'exorcisme qu'il allait pratiquer allait expulser cette entité maléfique qui se serait emparée du corps de Khalid. La thérapie fut ainsi entamée, à travers des visites effectuées par l'exorciste de service au domicile du jeune possédé.
Les séances d'exorcisme se suivirent avec régularité et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Khalid retrouvait progressivement le comportement de celui qu'il était des années de cela, avant que le djinn ne s'empare de lui. Après plusieurs séances, il était guéri. A priori, le fqih avait réussi le miracle d'expulser cette force qui possédait Khalid et à libérer son âme de son emprise démoniaque.
La vie pouvait reprendre au sein de cette famille, mais pour quelques jours seulement. Khalid allait rechuter et sombrer à nouveau dans son monde fictif meublé de délires, d'hallucinations et de visions étranges. On fera encore une fois appel au fqih, qui viendra avec du renfort cette fois-ci. Ce que les parents de Khalid ignoraient, c'est que le fameux fqih n'était pour rien dans l'amélioration de l'état de leur enfant. Cela n'était que le fruit d'un fâcheux concours de circonstances.
En effet, l'intervention du fqih avait tout simplement coïncidé avec l'une des phases de stabilisation que traverse la personne schizophrène, comme souligné précédemment. Mais pour expliquer cela aux parents, ce n'est certainement pas le flou total dans lequel les ont laissés les divers psychiatres sollicités auparavant qui aurait pu y contribuer.
Cette phase où le schizophrène retrouve un comportement normal, il n'en avaient jamais entendu parler.
Notre ami le fqih chanceux était ainsi de retour et, comme cité précédemment, s'était présenté avec deux autres «collègues» en renfort. Khalid allait en payer le prix. Vu que l'exorcisme classique n'avait pas fait ses preuves, le trio infernal décida d'employer la manière forte avec ce djinn indomptable. Les trois érudits commencèrent par ligoter le malade et lui faire ingurgiter un breuvage infect.
Chose qui lui causa des convulsions, puis des vomissements. Ils s'acharnèrent tous les trois sur lui, lui cognant dessus, tout bêtement, expliquant au père que son fils ne ressentait rien, mais que c'était plutôt le djinn qui en prenait plein la gueule. Khalid recevait des coups sur tous le corps, même au visage. Aux coups de poing et de pied succèderont des séries de flagellations à l'aide d'un tuyau en caoutchouc.
Les séances d'exorcisme qui s'assimilaient plus à des séances de torture se répéteront des jours durant, avec la même violence. Mais, visiblement, le super-djinn faisait de la résistance et ne voulait sous aucun prétexte quitter cette demeure charnelle que constituait pour lui le malheureux Khalid. La santé de ce dernier se détériora de façon vertigineuse. Suite à une ultime séance, Khalid ne donnait plus de signe de vie. Il fut transporté aux urgences. En vain, car il était déjà mort.
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Souvent, ce recours fait suite à une insatisfaction par rapport à la prestation de tel ou tel praticien, sinon à cause, justement, d'une mauvaise connaissance de son mal, donc d'une ignorance de ce dont ils souffrent.
Dans le cas des parents de Khalid, ces derniers affirment ne rien avoir appris sur la maladie de leur enfant, la schizophrénie en l'occurrence, durant toutes les consultations psychiatriques auxquelles ils ont accompagné leur enfant. La mort de Khalid est tributaire de trois facteurs.
D'abord, il y a sans conteste l'intervention du fqih sollicité et de ses deux disciples.
L'ignorance qui les caractérise, vu qu'ils croyaient avoir affaire à un esprit maléfique et donc de bien faire. Les coups et
blessures infligés à la victime, en plus du breuvage toxique qu'ils lui ont fait avaler, ont causé la mort de Khalid. Le trio est de facto coupable direct d'homicide.
Les parents ont également leur part de responsabilité, puisque, tout d'abord, ils ont fait appel aux services d'un charlatan, puis pour avoir assisté sans intervenir à la torture qu'on faisait subir à leur fils. Ils sont cependant solvable sur le plan ignorance et détresse.
