Menu
Search
Samedi 27 Décembre 2025
S'abonner
close
Samedi 27 Décembre 2025
Menu
Search

Entretien avec Mme Michaëlle Jean, Gouverneure générale du Canada

No Image
LE MATIN : Mme La Gouverneure générale, pour la première fois après votre nomination il y a quelques mois, vous entreprenez un long voyage de 26 jours en Afrique, dont le Royaume du Maroc constitue l'ultime étape. Quel sens donnez-vous à cette visite au Maroc et, surtout, à votre rencontre avec S.M. le Roi Mohammed VI ?

Mme Michaëlle Jean :
J'ai entrepris depuis plusieurs semaines une série de visites d'Etat dans plusieurs pays africains. Et pour nous, au Canada, traverser l'Afrique ne pouvait exclure l'arrêt dans des pays du Maghreb. Et le Maroc fait partie de ces pays que nous considérons comme des pays phares dans le continent.

A cause de la dynamique des réformes qui sont entreprises dans le pays, à cause aussi du dynamisme de la société civile, à cause encore de ces liens de longue date, d'amitié, de fraternité et de coopération que le Canada a toujours entretenus avec le Maroc.

Bien entendu, avoir la possibilité d'en discuter avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI est certainement une occasion unique de voir comment nous pouvons ancrer davantage cette histoire de relations entre nos deux pays.

Vous revenez d'Afrique…
Mais je suis encore en Afrique, n'est-ce pas…

Je veux dire certains pays d'Afrique, notamment le Ghana où une grande émotion vous a échappé lors de la visite du château d'Elmina. Quel bilan faites-vous de ce périple ?

Le Canada veut faire la promotion et donner tout l'appui nécessaire aux solutions africaines qui émergent du continent même face aux problèmes auxquels sont confrontées les populations. Nous le faisons, en effet, dans un esprit de confiance, en cultivant un "afro-optimisme" important. Nous croyons fermement que les destinées de l'Afrique concernent le monde entier, y compris le Canada. Nous voulons que l'Afrique reste vraiment au cœur de l'agenda multilatéral. Cette conception, notre pays l'a déjà défendue à l'occasion de rencontres importantes, notamment lorsque nous avons été le pays hôte du Sommet du G8 en 2002, où nous avions milité et plaidé pour cette vision. Nous continuerons à le faire au niveau des organisations multilatérales dans lesquelles nous sommes partie prenante, où nous jouons un rôle significatif. Nous occupons une place importante, que ce soit au niveau du Commonwealth ou de la Francophonie, des Nations unies… Il est très important que nous nous rangions tous, du point de vue mondial, autour des solutions proposées par l'Afrique face à des problèmes africains.
C'est vraiment dans cet esprit de réciprocité que nous avons entrepris cette tournée dans le continent qui, pour nous, représente une démarche importante. D'autant plus que nous sommes convaincus qu'un pays comme le Maroc, par exemple, est un pays qui ouvre la voie sur des perspectives extrêmement importantes parce qu'il existe au sein de la société marocaine une espèce de cohésion sur un projet social qui inclut l'ensemble des citoyens et citoyennes. Et au cœur de cette cohésion sociale, il y a S.M. le Roi qui apporte un concours qui est apprécié et trouve un écho au sein de la société civile. Ce qui constitue pour nous une perspective tout à fait réjouissante.

Au cœur de la cohésion, vous pensez certainement à la place de la femme ?....

Au niveau de la promotion de la femme, c'est très intéressant justement aujourd'hui. J'ai déjeuné tout à l'heure avec des représentantes d'associations qui défendent les droits de la femme, à différents et plusieurs niveaux de la société marocaine, comme au Parlement, dans les associations des droits de l'Homme ou des organismes, enfin des femmes qui participent à cette mouvance vers la modernité qui nous ont clairement dit qu'elles trouvaient au Maroc aujourd'hui – incarné même par la vision que défend le Souverain du Maroc – un appui colossal. Un appui qui dit quoi ? Un appui qui dit que, pour penser développement, pour penser prospérité, pour avancer sur tous les fronts importants, de l'éducation, de la santé, de l'économie, il faut compter sur les forces vives que représentent les femmes. On ne peut le faire en dehors de la reconnaissance pleine et entière de la participation des femmes et de leurs droits.

