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Le pourquoi du phénomène Lolita

Avis de l'expert - Abdelbaki Belfkih, sociologue

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Traditionnellement, plusieurs disciplines comme la sociologie ou la psychologie, qui se sont penchées sur de pareilles questions, ont mis en avant le concept d'"identification". On s'identifie à qui alors ? A son père, bien entendu, quand il s'agit d'un garçon et à sa maman quand il s'agit de la fille.

Cette identification prépare à reproduire l'image du père : une certaine autorité reconnue par la structure de la société.
On s'identifie à son métier, aux relations qu'il entretient avec son entourage professionnel, etc. L'enfant est amené de temps en temps, et quand il le faut, à prendre connaissance de ces lieux et milieux, ce qui rapproche l'enfant du contexte et de l'environnement dans lesquels il est appelé à évoluer et des normes et codes avec lesquels il faut composer. La fille, elle aussi, est appelée à s'identifier à ce à quoi elle est préparée.

Aujourd'hui, on a l'impression cette forme d'identification est en train de passer ou du moins de ternir. Les raisons ? Parce que les moments, les occasions de l'initiation, de la socialisation, sont devenus de moins en moins adaptés aux rythmes à la fois du social et du technologique, qui changent rapidement, et du politique et du moral, qui se transforment lentement. Les registres d'identification sont de moins en moins le père (la plupart du temps absent, et dans certains cas la maman aussi par cause de travail ou autre) et de plus en plus des figures du monde médiatique réel ou virtuel (une star, un personnage filmique réel ou fictionnel : Bruce Willis, Rambo, Ronaldinho, etc.).

Doit-on voir dans cela une absence ou une crise d'autorité ? Certes, l'autorité exprimée sous forme de repères est très utile à toute éducation. Mais nous observons qu'il s'agit ici d'une crise beaucoup plus de modèle que d'autorité.
Les archétypes produits par le père ou la mère ne sont plus suffisants et ne correspondent, peut-être, que partiellement, sinon pas du tout, aux attentes des enfants.

Ceux-ci sont livrés et noyés dans un monde défini par sa surproduction de modèles qui se démodent aussitôt qu'ils sont produits, qui déroutent beaucoup plus qu'ils servent à se repérer et à ne pas se perdre et qui se donnent comme des produits à consommer (parce que payés et achetés sous forme de film ou d'image, de vêtement, etc.) beaucoup plus que des éléments constitutifs d'une identité et constructeurs de sens. L'assurance que manifestent les enfants vis-à-vis de leurs parents provient aussi de cette situation charnière placée entre l'enfance et l'adolescence. Les enfants dans de pareilles situations opèrent un choix en s'identifiant la plupart du temps à l'âge qui suit.

Qui n'a pas entendu ses aînés lui répéter qu'il n'était plus un enfant, et que la fille n'a qu'à regarder sa poitrine pour se rendre compte qu'elle n'est plus une enfant, ou que le garçon, avec les premiers poils de sa future moustache, n'est plus un gamin, etc. De tels propos propulsent les enfants à intégrer le rang des adultes.
Cette intégration a été vécue jusqu'aux années quatre-vingt, et dans les zones rurales jusqu'à aujourd'hui, avec plus ou moins de communicabilité et d'adaptabilité avec les conditions de vie en général.

Actuellement, avec l'abondance et l'accessibilité des produits proposés sur le marché - ne serait-ce qu'au niveau de quelques grandes villes et chez certaines couches socioéconomiques -, ajoutées aux effets de l'urbanisation et des différents médias présents dans la quasi-majorité des foyers, la façon dont va se prononcer cette identification va se faire avec beaucoup plus de permissivité, beaucoup plus de négociation qui demande davantage de marge de liberté et d'action et qui tend à repousser les frontières de la norme sociale, chaque jour un peu plus loin.
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