Dans le car, une touriste américaine est touchée. Pas d'hôpital avant quatre heures de route, et la blessée (Cate Blanchett) est intransportable. Son mari (Brad Pitt), frôle la panique pendant que les autorités internationales crient au terrorisme. De l'autre côté du globe, à San Diego, les deux enfants de ce couple vivent des heures agitées avec leur nourrice mexicaine (Adriana Barraza) qui les a imprudemment fait passer la frontière pour les emmener à un mariage dans son pays.
Conduits par son neveu (Gael Garcia Bernal), ils sont arrêtés à la douane sur le trajet de retour et malmenés par la police qui les prend pour des clandestins. De l'autre côté encore du globe, un policier japonais à la recherche de l'ancien propriétaire du fameux fusil tombe sur sa fille (Kôji Yakusho), une jeune sourde-muette en mal d'amour. Tous ces événements n'ont pas lieu en même temps. Il a tout de même fallu - on le comprend furtivement par l'intermédiaire d'un poste de télévision dans un bar - cinq jours à Interpol pour mettre la main sur le chasseur japonais. Et boucler la boucle.
Mais peu importe à Alejandro Gonzalès Inarritu. Le cinéaste mexicain installé aux Etats-Unis a déjà fait montre, notamment dans 21 Grammes, de son goût pour les intrigues en puzzle. Aussi, ces trois trames déclenchées par un coup de fusil initial se retrouvent, dans Babel, à progresser de concert. Inarritu sautant de l'une à l'autre à chaque nouveau pic d'intensité. Ce film, comme son titre l'indique, s'intéresse à l'incommunicabilité. En témoigne la détresse de l'Américain qui éponge le sang de sa femme dans une maison de Tazarine sans téléphone, à mille lieues du confort et de la sécurité auxquels il est habitué.
En témoigne la détresse de la jeune japonaise qui, parce qu'elle ne peut parler et entendre, utilise son corps pour exprimer ses attentes. En témoigne enfin la détresse de la nourrice mexicaine qui, si elle vit aux Etats-Unis depuis seize ans et parle un peu anglais reste une passeuse de frontières au pays du Patriot Act. Babel est surtout un film sur l'isolement à l'heure de la mondialisation. Meilleure preuve, ou grossière erreur : les personnages abandonnés en plein désert ne sortent pas de téléphone portable de leur poche. On a du mal à le croire.
Mais Babel est cousu de fil blanc. Finaud et crédible dans les détails, inconsistant au possible dans l'ensemble. Certes, il dénonce l'engeance des armes à feu, les violences policières et l'exclusion des minorités, - étrangères, pauvres ou handicapées. Certes, il montre avec une férocité réjouissante l'inhumanité des touristes occidentaux prêts à repartir avec leur car climatisé pour fuir ces zones enclavées qu'ils croient infestées de terroristes sans se soucier de la blessée.
Certes, il rappelle qu'un Américain sera toujours moins en danger dans le Sud marocain qu'un paysan autochtone. Mais les soudures et les bons sentiments du réalisateur sont d'une telle évidence que le film en devient balourd et creux, presque roublard. Et son allure «sans frontières» vient (paradoxalement ?) renforcer l'effet globalisé. Reste une jolie façon de filmer la mégalopole japonaise, une fête mexicaine et les enivrantes collines au-delà de Ouarzazate.
Glissé dans les casiers des journalistes, au Palais du Festival, un communiqué de presse annonce le lancement de Africine (www.africine.org), le site la Fédération africaine de la critique cinématographique. La FACC a été créée en novembre 2004 par les délégués de sept pays africains à la suite de divers ateliers sur la critique de cinéma.
Elle entend assurer la visibilité et le développement de l'écriture sur le cinéma en Afrique, soutenir les films d'Afrique par une meilleure couverture médiatique, développer la tradition critique en Afrique, structurer la critique africaine en associations nationales, contribuer à la formation des journalistes critiques, permettre à la critique africaine de se tailler sa place dans la critique internationale et la pensée mondiale du cinéma. Des objectifs dont il faut saluer l'ambition à l'heure où la part de la critique dans la presse se réduit chaque jour davantage. Par ailleurs, on procède à un assemblage de textes critiques en provenance de plusieurs pays pour constituer une base de données sur le cinéma en Afrique : pas sûr que l'équivalent existe au Nord…
La journée avait commencé par un malheureux coup de fusil. Elle s'achève sur un mauvais coup tout court. Un hold-up épineux préparé par de pauvres hères, deux anciens métallos handicapés et alcoolos, un père de famille modèle, surdiplômé mais au chômage et nourri par sa femme ouvrière, et un ancien taulard qui, bien décidé à ne pas replonger, s'est rangé à l'usine.
