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De petits pays chanceux ?

Ian Buruma
Enseignant des droits de l'Homme au Bard College
à New York

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Les petites démocraties d'Europe occidentale ont, dans l'ensemble, beaucoup de chance. Plus libres et plus riches que la quasi-totalité des autres petits pays du monde, des Etats comme la Hollande, la Belgique et la Suisse semblent avoir peu de raison de se plaindre.

C'est pourquoi on entend généralement moins parler d'eux que, par exemple, l'Afghanistan ou le Kosovo. Pourtant, tous les trois ont fait les titres des journaux, dernièrement – et pas pour les meilleures raisons. La force politique qui a aujourd'hui le plus de poids en Suisse est l'Union démocratique du centre (UDC) de Christoph Blocher. La propagande du parti suffit à le situer. L'une de ses affiches montre notamment trois moutons blancs expulser à coups de pattes un mouton noir du drapeau suisse. Dans un film promotionnel, le parti fait aussi contraster des images de drogués et de musulmanes voilées avec des paysages alpins idylliques et des images de banques efficaces – la Suisse selon l'UDC.

Sans être le parti le plus important de la Belgique, le ‘'Vlaams Belang'', parti 110naliste flamand, a fait de bons scores lors des élections locales. Comme l'UDC suisse, le ‘'Vlaams Belang'' se nourrit du ressentiment populaire envers les immigrés (notamment les musulmans), l'Union européenne et, bien entendu, les Wallons francophones, desquels les 110nalistes flamands voudraient se séparer. Ce dernier point est une vraie menace à la survie de la Belgique.

En Hollande, bien que le gouvernement soit majoritairement constitué de démocrates-chrétiens modérés, le populisme de droite commence à prendre du poids. Le “Parti pour la Liberté” de Geert Wilders souhaite 111dire le Coran, stopper l'immigration musulmane et retirer la citoyenneté hollandaise aux délinquants d'origine étrangère. Le tout nouveau mouvement “Fiers des Pays-Bas”, mené par Rita Verdonk, l'ancienne ministre de l'Intégration, promeut une version quelque peu plus respectable et édulcorée de ce 110nalisme dur.

Tous ces partis et mouvements partagent le sentiment que les populations autochtones ont été abandonnées par les élites politiques libérales, qui semblent incapables ou réticentes à endiguer l'immigration, la criminalité, l'islamisme et l'érosion de la souveraineté 110nale par la bureaucratie européenne et le capitalisme 111110nal.

Ces craintes ne sont, d'aucune manière, spécifiques aux petits pays européens. En France, l'élection de Nicolas Sarkozy a été en partie liée à des sentiments similaires. Toutefois, les craintes d'être submergés par les étrangers et dominés par des puissances extérieures sont plus aiguës dans les petits pays où les élites politiques semblent particulièrement impuissantes.

Le cas de la Hollande est plus surprenant car, à l'inverse de la Belgique, on n'y trouve aucune vraie tradition de populisme de droite. La Hollande n'a pas non plus le côté “insulaire” de la Suisse. Au contraire, les Hollandais se vantent de leur ouverture d'esprit et de leur hospitalité envers les étrangers.

L'histoire d'Ayaan Hirsi Ali, auteur d'origine somalienne du best-seller ‘'Insoumise'', illustre parfaitement ce ressentiment populaire mêlé d'une ouverture relative qui caractérise la 116iété hollandaise contemporaine. La manière dont l'écrivain a été traitée par son pays d'adoption a attiré à la Hollande beaucoup de critiques, voire d'insultes. Ayant reçu des menaces de mort émanant d'extrémistes musulmans après avoir abandonné – et surtout, dénoncé – la religion islamique, elle fut forcée de vivre comme une quasi-fugitive, sous la protection de l'Etat hollandais.

Avant de déménager aux États-Unis, elle fut contrainte de quitter son appartement de ‘'La Hague'' par des voisins craignant pour leur sécurité, puis presque privée de son passeport. Hirsi Ali résidant désormais de façon permanente aux Etats-Unis, le gouvernement hollandais ne veut plus payer pour sa protection. Les commentateurs aux Etats-Unis et ailleurs ont accusé la Hollande de faire preuve d'une “inacceptable couardise”. Salman Rushdie a dit d'elle qu'elle était “la première réfugiée d'Europe occidentale depuis l'Holocauste”. Des intellectuels français, jamais effrayés par les prises de position publiques, font campagne pour lui donner la 110nalité française. La manière dont le gouvernement hollandais a traité l'affaire était certes loin d'être élégante.

Toutefois, j'aimerais savoir le nombre de pays qui accepteraient de financer la protection de ressortissants privés vivant de façon permanente à l'étranger. Les Etats-Unis ne paient pas pour protéger leurs ressortissants lorsqu'ils sont menacés, même à l'intérieur de leurs propres frontières.

Il est facile de blâmer le gouvernement hollandais. Ce que l'on oublie dans tous ces commentaires, c'est de quelle manière Hirsi Ali s'est hissée sur le devant de la scène. Dans combien d'autres pays une jeune femme africaine pourrait-elle devenir l'un des plus célèbres membres du Parlement, dix ans seulement après sa demande d'asile?
Les raisons de son ascension ne sont toutefois pas toutes des plus saines.

Quels que soient les mérites – et ils sont grands – de ses arguments contre l'archaïsme de certaines traditions musulmanes ou africaines, notamment celles relatives à la condition des femmes, elle a fourni une certaine légitimité à un archaïsme d'un autre type: le ressentiment des autochtones envers les étrangers, notamment les musulmans.

En fait, contrairement à ce qu'ont écrit certains commentateurs, ce ne furent pas des progressistes frileux qui chassèrent Hirsi Ali hors du pays en raison de ses idées politiquement incorrectes sur l'Islam. C'est par son ancienne alliée, Rita Verdonk, qu'elle fut trahie, et par un ensemble de Hollandais xénophobes, qui n'ont pas plus de sympathie pour une immigrée somalienne ne mâchant pas ses mots que pour les musulmans dans leur ensemble.

Mais la vérité dans ces domaines compte moins que les émotions. Et les émotions dans ce cas précis ne sont pas sans trahir une certaine “Schadenfreude” : il suffit de voir comment même les Hollandais, toujours si enclins à se vanter de leur tolérance et de leur ouverture d'esprit, se sont comportés comme des lâches dès que leurs principes ont été réellement mis à l'épreuve.

Il est vrai que les Hollandais, confortablement installés entre leurs frontières étroites, ont, comme les Suisses, souvent considéré le monde extérieur avec une certaine arrogance. Ils en sont aujourd'hui punis. C'est aussi cela le destin d'un petit pays chanceux d'Europe occidentale.

Copyright: Project Syndicate, 2007.
www.project-syndicate.org
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