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Matisse : les séjours tangérois

Par Mohamed Tamsamani : Membre de l' Association Tanger 2012

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Toute la ville de Tanger était au rendez vous pour accueillir la délégation représentant 74 pays venue y accomplir une dernière visite, avant la proclamation de la ville qui aura été choisie pour organiser l'exposition internationale. Avec ses milliers d'enfants, représentants la sève de l'avenir, avec l'engagement des autorités de la ville, du gouvernement et du pays tout entier, Tanger aura mérité d'abriter cette exposition .

Ce ne serait que justice, comme l'a indiqué Federico Mayor, ancien directeur général de l'UNESCO et membre de l'Alliance des civilisations. Jamais aucune ville dans le monde n'aura en effet autant mérité d'être à travers son histoire et son présent, la capitale de la tolérance et de la convivialité. En témoignent ces maisons de Dieu, églises et synagogues, qui, à côté des mosquées, rappellent la coexistence harmonieuse des fils d'Abraham. L'association de soutien de l'exposition de Tanger 2012, avec Mohamed Tamsamani, Jelloul Semsem, directeur du CRI, Abdellah Jebbouri, représentant l'université, ainsi que toute une équipe engagée et totalement investie depuis plus d'une année auprès du wali Mohamed Hassad et du maire de la ville, Dahman Derham ont balisé l'itinéraire emprunté par la délégation du BEI, qui rappelle que les routes du dialogue entre l'Orient et l'Occident sont toujours passées par la ville du détroit.

L'histoire contemporaine a affirmé la singularité de l'espace tangérois. Tanger, avant de devenir officiellement internationale et après l'occupation portugaise et anglaise, s'est largement ouverte sur l'extérieur dès le début du 19e siècle.
Chroniqueurs, voyageurs, artistes, mais également commerçants, spéculateurs et chercheurs de trésors ont afflué vers la ville. Cette présence a profondément contrasté avec le reste du Royaume et apporté des transformations profondes dans le tissu urbain traditionnel – la médina est largement entamée par la construction d'édifices modernes- et l'urbanisation européenne ouvre de nombreux chantiers aux portes du noyau ancien.

La singularité de l'histoire se double d'un cadre bioclimatique exceptionnel. Largement ouverte sur les influences océaniques, la région bénéficie de précipitations abondantes et d'une douceur des températures propices au développement d'un couvert végétal d'une exubérance qui a fasciné tous les visiteurs. Pierre Loti et Henri Matisse, entre autres, lui ont consacré des pages remarquables et des toiles envoûtantes.

De ce foisonnement culturel qu'a connu la ville tout au long du 19e et du 20e siècle, il nous semble qu'il y a matière à ressusciter les différents lieux évoqués par les témoignages qui ont rendu compte de la multi culturalité de la ville.
La géographie de la ville regorge de lieux de mémoire représentés dans des ?uvres littéraires ou picturales, ou fréquentés dans des conditions particulières par des écrivains des artistes- peintres et musiciens.

A titre d'exemple, Tanger et sa médina ont reçu une multitude d'artistes (Si Mohammed Larbi Temsamani, Sidi Ahmed Loukili…), qui ont servi de cadre à des narrations ou ont été mis en scène par des écrivains, des peintres (Delacroix, M.B.A. Rbati, Matisse, Dumas, Loti, Kessel…)

Matisse à Tanger
La médina de Tanger, espace multiculturel, a toujours accueilli artistes, peintres, écrivains. Les arts et les lettres hantent littéralement les quatre coins de la cité. La Casbah, le Petit Socco, sont autant de prétextes pour visiter la ville, accompagné des récits des écrivains ou à travers les toiles des maîtres. Tanger a constitué tout au long de la deuxième moitié du 19e siècle un pôle d'attraction pour de nombreux voyageurs, écrivains ou artistes, fascinés par l'Orient. Après Alexandre Dumas et Pierre Loti, Delacroix et Marquet, Matisse se laisse tenter par cet Orient tout proche.

Matisse séjourne à Tanger à deux reprises. Il arrive une première fois en janvier 1912, accompagné de sa femme, attiré par les descriptions que lui en fait son ami Marquet. Il revient quelques mois après, en octobre et prolonge son séjour jusqu'en février 1913. Tanger est sans doute la ville qui hébergea le peintre le plus longtemps lors de ses nombreux voyages à l'étranger. Le premier séjour qui se prolonge près de deux mois et demi, coïncide avec une année particulièrement pluvieuse. Matisse reste confiné dans sa chambre de l'Hôtel Villa de France et peste contre les pluies diluviennes qui assombrissent sa présence dans la ville. C'est dans cette chambre que sont peintes plusieurs natures mortes (Corbeille d'oranges), ainsi que Paysage vu de la fenêtre et Fenêtre ouverte sur Tanger, thème régulier, qu'on retrouve lors des séjours à Collioure ou sur la Côte d'Azur. Ce confinement est mis à profit pour une initiation à la végétation de Tanger. Une série de toiles sur la flore tangéroise prend forme dont (Arums, Le vase d'iris et arums, iris et mimosas).Tous les visiteurs qui ont arpenté la région ont été fascinés par la profusion de fleurs et les tapis de couleur qui jonchent la campagne tangéroise.