Fine équipe, tellement peu préparée au banditisme que son coup ne semble pouvoir déboucher que sur un miracle ou sur un drame. Mais ce gang improvisé au pays des humbles, à Lièges, superbement filmée, a l'énergie de ceux qui n'ont plus rien à perdre, et la dignité de ceux qui se sont battus longtemps avant de perdre espoir. C'est avec ces quatre boiteux-là (Eric Caravaca, Patrick Descamps, Claude Semal, Lucas Belvaux) que le Belge Lucas Belvaux entreprend un polar social qui regarde du côté de chez Melville, Simenon, et les frères Dardenne.
La raison du plus faible est à la fois d'une immense générosité et, par endroit, d'une regrettable maladresse. Des défauts dans l'écriture (notamment le personnage de l'ouvrière jouée par Natacha Régnier), des scènes attendues, une naïve complaisance qui pointe… Mais l'humour belge aidant, Lucas Belvaux parvient à maintenir un constant suspense dans un scénario que l'on devine bien noir derrière sa mise en scène souriante et son hymne à la solidarité.
Le personnage de Marc, l'ancien taulard, interprété par le réalisateur, se lance dans deux tirades mémorables : l'une visant à faire imaginer le déroulement d'un braquage à un de ses compères, l'autre cherchant à faire comprendre à Patrick, le père de famille, le regard que son fils portera son lui s'il se retrouve derrière les barreaux. “ Ce sera autre chose comme humiliation ”. Mais ni morale, ni héroïsme dans ce film qui déballe pudiquement non seulement la raison du plus faible, mais son raisonnement. Et adresse un joli bras d'honneur à la loi du plus fort.
Babel, film réalisé par Alejandro Gonzalès Inarritu. Avec Cate Blanchett, Brad Pitt, Gael Garcia Bernal, Adriana Barraza, Kôji Yakusho, Saïd Tarchani, Boubker Ait El Caid.
La raison du plus faible, film réalisé par Lucas Belvaux. Avec Eric Caravaca, Natacha Régnier, Patrick Descamps, Claude Semal, Gilbert Melki, Théo Hebrans.
Conduits par son neveu (Gael Garcia Bernal), ils sont arrêtés à la douane sur le trajet de retour et malmenés par la police qui les prend pour des clandestins. De l'autre côté encore du globe, un policier japonais à la recherche de l'ancien propriétaire du fameux fusil tombe sur sa fille (Kôji Yakusho), une jeune sourde-muette en mal d'amour. Tous ces événements n'ont pas lieu en même temps. Il a tout de même fallu - on le comprend furtivement par l'intermédiaire d'un poste de télévision dans un bar - cinq jours à Interpol pour mettre la main sur le chasseur japonais. Et boucler la boucle.
Mais peu importe à Alejandro Gonzalès Inarritu. Le cinéaste mexicain installé aux Etats-Unis a déjà fait montre, notamment dans 21 Grammes, de son goût pour les intrigues en puzzle. Aussi, ces trois trames déclenchées par un coup de fusil initial se retrouvent, dans Babel, à progresser de concert. Inarritu sautant de l'une à l'autre à chaque nouveau pic d'intensité. Ce film, comme son titre l'indique, s'intéresse à l'incommunicabilité. En témoigne la détresse de l'Américain qui éponge le sang de sa femme dans une maison de Tazarine sans téléphone, à mille lieues du confort et de la sécurité auxquels il est habitué.
En témoigne la détresse de la jeune japonaise qui, parce qu'elle ne peut parler et entendre, utilise son corps pour exprimer ses attentes. En témoigne enfin la détresse de la nourrice mexicaine qui, si elle vit aux Etats-Unis depuis seize ans et parle un peu anglais reste une passeuse de frontières au pays du Patriot Act. Babel est surtout un film sur l'isolement à l'heure de la mondialisation. Meilleure preuve, ou grossière erreur : les personnages abandonnés en plein désert ne sortent pas de téléphone portable de leur poche. On a du mal à le croire.