En troisième lieu, si le ou les médecins consultés avaient été plus prolifiques quant à l'explication du mal dont souffrait leur patient, notamment en parlant des phases de stabilisation, les parents auraient été plus conscients par rapport à la question.
Mais bon, comme on dit chez nous, les larmes qui escortent le mort sont un pur gâchis. Ce qui serait profitable, c'est d'en tirer les enseignements qui s'imposent.
En effet, le fait que certaines d'entre elles soient plus fraîches que d' autres prouvait que les sévices dont il a été victime n'ont visiblement pas tous été infligés ce jour-là. Bien au contraire, les mauvais traitements dont il porte les marques devaient s'étaler sur une longue période. Les éléments de la police judiciaire présents sur place ont écarté de facto la thèse d'un passage à tabac à la suite duquel il aurait été transporté à l'hôpital.
Le père de Khalid, qui l'avait accompagné aux urgences, sera pris de court par l'avalanche de questions que lui poseront les policiers et qui l'amèneront à se lancer dans un discours prolifique et édifiant à plusieurs égards. Khalid n'était pas un jeune homme comme le commun de ses semblables. A une période de son adolescence, il a commencé à avoir un comportement inhabituel. Ses parents ne comprenaient rien à ce qu'il lui arrivait. Le jeune ado délirait, racontait des histoires à l'incohérence saillante et semblait avoir des hallucinations. On l'aura compris, Khalid souffrait de troubles psychiques rampants, qui allaient s'accentuer jusqu'à atteindre leur paroxysme : la schizophrénie.
Les consultations médicales chez les psychiatres se succèderont à un rythme effréné, sans pour autant donner de résultats. Les divers traitements prescrits par les spécialistes ne semblaient avoir qu'un effet anodin. Le seul bien que dispensaient les pilules de couleurs différentes était de plonger Khalid dans une profonde léthargie.
Les jours couleront ainsi, pour ses parents, puis les années, sur un fond de toile fait de détresse, d'angoisse et de mélancolie. Par moment, le jeune donnait l'air de redevenir normal et semblait reconquérir son équilibre.
Cela réconfortait ses parents, qui pensaient que leur fils avait recouvré sa santé mentale, ignorant que ce n'étaient là que de simples phases de stabilisation, somme toute brèves, que traversent par moment les personnes atteintes de schizophrénie, avant de sombrer à nouveau dans un monde imaginaire qu'elles sont seules à connaître.
Les parents du jeune Khalid ne s'y feront pas pour autant, croyant à chaque fois que leur fils s'en est sorti. Les choses s'inscriront dans la durée et la thèse de la maladie psychique sera écartée petit à petit. Comment se peut-il que leur enfant perde la raison pendant une période, pour la retrouver durant une autre, avant de la perdre à nouveau ? On commença alors à chercher d'autres causes à ce dont souffrait Khalid.
Un malheur n'arrivant jamais seul, durant les moments de doute, un ami de la famille leur proposa une alternative peu probable, mais à laquelle ils s'accrochèrent tel le ferait un naufragé en haute mer à qui l'on tend un bout de quelque chose. C'est lors de moments de détresse que l'on est capable de prendre les décisions les plus fatales.
Miloud, l'ami de la famille, proposa de soumettre Khalid à l'examen d'un fqih à la renommée édifiante. La thèse du paranormal venait ainsi de prendre le dessus sur celle se rapportant à la science.
Le «diagnostic» du fqih était sans appel : le jeune homme est effectivement possédé par un djinn. Le fqih érudit les rassura également, leur garantissant que l'exorcisme qu'il allait pratiquer allait expulser cette entité maléfique qui se serait emparée du corps de Khalid. La thérapie fut ainsi entamée, à travers des visites effectuées par l'exorciste de service au domicile du jeune possédé.
Les séances d'exorcisme se suivirent avec régularité et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Khalid retrouvait progressivement le comportement de celui qu'il était des années de cela, avant que le djinn ne s'empare de lui. Après plusieurs séances, il était guéri. A priori, le fqih avait réussi le miracle d'expulser cette force qui possédait Khalid et à libérer son âme de son emprise démoniaque.