Pierre Loti, qui arrive à Tanger en 1889, relate son émerveillement dans Au Maroc et compare ce parterre à un tapis. «Pour plancher, j'ai l'herbe fine, fleurie d'une minuscule variété d'iris : c'est un beau tapis violet doucement odorant, au milieu duquel trois ou quatre soucis, piqués ça et là, éclatent comme de petites rosaces d'or… aux fougères qui dominent, se mêlent des asphodèles toujours, des lavandes, et des quantités de fleurs blanches semblables à de larges églantines».
Matisse arrive à Tanger en ayant sûrement pris connaissance des relations de Pierre Loti sur le Maroc et exprime son émerveillement devant le foisonnement végétal qu'il découvre après l'arrêt des pluies. «… La végétation est tout à fait luxuriante…» et compare la région à la Normandie «…comme ardeur de végétation, mais combien beaucoup plus variée et décorative…». Nul besoin pour lui d'affronter monts et vallées pour saisir l'importance de cette végétation, elle est là tout autour de lui. L'hôtel Villa de France dispose d'un vaste jardin et domine un espace largement ouvert et faiblement occupé par des constructions.

Les quelques bâtiments existants sont en fait des sanctuaires de la flore méditerranéenne ; le temple protestant Saint Andrews, la légation allemande, actuelle Mendoubia, la légation anglaise…et les cimetières. Seuls quelques pas séparent l'hôtel du parc Brooks. Cette profusion du végétal en ville exerce une véritable fascination sur le peintre.

Cette nature qui renaît avec les premières pluies a été admirablement représentée par Matisse. Il découvre la Villa Brooks qu'il compare à un paradis de verdure et y cueille les principales toiles qui célèbrent la richesse florale de Tanger: Les Acanthes, Les Pervenches, La Palme…

La présence en ville et la place de la Casbah dans le rendu pictural

Quand le peintre débarque à Tanger en 1912, il est déjà sensibilisé à la luminosité du ciel tangérois grâce aux écrits que lui envoie Marquet et peut être aux ?uvres que ce dernier a peintes à Tanger en 1911. Matisse, Marquet, Camoin et Manguin qui n'a pas fait le voyage tangérois, développent une réelle complicité qui s'est tissée sûrement à l'époque de leur formation. Ils ont tous fréquenté, à quelques années d'intervalle, l'atelier de Gustave Moreau, aux Beaux Arts. (1892/1897). Ils prirent l'habitude de peindre ensemble ou du moins de passer de nombreux séjours dans les mêmes contrées. C'est ainsi qu'on les retrouve sur la Côte d'Azur, en Normandie, à Collioure. Ces rencontres permettent le partage d'expériences et l'expérimentation de nouvelles aventures plastiques.

La correspondance de Matisse à Marquet regorge de sollicitations pour que ce dernier le rejoigne à Tanger. Il semble que cette rencontre ne s'est point réalisée, contrairement à Camoin, qui rejoindra Matisse à Tanger lors du deuxième séjour du peintre.

Ensemble ou séparément, les trois compères, renforcés à l'occasion par James Wilson Morrice, explorent la ville. Ils représentent souvent les mêmes paysages. La situation dominante de l'Hôtel Villa de France, où ils séjournent, leur permet une large découverte de la baie et de la médina. C'est à partir des fenêtres de l'hôtel que sont peints Vue d'une fenêtre (J.W.Morrice), Vue de l'église anglaise (Camoin), Paysage vu de la fenêtre et Fenêtre ouverte sur Tanger (Matisse). C'est cependant dans la partie haute de la médina, la Casbah, que va s'exprimer avec le plus d'éclat, cette exploration picturale de Tanger.
La Casbah a fait l'objet d'une attention particulière de Matisse, et revient à travers plusieurs huiles (Le Marabout, Vue sur la Baie de Tanger et La Porte de la Casbah, Café marocain, Les Marocains), croquis et dessins (A la Porte de la Casbah, Palais du Sultan) et de nombreuses études. La Casbah constitue d'ailleurs un atelier à ciel ouvert, par sa présence dans plusieurs représentations de Matisse, mais également de Charles Camoin, (Maison à charmilles, Café maure, Le Palais du Sultan, Le Marabout Sidi Hosni, Bab el Aassa), ou Albert Marquet ( Le Palais de justice, Ruelle à Tanger…).
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