Mais Babel est cousu de fil blanc. Finaud et crédible dans les détails, inconsistant au possible dans l'ensemble. Certes, il dénonce l'engeance des armes à feu, les violences policières et l'exclusion des minorités, - étrangères, pauvres ou handicapées. Certes, il montre avec une férocité réjouissante l'inhumanité des touristes occidentaux prêts à repartir avec leur car climatisé pour fuir ces zones enclavées qu'ils croient infestées de terroristes sans se soucier de la blessée.
Certes, il rappelle qu'un Américain sera toujours moins en danger dans le Sud marocain qu'un paysan autochtone. Mais les soudures et les bons sentiments du réalisateur sont d'une telle évidence que le film en devient balourd et creux, presque roublard. Et son allure «sans frontières» vient (paradoxalement ?) renforcer l'effet globalisé. Reste une jolie façon de filmer la mégalopole japonaise, une fête mexicaine et les enivrantes collines au-delà de Ouarzazate.
Glissé dans les casiers des journalistes, au Palais du Festival, un communiqué de presse annonce le lancement de Africine (www.africine.org), le site la Fédération africaine de la critique cinématographique. La FACC a été créée en novembre 2004 par les délégués de sept pays africains à la suite de divers ateliers sur la critique de cinéma.
Elle entend assurer la visibilité et le développement de l'écriture sur le cinéma en Afrique, soutenir les films d'Afrique par une meilleure couverture médiatique, développer la tradition critique en Afrique, structurer la critique africaine en associations nationales, contribuer à la formation des journalistes critiques, permettre à la critique africaine de se tailler sa place dans la critique internationale et la pensée mondiale du cinéma. Des objectifs dont il faut saluer l'ambition à l'heure où la part de la critique dans la presse se réduit chaque jour davantage. Par ailleurs, on procède à un assemblage de textes critiques en provenance de plusieurs pays pour constituer une base de données sur le cinéma en Afrique : pas sûr que l'équivalent existe au Nord…
La journée avait commencé par un malheureux coup de fusil. Elle s'achève sur un mauvais coup tout court. Un hold-up épineux préparé par de pauvres hères, deux anciens métallos handicapés et alcoolos, un père de famille modèle, surdiplômé mais au chômage et nourri par sa femme ouvrière, et un ancien taulard qui, bien décidé à ne pas replonger, s'est rangé à l'usine.
Fine équipe, tellement peu préparée au banditisme que son coup ne semble pouvoir déboucher que sur un miracle ou sur un drame. Mais ce gang improvisé au pays des humbles, à Lièges, superbement filmée, a l'énergie de ceux qui n'ont plus rien à perdre, et la dignité de ceux qui se sont battus longtemps avant de perdre espoir. C'est avec ces quatre boiteux-là (Eric Caravaca, Patrick Descamps, Claude Semal, Lucas Belvaux) que le Belge Lucas Belvaux entreprend un polar social qui regarde du côté de chez Melville, Simenon, et les frères Dardenne.
La raison du plus faible est à la fois d'une immense générosité et, par endroit, d'une regrettable maladresse. Des défauts dans l'écriture (notamment le personnage de l'ouvrière jouée par Natacha Régnier), des scènes attendues, une naïve complaisance qui pointe… Mais l'humour belge aidant, Lucas Belvaux parvient à maintenir un constant suspense dans un scénario que l'on devine bien noir derrière sa mise en scène souriante et son hymne à la solidarité.
Le personnage de Marc, l'ancien taulard, interprété par le réalisateur, se lance dans deux tirades mémorables : l'une visant à faire imaginer le déroulement d'un braquage à un de ses compères, l'autre cherchant à faire comprendre à Patrick, le père de famille, le regard que son fils portera son lui s'il se retrouve derrière les barreaux. “ Ce sera autre chose comme humiliation ”. Mais ni morale, ni héroïsme dans ce film qui déballe pudiquement non seulement la raison du plus faible, mais son raisonnement. Et adresse un joli bras d'honneur à la loi du plus fort.
Babel, film réalisé par Alejandro Gonzalès Inarritu. Avec Cate Blanchett, Brad Pitt, Gael Garcia Bernal, Adriana Barraza, Kôji Yakusho, Saïd Tarchani, Boubker Ait El Caid.
La raison du plus faible, film réalisé par Lucas Belvaux. Avec Eric Caravaca, Natacha Régnier, Patrick Descamps, Claude Semal, Gilbert Melki, Théo Hebrans.