La vie pouvait reprendre au sein de cette famille, mais pour quelques jours seulement. Khalid allait rechuter et sombrer à nouveau dans son monde fictif meublé de délires, d'hallucinations et de visions étranges. On fera encore une fois appel au fqih, qui viendra avec du renfort cette fois-ci. Ce que les parents de Khalid ignoraient, c'est que le fameux fqih n'était pour rien dans l'amélioration de l'état de leur enfant. Cela n'était que le fruit d'un fâcheux concours de circonstances.
En effet, l'intervention du fqih avait tout simplement coïncidé avec l'une des phases de stabilisation que traverse la personne schizophrène, comme souligné précédemment. Mais pour expliquer cela aux parents, ce n'est certainement pas le flou total dans lequel les ont laissés les divers psychiatres sollicités auparavant qui aurait pu y contribuer.
Cette phase où le schizophrène retrouve un comportement normal, il n'en avaient jamais entendu parler.
Notre ami le fqih chanceux était ainsi de retour et, comme cité précédemment, s'était présenté avec deux autres «collègues» en renfort. Khalid allait en payer le prix. Vu que l'exorcisme classique n'avait pas fait ses preuves, le trio infernal décida d'employer la manière forte avec ce djinn indomptable. Les trois érudits commencèrent par ligoter le malade et lui faire ingurgiter un breuvage infect.
Chose qui lui causa des convulsions, puis des vomissements. Ils s'acharnèrent tous les trois sur lui, lui cognant dessus, tout bêtement, expliquant au père que son fils ne ressentait rien, mais que c'était plutôt le djinn qui en prenait plein la gueule. Khalid recevait des coups sur tous le corps, même au visage. Aux coups de poing et de pied succèderont des séries de flagellations à l'aide d'un tuyau en caoutchouc.
Les séances d'exorcisme qui s'assimilaient plus à des séances de torture se répéteront des jours durant, avec la même violence. Mais, visiblement, le super-djinn faisait de la résistance et ne voulait sous aucun prétexte quitter cette demeure charnelle que constituait pour lui le malheureux Khalid. La santé de ce dernier se détériora de façon vertigineuse. Suite à une ultime séance, Khalid ne donnait plus de signe de vie. Il fut transporté aux urgences. En vain, car il était déjà mort.
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Ignorance et détresse, la mixtion fatale
La crédulité, associée à l'ignorance de certains aspects de la vie, peut enfanter le pire. La lassitude et le raz-le-bol font le reste. Si certaines personnes recourent, en premier lieu, aux services des "fqihs" et autres charlatans, une grande partie des victimes de charlatanisme le deviennent après avoir fait appel à la science, dans sa déclinaison médicale.Souvent, ce recours fait suite à une insatisfaction par rapport à la prestation de tel ou tel praticien, sinon à cause, justement, d'une mauvaise connaissance de son mal, donc d'une ignorance de ce dont ils souffrent.
Dans le cas des parents de Khalid, ces derniers affirment ne rien avoir appris sur la maladie de leur enfant, la schizophrénie en l'occurrence, durant toutes les consultations psychiatriques auxquelles ils ont accompagné leur enfant. La mort de Khalid est tributaire de trois facteurs.
D'abord, il y a sans conteste l'intervention du fqih sollicité et de ses deux disciples.
L'ignorance qui les caractérise, vu qu'ils croyaient avoir affaire à un esprit maléfique et donc de bien faire. Les coups et
blessures infligés à la victime, en plus du breuvage toxique qu'ils lui ont fait avaler, ont causé la mort de Khalid. Le trio est de facto coupable direct d'homicide.
Les parents ont également leur part de responsabilité, puisque, tout d'abord, ils ont fait appel aux services d'un charlatan, puis pour avoir assisté sans intervenir à la torture qu'on faisait subir à leur fils. Ils sont cependant solvable sur le plan ignorance et détresse.
En troisième lieu, si le ou les médecins consultés avaient été plus prolifiques quant à l'explication du mal dont souffrait leur patient, notamment en parlant des phases de stabilisation, les parents auraient été plus conscients par rapport à la question.
Mais bon, comme on dit chez nous, les larmes qui escortent le mort sont un pur gâchis. Ce qui serait profitable, c'est d'en tirer les enseignements qui s'imposent.