En septembre dernier a eu lieu au Sénat canadien un débat assez vif après votre nomination que les Canadiens et la communauté mondiale ont salué, compte tenu de vos origines et de votre parcours, et qui renforce l'image d'un Canada pluriel, diversifié et démocratique. N'y a-t-il pas eu quelques résistances ?

Comme vous le savez, au Canada, les débats sur la question nationale sont devenus un sport national. Toutefois, je pense qu'il n'y a pas lieu de dramatiser outre mesure.
Il est clair que l'arrivée d'une femme québécoise à ce poste, et à cette très haute fonction sur la scène fédérale, en a dérangé quelques-uns.

D'autant plus que la femme qui a accédé à ce poste fédéral de Gouverneure générale du Canada et donc de chef de l'Etat est une femme qui bénéficie de l'estime de la population québécoise.
Mon travail de longue haleine au sein de la télévision publique, et aussi comme quelqu'un qui est tout à fait respecté au sein de la société québécoise, en a inquiété quelques-uns qui n'ont pas envie de reconnaître cet te institution fédérale.

Votre arrivée à la tête de l'Etat n'a-t-elle pas révolutionné les choses, les institutions... ?

Oui, certainement... J'ose croire que mon arrivée à cette mission suscite des espoirs et qu'elle amène des éléments nouveaux au sein de cette institution et au niveau de l'ensemble de ce que nous sommes en tant que Canadiens et de la façon dont nous nous présentons au regard de la communauté internationale.

En réalité, vous n'appartenez pas seulement au Canada, mais au monde entier, aux Africains et aux autres ... ?

Il arrive, parfois, que par la force du symbole, on galvanise les énergies, on crée des synergies nouvelles, on suscite un bouillonnement d'espoirs et tout cela c'est important pour avancer. Car l'humanité en a bien besoin, donc la démocratie est bien portante au Canada.
Qu'il y ait parfois des résistances, fait partie de l'ordre des choses et cela ne fait, à vrai dire, que m'aguerrir davantage parce que je crois profondément à la fédération, je crois profondément, dans un monde aujourd'hui tellement atomisé, où les solitudes sont nombreuses, où l'on est plus vulnérable parce que nous sommes isolés et faisons bande à part, je crois à la force du nombre. Je crois à la nécessité de fédérer les efforts, fédérer les idées et de fédérer les initiatives et nos forces. Le Canada est un espace porteur de cette énergie, je suis honorée de pouvoir partager tout cela avec d'autres dans le monde….

____________________________________________

Une femme qui incarne les espérances


Elle respire la grâce et la détermination, elle incarne aussi l'espoir de l'universalisme où les frontières ethniques géographiques s'estompent. Grande commise de l'Etat, et pas n'importe lequel, elle représente le Canada, un pays qui fait trente-trois la France et avec la Russie, constitue l'espace le plus vaste de la planète. Mme Michaëlle Jean a été nommée par la Reine d'Angleterre au poste, le plus haut en fait, de Gouverneure générale du Canada, fédéré dans ses deux composantes anglophone et francophone. A ce titre, elle assume les fonctions de chef d'Etat. Ce n'est pas une sinécure, puisque, aussitôt désignée, elle a pris son bâton de pèlerin pour visiter d'un seul trait et en moins de vingt-cinq jours cinq Etats africains. Une manière de ressourcement dans le continent pour lequel retrouvant ses accents de militante sociale, elle fait un plaidoyer pro domo. Le fédéralisme canadien est à ses yeux une forteresse inexpugnable contre les particularismes et les dérives identitaires. Elle l'inscrit sur le fronton de toute son action nationale et internationale. Et en fait un exemple où s'épanouissent toutes les formes de solidarité. L'étape marocaine, la dernière de son périple africain, il constitue un événement.
Lisez nos e-Papers